Le roman d’une vie. À plus de 80 ans, Jean Octeau fait paraître son premier roman. Fruit de longues recherches, accompagné d’une bibliographie impressionnante, de notices biographiques et d’un lexique, cet épais volume se lit toutefois sans peine. Car l’auteur a trouvé l’angle idéal pour faire revivre un épisode trop peu exploré de la Seconde Guerre mondiale : le trafic à grande échelle des œuvres d’art.
Il aura aussi trouvé le narrateur idéal en la personne de Karl Schuster, un jeune Roumain qui, dans l’Europe des années folles, donne des conférences dans les musées et commente avec verve autant que par goût de la provocation les œuvres accrochées aux cimaises.
Au début du livre, il quitte Berlin pour retrouver ses parents dans sa Transylvanie natale. Un voyage lui permettant d’évoquer sa jeunesse, d’esquisser le portrait de ses père et mère et de rencontrer Esther, une jeune fille dont il tombe quasi instantanément amoureux.
Seulement voilà, à l’époque de la crise de 1929 et de la montée des périls, s’engager une histoire d’amour dans un pays qui fait l’objet de convoitises, avec une juive de surcroît, n’est pas une sinécure.
Au fur et à mesure que le parti national-socialiste installe son discours nauséabond et que les exactions anti-juives prennent de l’ampleur, Karl va devoir louvoyer pour continuer à voyager à travers l’Europe tout en essayant de protéger Esther.
Avec l’aplomb de sa jeunesse et l’idéalisme qui mène son combat, il va même parvenir à mener double jeu pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi les rencontres qui vont l’aider, une autre femme va jouer un rôle déterminant : Janina.
Fouillant les dossiers, recoupant les informations et secouant son protégé, elle va jouer le rôle alors assez répandu d’agent double, et offrir à Karl les renseignements lui permettant de pister les tableaux volés. Un sorte de Monuments Men à lui tout seul.
Mais là où le film de George Clooney adapte la réalité à la sauce hollywoodienne, Jean Octeau fait œuvre d’historien et replace le combat pour les œuvres d’art dans le vrai contexte. S’il confirme le rôle de Rose Valland, cette employée du musée parisien du Jeu de Paume qui a tenu au péril de sa vie le registre des œuvres volées en France, et qu’il rencontre à Paris, il ne fait pas grand cas des autres protagonistes.
En revanche, sa visite dans la mine proche du lac d’Altaussee lui apportera l’éclatante confirmation que son combat n’aura pas été vain. Des découvertes qui sont pourtant loin de le sauver. Quand la tenaille se resserre, il comprend que d’une part l’armée soviétique ne lui fera pas de cadeaux, que son père qui fournissait l’armée allemande en vin, et sa famille sont également menacés. De l’autre côté, les alliés le suspecteront également d’être à la solde des nazis. Il lui faudra alors tenter de justifier son action, ses voyages, ses relations.
«En trois jours, tout allait chavirer. Dimanche Hambourg était bombardée. La ville subissait le même sort que Cologne et Essen, la guerre continuait, rien de nouveau sauf une obscure appréhension. Mercredi, d’un seul coup, l’horreur frappe là-bas, un ouragan de feu dévaste tout sur son passage, aspire l’oxygène des abris, fait fondre l’asphalte des rues, laissant des dizaines de milliers de morts.»
Autour de lui, tout s’effondre. La mort rôde. L’issue fatale est proche. Doit-il croire le cynisme des nazis et leurs mauvais augures : «Réjouissez-vous de la guerre, car la paix sera épouvantable.» Une fois encore, avec l’aide des femmes, il va pourtant réussir à s’en sortir, alors que le crépuscule des dieux recouvre l’Allemagne.
Aussi poignant que documenté, ce récit éclaire d’un jour nouveau cette sombre période de l’Histoire. Un moment où faire un choix n’était pas chose aisée. Un premier roman qui est aussi un grand livre !
Ma collection de livres
Les tilleuls de Berlin… à la poursuite des œuvres d’art
Critique de Henri-Charles Dahlem le 6 juin 2016
Roman