On ne lit pas un roman de Fred Vargas, on le vit. Attaquer un « Vargas », c’est ouvrir une porte sur un monde à part, un autre univers qui nous propulse gracieusement – mais avec force – dans une ambiance décalée. L’auteur, munie de sa plume aérienne, débordante d’ironie, d’humour pertinent et subtil, plonge le lecteur dans un polar digne d’un conte, un récit peuplé de légendes et de mythes. Un polar atypique avec des personnages totalement atypiques aussi et puissants au niveau de leurs dimensions et de leurs intensités. Fred Vargas nous donne une bonne leçon sur les rapports humains!
Ouvrir un livre de Fred Vargas, c’est faire connaissance avec des personnages remarquablement vivants, attachants et relativement énigmatiques pour certains. Le lecteur restera fasciné et séduit par une telle réussite, à savoir apporter une réelle épaisseur, une âme considérable aux protagonistes d’un roman. Fred Vargas, avec ce côté caustique, vif et dégagé, est totalement parvenue à accomplir ce tour de force.
La qualité, la fantaisie et le style des dialogues sont une vraie marque de savoir-faire dans les oeuvres de Fred Vargas. Le lecteur ne peut que se retrouver agrippé, emporté et immergé dans l’histoire avec de tels échanges. Toute l’intensité des personnages se retrouve là, lors de ces remarquables conversations perçantes, adroites, incisives et magiques; un défi qui n’est, j’imagine, pas facile à réaliser. Mais Fred Vargas semble très à l’aise pour faire parler ses héros, avec habilité, légèreté et beaucoup d’esprit. L’auteur soigne le dialogue, semble y attacher une importance majeure et offre au lecteur un rendu débordant de finesse et de sagacité. Je pense que l’auteur serait capable d’écrire un roman uniquement composé de dialogues, tout en gardant le lecteur scotché du début à la fin.
Les enquêtes menées par le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg sont un réel régal, un menu complet composé d’intrigues bien ficelées, astucieuses et délurées, aussi dégantées que les personnages qui y évoluent. Beaucoup de morts, de morts violentes bien évidemment – c’est un polar! – mais paradoxalement jamais de douleurs, de deuil ou de souffrance.
Les victimes sont souvent des personnes seules ou sans vraiment d’attaches – je dis « souvent » mais je crois bien que c’est même toujours le cas – et du coup l’auteur arrive à céder au lecteur une histoire avec des faits violents et brutaux, tout en le ménageant d’un point de vue émotionnel. Et il ne faut pas me faire croire que c’est un hasard; bien trop brillant pour être une coïncidence. C’est une sensibilité appréciable de la part de l’auteur, un détail respectable et honorable.
L’évolution de l’intrigue est ponctuée de rebondissements et de contrecoups – autant que dans le cerveau d’Adamsberg d’ailleurs – mais aussi marquée de rencontres atypiques, surprenantes et émouvantes, comme ces fameux trois historiens surnommés « Les Évangélistes », trois personnages puissamment forts en caractère, totalement inclassables, et qu’il faut absolument accoster un jour en ouvrant un Vargas. L’enquête en elle-même se tient bien et suit une logique implacable. Donc pas de place au hasard! Fred Vargas nous achève enfin avec un dénouement souvent bluffant, totalement inattendu et imprévisible. Et c’est souvent à ce moment-là que nous nous rendons compte de l’ingéniosité ahurissante du commissaire Jean-Baptiste Adamsberg.
Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg… C’est tout une histoire à lui seul! Personnage infiniment humain, simple et complexe à la fois. Il aime tout ce qui l’entoure, il le respecte, l’emmagasine et le vie pleinement. Cet homme s’accroche férocement et parfois même sans le savoir aux détails anodins que personne ne voit et qui échappe à un cerveau ordinaire. Oui car Adamsberg n’est pas ordinaire. C’est un flic qui fonctionne au feeling, sans vraiment de méthodes, qui suit ses intuitions déraisonnées et extravagantes qui le mène toujours – étonnement! – sur la bonne piste. Car Adamsberg observe, explore, se perd, se retrouve, se perd encore pour finalement aboutir. Sa contemplation et son errance le pousse parfois à s’enfermer dans sa bulle pour ne plus y ressortir. Du moins, pas avant d’avoir mis de l’ordre dans son cerveau encombré, chaotique et embouteillé. Mais notre homme arrive toujours à démêler les ficelles qui engorgent son esprit, petits bouts par petits bouts, consciencieusement. Car Adamsberg est lent. Efficace mais lent, et ça énerve tout le monde.
Doté d’une grande sensibilité, Jean-Baptiste Adamsberg est aussi une personne qui apprécie les gens, qui prend le temps de les comprendre – de les aimer? – et surtout de les cerner. Allant peut-être même parfois jusqu’à se mettre à leur place. Car pour comprendre les gens il faut inévitablement les connaître, détecter leurs défauts, leurs qualités, comprendre leurs motivations, deviner leurs secrets; et là notre flic excelle et le démontre brillamment. Toujours avec calme et sérénité, bien entendu, car Adamsberg n’avance pas vite, et oui. Pour cet homme, le comportement, l’expression et l’attitude des suspects ne sont pas un élément, mais tout simplement une preuve.
