Danielle Thiéry vient « de l’intérieur », cela se ressent dans cette lecture… Cela ne s’invente pas! Procédures policières, tactiques et techniques de flics, presque tout le monde peut en parler. L’émotion, non…
« Des clous dans le coeur » a été récompensé par le Prix du Quai des Orfèvres, millésime 2013. Ce prix, dont le jury est composé d’une vingtaine de membres, à savoir policiers, magistrats ou encore journalistes, est présidé par le directeur de la police judiciaire (PJ) de la préfecture de police de Paris. Chaque année, environ 80 manuscrits sont envoyés et, suite à une sélection drastique et minutieuse (j’espère), il n’en restera évidemment plus qu’un seul. Le meilleur?
Comme je le fais parfois, je ne vais pas vous relater l’enquête – les enquêtes – qui se trouvent dans ce roman. Je vais simplement me borner à vous transmettre mes impressions, mon ressenti sur ce que j’ai pu « prendre » de ce roman. Finalement, c’est ce qui compte pour se forger un avis concret.
Danielle Thiéry nous livre une intrigue relativement classique, mais qui fonctionne plutôt bien. Elle entremêle plusieurs enquêtes qui vont s’imbriquer petit à petit au fil de la lecture, certaines qui vont s’avérer être plutôt dures à encaisser pour notre personnage principal, flic tenace à la santé précaire, le commandant Maxime Revel, de la direction régionale de la police judiciaire de Versailles. A l’image du titre du roman, cet homme va recevoir plusieurs rafales de clous en plein coeur, dont quelques unes qu’il va s’infliger carrément lui-même.
Le style que nous offre Danielle Thiéry est très professionnel, suivant des procédures précises et claires au niveau technique, se qui semble tout à fait logique étant donné que cette femme flic sait très bien de quoi elle parle. Elle utilise cet atout remarquablement bien; d’une part pour le côté technique et tactique, c’est une chose, mais aussi pour l’émotion qu’elle arrive à transmettre aux lecteurs dans le cadre d’enquêtes de police difficiles, absorbant toute l’âme du flic, voir de l’être qui représente cette fonction. Un défi – si cela en est un – totalement réussi.
L’auteur, dans cette oeuvre, arrive parfaitement bien à décrire ce qu’il se passe à l’intérieur; à savoir que chaque flic est doté d’une âme, avec des émotions, peut-être même des troubles qu’il devrait absolument mettre de côté pour faire son job. Quoi que… Mais ceci n’est forcément pas possible et la planche de bois que chaque flic voudrait dure, impénétrable, et qui fait office de coeur, devient rapidement tendre, vulnérable, et commence à encaisser difficilement ces fameuses salves de clous qui vont s’enfoncer toujours un peu plus profondément. Avez-vous déjà essayé d’ôter un clou planté jusqu’à la base? Non? Et bien voila…
Je vous parlais de l’importance du côté tactique et technique de l’enquête qui est très important à mes yeux pour un polar, évidemment. L’auteur nous comble de ce côté-là, par la précision et la finesse des méthodes utilisées; éléments recueillis, auditions de suspects, de témoins, ou encore – surtout! – par le ressenti, l’intuition de celles et ceux qui sont là pour interpréter tout ces éléments qui arrivent entre leurs mains. Un épluchage complet de la vie d’une victime; la décortiquer couche par couche jusqu’à la mettre à nue afin d’obtenir un maximum de renseignements n’est pas une mince affaire! Mais essentiel…
En ce qui concerne les auditions de témoins, l’auteur nous présente un cas très particulier et fascinant dans cette intrigue; un contact très délicat et hautement déterminant entre les enquêteurs et un jeune autiste. A ce sujet, je ne sais pas si c’est du vécu pour notre auteur flic, néanmoins, il faut admettre que c’est très bien amené et franchement passionnant. Est-ce crédible? J’aimerais bien pouvoir me dire que oui…
