« Territoires », d’Olivier Norek — lorsque la banlieue s’embrase

Critique de le 21 janvier 2015

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (1 votes, moyenne: 4,00 / 5)
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Roman

norek-territoiresAllez, pour éviter de dire plusieurs fois les mêmes choses, peut-être avec juste quelques petites nuances, je vais reprendre le premier paragraphe de ma chronique consacrée au précédent polar d’Olivier Norek, « Code 93« . Quoi? facile? Le voici donc. L’auteur de ce polar, Olivier Norek, toulousain de trente-huit ans – normalement trente-neuf à présent! -, bref, un contemporain de 1975, est flic à la PJ de Seine-Saint-Denis depuis une quinzaine d’années. Autant vous dire qu’il sait de quoi il parle. Olivier Norek est doté d’une vision de l’intérieur, ce qui lui permet d’exprimer et de transmettre ses ressentis de flic, de poser un cadre, un décor qui lui est connu – et réel! -, soit de transporter le lecteur, le temps d’un ouvrage, dans son univers quotidien et de nous poser dans un milieu concret pour lui: le nord-est de l’agglomération parisienne, le département de la Seine-Saint-Denis, le 93. C’est dans une rue de ce département que nous débarquerons dans le roman, d’une manière assez sèche, froide et violente: trafic de stup, flics en planque; ça dérape, déjà un mort au compteur. Nous tournons encore deux pages; un mort de plus, une méchante exécution – pardonnez-moi le pléonasme! -, et on arrive à la première partie. Et oui, ce n’était que le prologue. La réalité de la rue se fait vite ressentir en tournant les premières pages. Une réalité pas très réjouissante, je dois l’admettre. Les grandes tours, les parcs défraîchis, du béton, le gris comme couleur prédominante; un décor parfait pour y ajouter quelques guetteurs, coursiers et vendeurs de détails. Quelques « boxs » de garage aussi, nombreuses boîtes ne révélant qu’une porte close, mais laissant deviner ce qui s’y trouve. Et justement, c’est derrière une de ses portes que tout va vraiment commencer. Nous retrouvons le capitaine Victor Coste, que vous connaissez déjà si vous avez lu le premier roman d’Olivier Norek. Un flic vrai – pas une grotesque caricature! -, un gars qu’on aurait envie d’avoir comme chef de groupe, c’est certain. C’est sur un quai de gare que nous le retrouvons, mais principalement dans une salle d’autopsie. L’auteur nous donne tous les détails croustillants qui relèvent de cette pratique; c’est très visuel, il ne manque que les odeurs, et encore. J’ai aussi eu l’occasion de « vivre » ce moment particulier, et je dois admettre que je n’aurais pas su mieux décrire une telle scène si atypique et singulière. Cette autopsie est une mesure issue d’une enquête qui débute pour la crim et les stup, une enquête un peu particulière, se déroulant dans un secteur rassemblant tous les avantages pour trafiquer; une plaque tournante. Les cadavres retrouvés récemment dans ce secteur n’annoncent rien de bon pour la lutte contre le crime lié aux stups, c’est même relativement inquiétant. Ces morts ne risquent pas de manquer à qui que ce soit, c’est certain, mais paradoxalement cela engendrera un problème de taille au niveau stratégique. Je n’en dirai pas plus à ce sujet. Olivier Norek nous place face à des personnages, des gamins qui ont grandi dans une ambiance stupéfiante – désolé pour ce mauvais jeu de mot -, qui n’ont côtoyé que des mecs gravitant dans ce même milieu n’offrant aucun avenir. La violence est une évidence, un réflexe, un mode de vie, et bien évidemment un moyen de pouvoir se faire respecter et, accessoirement, de pouvoir rester en vie. C’est avec la peur au ventre que vivent également quelques citoyens de ces cités, qui tentent encore de résister, à l’image de ces personnes âgées qui deviennent complices malgré elles, face à une menace permanente et endémique. A 12 ans, c’est avec un flingue entre les pognes qu’un gosse se sent exister. Olivier Norek donne un rythme agrippant et accrocheur pour son polar. Nous avançons constamment, sans nous retourner; ça bouge, on se sent bousculé. Lorsque