Personne de Gwenaëlle Aubry: ne sommes-nous pas tous fous ?

Critique de le 13 décembre 2009

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (269 votes, moyenne: 3,94 / 5)
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Roman

aubry_personne.jpgFou ? Mouton noir ? Mélancolique ?

Un père laisse à sa fille un manuscrit intitulé « Le mouton noir mélancolique », avec une consigne : « à romancer »  La fille nous livre le texte de base du père. Elle s’interroge sur ce poignant écrit paternel et nous livre une belle histoire : celle d’une fille qui comprend un père au moi faible, au moi de fou. Un père plus transparent à sa fille que ne le serait un papa au moi fort. Moi faible, moi du fou dont le décryptage permet à l’auteure de rejoindre la recherche paternelle d’une coïncidence avec soi, nimbée de la sombre lucidité de l’intellectuel, professeur des universités et avocat, devant sa folie.

Fou ? Ne le sommes-nous pas tous un peu ? C’est que ce père ainsi dévoilé nous est si proche avec ses « dérapages licites qui grippent l’ordre social dont il était par ailleurs si soucieux » (page 30), quand il plaide au tribunal, un cintre dans le dos, accroché à sa robe d’avocat.

Fou ? Cet homme qui adopte les façons d’être de son entourage : juristes, hommes de pouvoir, nous en rappelle bien d’autres.

Caméléon ? Sans doute. Une inconstance , propre à la mélancolie pour Aristote. Déjà ! Alors on pense à tous ceux qui jouent un rôle, mais sans l’habiter, aux hommes de loi, out of laws.

Fou ? Cet homme capable de jouer une pluralité de rôles : simplement un homme capable d’être tour à tour, un flic, un truand, un bourgeois ou un clochard. A lui seul, « il est une troupe de masques » (page 159). Le problème surgit surtout quand il éprouve un désir violent d’inverser les rôles, de « bousculer les codes » ( page 20), éprouvant alternativement le besoin d’être interpellé par la police et celui de protéger une société dans laquelle il se clochardise fréquemment.

Ce père à travers ses enfants, rejoue sa propre histoire infantile, redevient l’enfant de cinq ans qu’il n’a jamais cessé d’être au plus profond de lui-même. Le texte premier, celui qu’il a rédigé et que sa fille commente, est explicite : « Eternel enfant de 5 ans, enfant de chez moi, héros à l’extérieur : dualité bien connue et parfois à l’origine de la psychose maniaco-dépressive » (page 47). C’est que ce père est habité par tant d’autres, SDF ou James Bond, dont il joue les rôles pour remplir son propre vide, son absence de personne.

Pourtant, ce qui est dit, ne se rapporte pas uniquement à la P.M.D. On est simplement dans l’histoire d’une fille qui accède à la vérité du père et l’aime pour ce qu’il est, comme savent le faire nombre de filles dont les pères ont des difficultés avec l’ordre social et la justice. L’auteure porte-parole de ces filles-là ? Elle écrit (page 58) : « Les règles et les lois, il en avait besoin pour leur obéir et les transgresser, pour être puni, rappelé à l’ordre, ou pour les appliquer, il y tenait sans savoir de quel côté il était, flic ou voyou, ça au moins ça ne bougeait pas, c’était son garde-fou. »

Pas besoin d’être psychiatrisé pour en être là. L’important, ici, c’est la compréhension de l’autre, de sa propre fille, ça facilite à l’intéressé l’acceptation de sa propre fragilité. Une fille qui sur sa fin le protège en l’installant dans le reliquaire rassurant et protecteur des objets aimés, rescapés des désastres de vie. La démonstration de l’auteure, montre comment l’amour d’une fille aide l’homme au moi faible à faire un peu bloc avec lui-même.

Une conclusion du livre nous est donnée par Woody Allen, jouant l’homme caméléon : « voilà ce qu’on peut faire quand on est totalement psychotique » (page 158). N’empêche qu’en la circonstance, la foule acclame Zelig après l’avoir conspué. On peut jouer au fou pour se protéger, « mais n’est pas fou qui veut » disait Lacan.

La lecture du livre ouvre tant d’interrogations sur notre identité, telle que nous la ressentons et que nos enfants la perçoivent, que j’ai relu plusieurs fois le livre de Gwenaëlle Aubry.     

Personne de Gwenaëlle Aubry: ne sommes-nous pas tous fous ?

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