Dans Le Jardin des Langues (1ere partie), ne cherchez pas le sens, c’est de la poésie surréaliste, syncopée et illisible – initiation ou épreuve – pour un amoureux de la prose comme moi, à laquelle Perse et Michaux, par exemple, nous y ont habitué.
Or, dans Les Balcons de Babel (2e partie), il revient à la prose. Dans la deuxième partie du chapitre par contre, il retourne à cette prose non-ponctuée et incompréhensible. Comme dans le Jardin (1ere partie), chaque poème compte une seule phrase au fil de laquelle s’ouvrent de multiples parenthèses, comme autant de portes pour s’approcher du but – plus de clarté, toujours plus de paroles –, multipliant les détails, alors qu’en vérité on s’éloigne de plus en plus d’une élocution claire narrant un sujet qui progresse, ou peut-être pas… – avançant dans la pièce jusqu’au coin, où il n’y a plus aucune perspective que celle intérieure, où la poésie s’adonne à une sorte de prière, d’orémus qui appelle souvenirs et poésie; à chaque parenthèse ouverte et jamais fermée, il avance, plonge et se défenestre derechef pour pénétrer vers de plus amples descriptions, suite de la première, cousine de la deuxième, procédant dans la descendance, d’enfant en enfant de phrases, ou dans l’ascendance, d’aïeule en aïeule, toujours plus vrai, et de mémoire plus active.
Malgré tout, on finit par prendre et apprécier le rythme : la couverture se retire de ce lit comme un voile, et on découvre le corps nu de la virtuosité.
Au Bois Dormant (3e partie), on voit l’héritage du prosaïsme du Spleen de Paris enté par le cousinage de René Char; et l’évolution, toujours dans la prose pure – et poétique.
Dans La mémoire aime chasser dans le noir (4e partie), on s’approche de la prose et de la poésie racontée – anecdotes, histoires, contes, fables –, avec moins de densité, plus sereine : souvenirs d’enfance et histoires de famille, surtout (voir les extraits).
Les extraits des notes, de la postface et du texte expriment mieux la quête et le travail de Macé en général et au fil de ses recueils, dont plusieurs sont regroupés dans ce livre publié dans Poésie/Gallimard.
Extraits :
«On piétine dans les marais de la mémoire afin, momentanément, de remonter au commencement de soi, au-delà du père connu, vers l’ancêtre inconnu, celui qui n’est que sous forme d’ombre dans les chambres les mieux closes.» (Préface.)
«Renouer avec la tradition orale du poème narratif, c’est dire une parole inventant à mesure sa mémoire : entassements, écroulements, vertiges… Enfin, ce que les psychanalystes nomment le «travail du deuil» est aussi un culte des ancêtres retrouvé. Non pour un livre des morts, mais pour un livre de sommeil et de la longue descendance des nuits.» (Note.)
«Vieux hibou écarquillant des yeux dorés, Orphée de retour est ébloui par nos lumières, celles des vitrines et celles de la raison trop pure. Guidé par les paroles d’un chant aveugle, il cherche un peu d’ombre et s’arrête à l’entrée d’une brocante encombrée d’allégories, où l’art au milieu des reliques est revendu comme autrefois les indulgences. Puis, il s’endort en fouillant dans ses souvenirs, et revit un cauchemar, pendant lequel il poursuit une chimère malgré sa bosse et son pied-bot.» («Orphée qui se retourne», La mémoire aime chasser dans le noir.)
MACÉ, Gérard, Bois dormant et autres poèmes en prose, Poésie/Gallimard.