Efficace, addictif. Une intrigue complexe et relativement conventionnelle. Tous les codes d’un excellent thriller sont réunis pour cette histoire qui nous emmène jusqu’au bout du monde. Jo Nesbo n’a – à mon sens – plus grand chose à prouver; encore une fois, c’est une intrigue vraiment bien ficelée qu’il nous offre.
Pour cette raison, je ne vais pas épiloguer sur ce roman – quoi que – qui a déjà visiblement une place de choix dans les critiques. Je vais me borner à exprimer ce que vous aller découvrir en ouvrant ce pavé de 850 pages. Tout d’abord, si le nombre de pages vous effraye et vous semble indigeste, je vous rassure immédiatement, elles se tournent jusqu’à la fin d’une facilité déconcertante.
L’auteur, après un démarrage tout de même un peu lent, nous immerge dans l’intrigue avec pas mal d’adresse et, une fois dedans, nous n’en ressortons plus si facilement. Jo Nesbo nous réserve à chaque fois des enquêtes qui paraissent aux premiers abords très alambiquées, mais au fil de l’histoire, nous remarquons petit à petit que tous les éléments s’emboîtent remarquablement bien, et du coup nous nous étonnons même que cela soit aussi simple. Un tour de force, un secret, ou plutôt un art que Jo Nesbo maîtrise plutôt bien; cette manière de nous envoyer sur plusieurs fronts, un peu perdus, pour ensuite nous prouver A+B que tout est finalement très logique et discursif. Frustrés, nous aurions aimé être dotés d’un peu plus de raisonnement pour y voir plus clair, plus rapidement. Mais je crois que c’est perdu d’avance.
Deuxième force de l’auteur, c’est ses personnages. Dans Le Léopard, nous retrouvons l’inspecteur Harry Hole, protagoniste récurant des romans de Jo Nesbo. Ce flic très conventionnel pour un roman policier, à savoir alcoolique, bourru et aussi dangereux qu’un électron libre, nous surprends à chaque fois par ses méthodes peu orthodoxes mais au combien efficace. Selon ses collègues, c’est une légende vivante; un sale con, mais une icône. Dans ce roman, c’est un homme attachant que nous suivons, touchant et bouleversant. Un homme froid et solitaire, mais aussi amoureux et dépendant; qui prend énormément de risque pour sa vie, mais qui semble vouloir la conserver à tout prix; un homme qui a un grand respect pour les autres, pour les victimes, mais qui ne se respecte pas lui-même. Bref, un type complexe en très grande contrariété avec lui-même, un flic bourré (c’est le cas de le dire) de paradoxes.
Jo Nesbo nous ouvre la porte de son roman en nous plantant au beau milieu de Hong-Kong. Une ville glauque et surprenante, mais également dangereuse. Des dangers qu’on risque d’affronter si on fait le con. Et en parlant de faire le con, nous tombons sur Harry Hole qui s’est réfugié dans cette métropole asiatique depuis environ six mois. Cet inspecteur, qui accumule à présent les grosses emmerdes en tombant dans la débauche, a donné sa démission suite à une affaire qui l’a touché de près, qui a chamboulé son intimité, qui a mis sa famille en danger. Une sale affaire qui le hantera certainement encore longtemps (voir « Le Bonhomme de neige« ).
Mais Harry est un homme qu’on va venir rechercher car ses anciens collègues d’Oslo ont grandement besoin de lui pour une nouvelle affaire qui leur donne du fil à retordre. Une affaire qui semble impliquer un tueur en série. Notre ancien inspecteur n’en a pas grand chose à foutre, mais va finalement revenir en Norvège, suite à des arguments qui le touchent personnellement voir intimement. Pour l’affaire, ce n’est pas encore gagné. Mais l’âme du flic se réveille et Harry accepte de contribuer à l’enquête. Un flic restera toujours un flic?
Nous avançons dans cette enquête complexe en effectuant pas mal de kilomètres. Des hautes montagnes de la Norvège, ses refuges, ses dangers, ses tempêtes, en passant par le Rwanda, avec ses fantômes rappelant encore les coups de machettes qui ont fait couler des litres de sang, pour poursuivre vers le Congo, à proximité du Nyiragongo, ce volcan en activité le plus dangereux d’Afrique; Jo Nesbo, à travers l’histoire et ses personnages, nous présente ces divers lieux avec une grande maîtrise en nous donnant l’occasion d’en apprendre suffisamment sur l’endroit où nous nous trouvons pour capter tout notre attention. C’est habile et très pro.
Durant cette enquête, parallèlement, l’auteur va mettre un accent sur un phénomène qui chamboule les services de police dans la région d’Oslo. Cette affaire importante et médiatique aura un rôle clé et son dénouement connaîtra des conséquences politiques importantes sur la future répartition des tâches entre la police criminelle d’Oslo et la police nationale; la Kripos. Harry Hole, de la police criminelle d’Oslo devra enquêter d’une manière assez particulière, presque en « freelance », mais en tout cas en sourdine, guéguerre des services oblige… Avec deux collègues de la police criminelle, soigneusement choisis par leur boss – les seuls avec qui Harry arrive encore bosser sans s’énerver, le choix était restreint! – il va tenter de démêler cette affaire pour le bien de sa brigade, respectivement pour la police d’Oslo, mais surtout pour les victimes.
Beaucoup de doutes quant à la menace nous parviendront constamment. Nous irons jusqu’à croire qu’elle provient peut-être d’un côté que nous aurons du mal à admettre. Comme dans « Scooby-Doo », nous attendons avec une grande impatience que les masques tombent enfin! Mais le problème, c’est que Jo Nesbo nous aide très volontiers à faire sans cesse fausse route. Les rebondissements sont nombreux, subtiles et nous n’avons jamais de le temps de nous mettre en garde avant de les prendre en pleine face. Dans cette oeuvre, l’auteur nous en dévoile beaucoup pour encore moins nous en dire, c’est perspicace et insaisissable.
Le prédateur, qui ne se trouve jamais loin, vous ne l’entendrez jamais approcher et surtout vous ne saurez jamais d’où il vient. Mais comme dira à un moment clé « le Bonhomme de neige », ce tueur en série qui a sévie il y a quelques mois en Norvège et qui a anéanti la vie d’Harry Hole:
« Il est près de toi, Harry, j’en suis presque certain, il n’arrive tout simplement pas à s’en empêcher. Mais il est venu d’un angle mort. Il s’est glissé dans ta vie par hasard, à un moment où ton attention était tournée vers autre chose. Ou quand tu étais faible. Il a sa place là où il est. Un voisin, un ami, un collègue. Ou alors il ne fait qu’être là, juste derrière une autre personne plus nette pour toi, une ombre à laquelle tu ne penses même pas, comme un appendice de l’autre. Réfléchis sur ceux qui sont entrés dans ton champ de vision. Car il s’y est trouvé. Tu connais déjà son visage. Vous n’avez peut-être pas échangé beaucoup de mots, mais s’il est comme moi, il n’a pas pu s’empêcher, Harry. Il t’a touché. »
Sur ces bonnes paroles, bonne lecture.
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