C’est à la manière d’une entomologiste qu’Emmanuelle Richard choisit de nous raconter la passion amoureuse. Dans son nouveau roman, elle cherche, détaille, creuse, dissèque la relation qu’elle a entretenue avec E. Ce faisant, elle essaie de comprendre le mystère qui entoure la naissance d’un amour, ce qui le fait tenir et ce qui le fragilise jusqu’à ce moment où il s’éteint, où il n’est plus tenable, plus vivable.
L’entreprise tient à la fois du besoin et de la thérapie, surtout pour Emma, la narratrice qui est écrivain et s’apprête à sortir un nouveau livre. Besoin de savoir quels sont les éléments factuels qui conduisent à accepter un nouvel homme dans sa vie, envie de guérir de ce nouvel abandon. Car, si l’on oublie les premières expériences durant sa jeunesse au Havre, elle sort d’une précédente histoire avec S. et entend cette fois se préserver d’un nouvel échec.
Elle a par conséquent raison de dire que cette nouvelle histoire ne commence pas avec la rencontre de E., mais « par la redécouverte de la solitude et de la liberté, ça commence par une entreprise de ma part, une inscription sur les sites de rencontres en ligne (…) par la conviction que je veux redécouvrir mon corps et mon désir oubliés depuis trop longtemps et par la certitude que je vais convoquer ce dernier homme comme il me plaira aux heures qui me conviendront».
L’histoire ne commence du reste pas non plus avec leur première rencontre. E. est alors dans son rôle d’agent immobilier et Emma dans celui de la personne qui visite un studio. Elle pourrait commencer avec leur premier rendez-vous dans son bureau. Seulement Emma se perd en route et constate qu’il y a deux rues Lefranc dans cette ville et que son GPS la conduit dans la rue homonyme. Comment tomber amoureuse d’un homme agacé à la voix sèche ? La réponse viendra quelques jours plus tard, insatisfaisante. Parce qu’«on ne sait jamais pourquoi on aime ni vraiment ce qu’on aime quand on aime, d’ailleurs je ne l’ai pas compris tout de suite ce que ça voulait dire les croûtes et le visage détruit et la voix qui partait en vrille et le reste mais j’imagine que c’est ce qui m’a plu, et aussi cette manière qu’il avait de se tenir debout au milieu du désastre, droit et fier malgré tout, cette façon de porter haut ce visage en lambeaux, les grands plis amers qui encadraient sa bouche.»
Faisons ici une parenthèse pour parler du style, de la musique de ce roman qui fait fort souvent fi de la ponctuation, sans doute pour marquer le caractère spontané, l’urgence qu’il a y à dire les choses de manière brute, sans filtre. Sans doute aussi pour retrouver l’authenticité des impressions et des sensations alors que l’histoire est désormais finie. Emma dira «j’ai besoin d’écrire cela, comme si j’étais en deuil. Pourquoi cette nécessité de dire, de peindre, de retrouver ? De sauver.» Et peu plus loin, à la manière d’un haiku : «Terminer ce livre. Finir de déposer pour oublier.»
Voici donc le mode d’emploi. Pour «déposer», Emma tente de recréer l’ambiance, le décor, les vêtements qu’ils portaient, les bruits et des musiques qui ont accompagné la fusion de leurs corps, les odeurs et les parfums qui se sont mélangés. Mais cette profusion de détails ne suffit pas à faire une démonstration : « Je ne comprenais pas cette tendresse, cette douceur entre nous. Je ne comprenais pas cette intimité évidente, cette sensation de familiarité qui penchait vers le double en même temps que cette impression d’une étrangeté et d’une altérité radicales et nouvelles qui me faisaient perdre tous mes repères. Je comprenais encore moins cette confiance réciproque immédiate.»
Deux corps s’appellent et s’apprivoisent pourtant. Le besoin d’être ensemble devient évident, les plans d’avenir s’échafaudent. Le premier différend est vite surmonté. On imagine les journées, soirées, nuits en commun. Mais déjà quelques oiseaux de mauvais augure font entendre leur voix…
S’il fait lire Emmanuelle Richard, ce n’est pas pour y chercher des recettes pour faire durer une histoire d’amour ou encore pour tenter de comprendre ce qu’il faut faire pour éviter l’échec, mais bien plutôt pour partager les moments de grâce, pour la peau qui frémissante et bien vivante.
Ma collection de livres
Relation épidermique
Critique de Henri-Charles Dahlem le 3 avril 2016
Littérature Roman