Il faut d’abord éclaircir une chose : ces poèmes ne sont pas écrits en mode poésie comme les textes de St-John-Perse, Macé, et plusieurs autres le sont. Ce sont des sujets qui, à travers les cinquante textes, ont interpelés l’auteur par leur singularité — beauté, laideur, cynisme, étrangeté, etc. — et ont justifiés leurs places dans ce recueil, qui traite donc poétiquement ou comme les sujets d’un poème classique les thèmes retenus, mais avec une écriture prosaïque. Donc, ces textes sont un format rétréci de la nouvelle et même du roman, et on peut leur conférer le titre de poèmes pour leur densité et l’impression qu’ils laissent. Sinon, il faudrait se poser la question : comment appelle-t-on ces courts textes, qui deviendront si personnels et poétiques avec les Illuminations, si ce n’est qu’ils sont des poèmes en étant l’ancêtre des poésies en prose, voire le germe et la première racine? Baudelaire n’a-t-il pas été le premier à donner le titre de Poèmes en prose à une œuvre qui fut la première à oser cette forme de textes et de poésie ?
C’est toute la définition de la prose poétique qui s’éclaire à la lecture de ces textes. Oui, il y a une certaine densité, mais nous sommes loin des successeurs. Il y a, avec ces textes, une base à laquelle nous pouvons revenir : une prose plus détendue et moins poétique, mais qui rappelle que l’important est de bien choisir son sujet, puisque l’on lui confère l’étiquette de poésie d’emblée.
La préface et l’introduction, qui font ensemble 100 pages, tentent de retracer les origines premières des poèmes en prose ou de la prose poétique et, en éludant Nerval, par exemple, passe droit à côté du but. Déjà, jadis, certains romans affectionnaient un style affecté, comme À rebours, mais Baudelaire fut un des premiers à casser ou former le moule pour les générations suivantes. Voilà un des intérêts indéniables de ce livre. Baudelaire était un créateur hors-pair. Et la suprême pertinence des valeurs romantiques gardent ce livre d’une actualité cuisante. En sont témoins les poèmes sur Paris, sur la société, sur l’art, sur la vie pauvre ou riche, etc, etc.
Les amateurs de prose narrative seront servis, comme avec le tome de la Pléiade contenant tous les courts textes de Kafka, mais pour la poésie, il faut aimer le Romantisme ou aller vers des formules plus métaphoriques des Fleurs du mal. C’est en quelque sorte la poésie mise à nue, sans carcan ou corset, et la prose qui danse entre prosaïsme et poésie. Baudelaire a le mérite d’avoir le premier découvert cette forme dont on ne peut maintenant se passer.
BAUDELAIRE, Le Spleen de Paris, Poésie/Gallimard.