OLIVIER ADAM Le cœur régulier
Histoire de Sarah écrite avec élégance, poésie et un sens de la narration qui tient en haleine.
C’est une femme mélancolique, protégée de l’idéologie dominante par la lecture des romans de Modiano. Elle part à la recherche de son frère en haut d’une falaise japonaise d’où se jettent des suicidaires. Nathan est venu là avant de se tuer en voiture à Paris. Ce deuil l’a conduit dans une expérience limite entre la mort et la vie. Pleine mélancolie de l’expérience du deuil. Sarah s’adresse des auto-reproches qui, en réalité, sont destinées au frère disparu. Ce mort, en disparaissant l’a rivé de son alter ego, du double d’elle-même, du partenaire avec lequel elle conversait dans un langage intime, à un autre étage, au sein d’une cryptophasie gémellaire maintenant disparue.
» Nathan était brun et sec, une liane à la peau fine… Les autres on prenait soin de les éviter… nous vivions à un autre étage du monde, paniqués par une indéfinissable menace » (p.141)
C’est une femme qui voudrait que l’on s’occupe d’elle. Elle vit un moment chez Natsume, l’homme qui a sauvé Nathan du suicide. Il pose simplement sa main sur l’épaule des désespérés, leur parle doucement, ensuite, les ramenant chez lui il s’occupe d’eux. C’est les pensionnaires qui le disent à Sarah plutôt jalouse.
« Longtemps après avoir quitté Louise j’avais repensé à cette conversation. » Il s’occupe de nous. » Et moi, avais-je songé, qui s’occupe de moi ? Qui me retient si je tombe ? Qui posera sa main sur mon épaule ? » (p.76)
C’est une femme en pleine transgression : abandon de sa famille, relations sexuelles avec Hiromi, une adolescente amoureuse de son frère. Elle se glisse dans la peau de son frère lorsqu’elle est embrassée par l’enfant. Plaisir d’avoir ses lèvres « sur la bouche d’Hiromi qui m’embrasse soudain, dont la langue fouille la mienne, vive et fraîche entre les lèvres épaisse et douces » (p.155)
Ses transgressions exubérantes, facilitées par l’alcool, ne sont-elles pas aussi le franchissement d’une limite, celle du refoulement ?
La petite voix intérieure de sa raison, amplifiée par les appels téléphoniques de sa famille, observe craintivement ce dépassement. Est-il sans retour ? Non puisqu’elle reviendra à Paris, après avoir baigné dans une excitation mixte de plaisir et souffrance. Elle retrouve sa fille psychiatrisée et renait brutalement à la vie de famille. « … j’avais de la mémoire, je pouvais me glisser sous sa peau, dans ses yeux, son cerveau sans efforts, nous n’étions qu’une. » (p.223)
Mais avant le retour à Paris, elle a bien mal à sa peau. Une écorchée vive qui a besoin de ces contacts peau à peau avec ceux qu’elle rencontre. Elle se livre à une sorte de commerce de peaux qui se frôlent et se collent, jusqu’à donner l’illusion d’une peau commune, celle d’un monde aquatique évoquant le liquide amniotique. Au Japon, elle a fait l’amour avec le vieux tenancier d’une boutique de plage. Elle raconte :
« Après qu’il a joui nous nous endormons sur le tatamis, un drap troué nous recouvre, la pluie sur le toit produit un cliquetis mat, dégouline des gouttières, se dilue dans la mer, le monde n’est plus qu’une rumeur océane, une grande peau glissante et silencieuse. »(p.204)
Au terme de son expédition japonaise, elle retrouvera son identité dans les yeux de son fils Romain :
« Quand il m’a vue son visage s’est éclairé, une seconde il m’a semblé y trouver la trace ancienne mais vibrante d’un enfant à peine enfoui, d’un enfant qui avait été le mien,une part de moi, à peine dissemblable de mon propre corps. »(p.232)
OLIVIER ADAM LE COEUR REGULIER