la cité s’enflamme, les pages de ce polar absorbent rapidement l’ambiance et nous brûlent entre les mains sans interruption. Ressortir d’un immeuble, pour des flics œuvrant dans une cité tenue par les trafiquants, revient à organiser une exfiltration en bonne et due forme. D’autant plus si ces trafiquants avaient eu le malheur d’être quelque peu contrariés… Au niveau des enquêteurs et du petit monde qui les entoure, c’est à nouveau un vrai régal; les interactions sont pertinentes, vraies et percutantes. Le personnage de Coste est un ensemble de percussions à lui tout seul. Un sens de la répartie à toute épreuve; une seule ligne, celle qui amène à la protection et à la défense d’une victime, quelle qu’elle soit, quoi qu’il arrive, envers et contre tous. Franchement, j’aime ça! Au niveau « police », je vais appeler cela comme ça, c’est cohérent et rationnel. Nous sommes toujours assez loin des caricatures à la super-héros, avec des flics alcooliques réglant leurs petites affaires à coups de poing – bien que je sois assez fan d’Harry Hole ou Harry Bosch, tout de même! L’enquête en elle-même est également cohérente, sans raccourcis faciles ou coups de baguette magique qui donneraient la solution sur un plateau d’argent. Bon, il faut dire que c’est un flic qui nous raconte une histoire de flics, y a pas photo! Nous aurons également une vision politique par rapport à ce qui se déroule dans ce secteur conduit principalement par la violence. Une femme sera au centre de tout ce merdier, soit la maire de cette commune de Malceny. Cette élue va nous donner un bel exemple de ce qu’est une personne opportuniste, carriériste, égoïste, qui n’assume pas vraiment les problèmes, ou qui tente plutôt de les régler à sa façon, par tous les moyens. Pour se diriger vers les réélections d’un pas sûr, serein et victorieux, il n’y aura pas mieux que quelques coups tordus – mais alors tordus dans tous les sens! -, pour arriver à ses fins, les mains bien sales. Lorsqu’on joue avec le feu, on se brûle parfois les mains et les plaies ne se referment pas toujours. Cette élue en fera les frais. On ne peut pas faire un pacte avec le diable et en ressortir gagnant sur toute la ligne. Les flammes vont s’intensifier dans la cité et, pour y mettre un terme, il n’y aura pas trente-six solutions. La maire de Malceny a pourtant des cartes en main, mais peut-être pas les bonnes, malheureusement. Le jeu n’est pas facile, je le conçois tout de même. La fin justifie-t-elle les moyens? A voir… L’élue locale, en tant que très mauvaise gestionnaire, n’assumera pas ses actes et, pour faire honneur à sa belle lâcheté, ira chercher des responsables partout où cela est possible; partout, sauf dans son propre bureau, évidemment. Victor Coste, avec l’aide de son équipe, va devoir faire la lumière sur un scénario plutôt sombre, un canevas provenant de plusieurs sources, de plusieurs foyers. Du moins, c’est ce qu’il croyait. L’auteur va nous poser au centre d’une banlieue sous haute tension, en guerre, durant quelques jours et quelques nuits d’émeutes, et nous ne pourrons pas nous empêcher de nous dire que la réalité, encore une fois, dépasse largement la fiction. Les émeutes qui ont pris leur source à Clichy-sous-Bois le 27 octobre 2005 en sont une preuve flagrante. La raison de cette tension extrême, nous la connaissons et, franchement, l’issue semble assez restreinte; c’est la guerre, et une guerre ne finit jamais bien, respectivement il y aura toujours des victimes. Pire! Celle-ci ne s’arrêtera sans doute jamais. Pardonnez mon pessimisme. Quelqu’un a allumé la mèche, une mèche lente qui fait déjà bien des dégâts en se consumant, ne reste plus qu’à attendre l’explosion. A moins que quelqu’un sache comment couper cette mèche qui serpente tout de même assez rapidement entre les grandes tours et les parcs défraîchis de cette cité de Malceny. Au niveau politique, ce roman est assez parlant. Pour ce monde-là, la fin justifie les moyens! Bonne lecture.

« Territoires », d’Olivier Norek — lorsque la banlieue s’embrase

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