Danielle Thiéry nous confie également toute les difficultés que doivent traverser les enquêteurs, toutes ces barrières administratives ou juridiques qui se placent en travers d’une route déjà bien chaotique et qui mène pourtant à ce que tout le monde désire; la vérité, l’arrestation et la condamnation de ou des auteurs, soit finalement que justice soit faite. Des obstacles à l’image des avocats autorisés désormais à assister leurs clients déjà durant la garde à vue. En Suisse, nous les appelons « les avocats de la première heure » – nous y avons également droit – et ce n’est pas pour faciliter les choses! Quand arrêterons-nous d’assister les auteurs de délits ou de crimes d’une manière aussi excessive pour enfin se focaliser, se concentrer et fournir de l’énergie sur l’essentiel, l’aide aux victimes? Bref…
Les personnages évoluant dans ce roman sont intéressants, bien décrits, avec une forte personnalité. Ces protagonistes suscitent rapidement notre intérêt et ce n’est pas si évident de créer cette atmosphère humaine. Chaque membre de l’équipe qui entoure le commandant Maxime Revel est touchant car très humain. Des flics, bien sûr, mais des êtres traînant leur merde comme un fardeau, sans pouvoir le lâcher, tentant de rester à la surface de l’eau en se donnant corps et âme à leur boulot, pour une société qu’ils veulent – qu’ils doivent! – protéger; mais aussi, bien sûr, pour eux-mêmes. De l’égoïsme? Non, je dirais plutôt un accord avec eux-mêmes; ne dit-on pas qu’il faut s’aimer (s’aider?) soi-même avant d’aimer (d’aider?) les autres? Je m’égare…
Certains dans cette histoire iront peut-être un peu trop loin, comme le commandant Maxime Revel. Un personnage très classique dans l’univers du polar, soit bourru, désagréable, efficace, mais qui respecte tout de même, au fond de lui-même, cette équipe qui l’entoure et qu’il a tant besoin pour avancer. Mais paradoxalement un homme qui a terriblement du mal à se respecter lui-même.
Très malade physiquement, à cracher ses poumons; malade psychiquement depuis que son épouse s’est volatilisée du jour au lendemain il y a plus de dix ans; souffrant d’une vie qu’il n’arrive plus à assumer auprès d’une fille anorexique qui semble également dériver sur des vagues qui les éloignent l’un de l’autre, le commandant Maxime Revel va démesurément se focaliser sur une vieille et sale affaire de double meurtres qu’il n’a jamais réussi à démêler, ni à oublier d’ailleurs. Cet évènement, qui s’est déroulé le jour de la disparition de sa femme (association de faits?), le hante profondément et il ne lâchera pas, pour ne pas dire jamais. Un clou, cette fois-ci, pas uniquement planté dans le coeur, mais qui va lui rester en travers de la gorge.
Alors qu’une nouvelle affaire d’homicide touchant une personnalité du spectacle arrive entre les mains de la PJ, Maxime Revel va continuer à errer dans le passé, sentant enfin tenir quelque chose de concret. Un enfant autiste pourrait-il être un bon témoin, même des années après? Revel, malgré cette force d’acharnement qui lui est propre, va se faire de plus en plus bouffer par sa maladie qu’il semblerait vouloir ignorer, mais qui le ronge tellement de l’intérieur qu’il ne va plus pouvoir la mettre de côté comme un simple souci à régler plus tard. Son équipe, témoin d’une déchéance physique de plus en plus concrète et alarmiste, va lui venir en aide et prendre le relais. Bourru le chef, mais qu’est-ce qu’ils ne feraient pas pour lui! Une équipe soudée, c’est certain.
De fil en aiguille – plantée dans le coeur aussi? -, notre enquêteur va se retrouver face à trois puzzles à l’origine bien distincts, mais qui vont se rapprocher, se frôler, pour finalement n’en faire plus qu’un seul. L’image très pointue et aiguisée de ce désormais gigantesque puzzle qui en résultera et qui apparaîtra face au commandant Revel, restera plantée définitivement dans ce coeur déjà bien malade.
Pour conclure, une enquête, une trame relativement classique, avec une sérieuse maîtrise des techniques policières, mais aussi une grande maîtrise pour transmettre les émotions qui se dégagent des divers protagonistes de ce roman.
« Des clous dans le coeur », c’est peut-être du vécu. Bonne lecture.
Prix du Quai des Orfèvres 2013 – « Des clous dans le coeur », de Danielle ThiéryÉtiquettes : prix, prix du Quai des Orfèvres, Quai des Orfèvres