Victime des hommes et coupable devant la Loi, la narratrice est l’héroïne d’un roman intemporel où son amant, pervers narcissique soigné à Sainte Anne, la pousse à l’assassiner !
Meurtre allant bien au-delà du fait divers inspirateur, « l’affaire Stern », tant « la fiction éclaire comme une torche » (p.7), les circonstances apparemment banales de notre existence.
La narratrice aime cet amant assassiné. Il voulait secrètement qu’elle le tue. Elle a compris cette demande implicite et répondu à son désir.
« J’ai pris le revolver. Je me suis approchée. J’ai tiré le chien. Un bruit familier. J’ai fait tourner le barillet dans le vide. Je l’ai senti frémir. J’ai posé délicatement la bouche du canon entre ses yeux. Il a poussé un gémissement lascif. »
Sans avoir recours au puissant arsenal sado-masochiste déployé dans l’ouvrage, chaque lecteur se demandera si, dans la situation amoureuse il n’est pas un peu manipulé par autrui.
Ceux qui connaissent Saint Anne apprécieront, comme ils le peuvent, les retrouvailles avec cet hôpital où le pervers sans nom fait pleurer la narratrice, avant de « laisser glisser son doigt aux coins de mes yeux pour goûter mes larmes au plus près de leur source. Si nous étions seuls, il les buvait à même la peau. Il aimait qu’en même temps je le branle. »
Quelques années de prison. Requête de l’avocat pour obtenir la libération. Requête et indicible de ce qui s’ignore dans la requête de cette narratrice sans nom : la révélation divine, et la déculpabilisation : « c’est comme si cette histoire était arrivée à une autre »(p.161)
Sévère Régis Jauffret