« S’il y avait une chose que Danglard réprouvait plus que tout chez Adamsberg, c’était cette façon de considérer ses sensations comme des faits avérés. Adamsberg rétorquait que les sensations étaient des faits, des éléments matériels qui avaient autant de valeur qu’une analyse de laboratoire. Que le cerveau était le plus gigantesque des labos, parfaitement capable de sérier et d’analyser les données reçues, comme par exemple un regard, et d’en extraire des résultats quasi certains. Cette fausse logique insupportait Danglard. »
Adamsberg – je vous l’ai dit – est très respectueux, mais semble avoir du mal à se plier aux directives, aux ordres ou même aux lois. Ses intuitions et ses méthodes ne lui permettent pas de suivre les chemins préfabriqués qu’il serait peut-être censé emprunter. Ce qui compte, c’est de savoir ce qui s’est passé, pourquoi, comment et par qui. Le reste suivra son cours… A se demander finalement si c’est vraiment le flic qui choisi sa route ou si c’est elle-même qui se place sous ses pieds, guidée par l’instinct de celui qui y déambule.
Mais les faits et gestes du commissaire ne sont pas cautionnés par tous le monde, par-exemple par son adjoint Adrien Danglard. Très complémentaire, cet homme marié et père de cinq enfants est quant à lui très méthodique et doté d’un savoir immense. Toujours là pour tenter de raisonner Adamsberg, mais cela reste incessamment qu’une tentative qui se heurte contre la fermeté de son chef. Danglard, c’est aussi celui qui cherche constamment des planques dans le commissariat pour… ses bouteilles de blancs.
Il y a aussi Violette Retancourt, celle qui sait tout faire et qui est toujours là quand il faut. Énormément appréciée par Jean-Baptiste Adamsberg, cette femme d’une corpulence hors-norme garde pas mal d’atouts en main. Nous évoluons aussi aux côtés de bien d’autres personnages, tous d’une épaisseur remarquable, dotés d’un caractère bien spécifique, soit des gens du cru!
« L’armée furieuse »
Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg reçoit un jour la visite d’une femme venant tout droit d’un petit village appelé Ordebec, en Normandie. Cette femme visiblement effrayée et peu bavarde a fait le déplacement jusqu’à Paris uniquement pour parler à Adamsberg, et rien qu’à lui. Visiblement, elle ne fait pas confiance à la police de sa région. Mais pourquoi? Voilà la question qui taraude notre commissaire, intrigué face à cette petite personne qui en dit juste assez pour l’intéresser mais bien trop peu pour y comprendre quelque chose. Cette dame semble avoir très peur de parler.
Finalement, un peu rassurée, elle lui explique tout. Mais pour Adamsberg cela n’a aucun sens. Valentine Vendermot lui raconte qu’un homme, Herbier – c’est son nom -, a disparu depuis quelques temps. Plus personne ne l’a vu dans le village. Un homme mauvais, un sale type. Mais alors pourquoi s’en faire? Valentine lui explique alors qu’une nuit, sa fille Lina a vu passer L’Armée Furieuse sur le chemin de Bonneval. Herbier y était aussi, il criait, accompagné de trois autres hommes. L’Armée Furieuse… Le commissaire se demande bien ce que cela peut-être. Il se renseigne auprès de Danglard, son adjoint qui sait tout sur tout.
Il lui apprend alors que L’Armée Furieuse, ou « La Mesnie Hellequin » est une troupe maléfique, des chevaliers, qui saisissent des criminelles impunis qui supplient pour qu’une bonne âme répare leurs forfaits immondes pour être sauvés du tourment. Mais le problème est le suivant et il est de taille pour Adamsberg. Il s’agit d’une légende datant du 11ème siècle et les chevaliers en question sont des morts! Mais Lina, la fille de Valentine Vendermot, les a vus emporter Herbier et trois autres hommes du village. Selon elle, Herbier est mort, ou va mourir bientôt, et les autres hommes aussi. C’est L’Armée Furieuse qui veut ça, on ne peut rien contre elle.
Adamsberg, suivant son instinct et son intuition légendaire, va tout de même décider de se rendre dans ce petit village de Normandie, juste pour voir, juste pour se faire une idée… C’est en se promenant sur le chemin de Bonneval qu’il va faire une rencontre intéressante, bouleversante, et c’est surtout à ce moment qu’il va apprendre la mort violente d’Herbier. L’Armée Furieuse? Non.. Quoi que… Une grande aventure semée de morts, de psychoses et de peurs, sur un fond de légendes normande, va débuter pour Adamsberg et son équipe. Le commissaire va tenter de faire la lumière sur ces assassinats surprenants, barbares, qui affolent les villageois d’Ordebec, très imprégnés par cette fameuse légende qui refait surface après tant d’années.
Jean-Baptiste Adamsberg sera également occupé sur une autre affaire, à Paris. Une enquête délicate qui suscite l’intérêt des hautes sphères par sa sensibilité. Un homme respecté, puissant et influent dans le domaine économique a été découvert brûlé dans sa voiture. Un acte criminel, cela ne fait aucun doute. Un jeune délinquant, pyromane à ses heures perdues, est rapidement soupçonné et arrêté. Jean-Baptiste Adamsberg, qui connaît bien ce gamin, n’y crois pas et va utiliser ses méthodes peu orthodoxes pour le prouver. Une mise en scène des plus subtiles mais terriblement risquée! C’est le prix de la vérité.
Sans oublier ce fameux pigeon – un vrai, l’oiseau – condamné à mort, qui est retrouvé devant le commissariat, avec les pattes attachées par de la ficelle. Bien entendu, Adamsberg va également s’en occuper, avec autant d’énergie que s’il s’agissait d’un crime commis sur une personne. Car Adamsberg, il aime les gens, mais pas lorsqu’ils commettent des cruautés!
Méfiez-vous de l’Armée Furieuse qui risque de passer une nuit sur le chemin qui passe près de chez vous, surtout si vous avez commis des crimes odieux, impunis jusqu’à ce jour… Bonne lecture.
L’univers de Fred Vargas + « L’armée furieuse »Étiquettes : armée furieuse, Fred Vargas