Une image, un diagnostic ainsi qu’une question vont sans doute hanter le lecteur au moment de refermer ce livre poignant. Il y a d’abord ce décor, un lit médicalisé installé dans la pièce à vivre – la si mal nommée – d’un petit pavillon. Un homme immobile l’occupe, surveillé par une femme qui n’a plus d’âge.
Le diagnostic est sans appel, il tient en trois lettres : AVC. « Que s’était-il passé ? Une grenade avait pété dans la tête de Lo Meo. À qui la faute, voilà le plus dur. Ils avaient dit qu’à ce stade même une rognure d’ongle aurait suffi, ses vaisseaux étaient devenus si petits, un rien pouvait faire barrage. Faire barrage. Couper la circulation. Route barrée, vies au caniveau. Un accident vasculaire cérébral comme un embouteillage en pleine campagne, l’horizon mangé par le dos rond des bagnoles. »
Pour l’épouse et pour ses enfants commence alors l’une des pires épreuves d’une vie, résumée dans cette phrase cinglante « il est une chose plus pénible encore que d’apprendre la mort d’un être aimé, c’est de l’attendre ».
Avec Sali, qui a choisi de veiller son mari jusqu’à l’épuisement, on se demande alors comment on réagirait dans une telle situation, tout en espérant ne jamais avoir à être confronté à ce drame. « Elle commença à violenter ses méninges à la recherche de son rôle dans l’histoire, la fin de leur histoire ; sa place n’était pas à côté, les bras chancelants et le cerveau pilonné, elle était avec. »
Pour un premier roman, Marine Westphal fait preuve d’une belle maîtrise dans la construction de cette histoire et surtout d’une écriture sèche, sans fioritures, sans pathos. De la sensibilité sans sensiblerie en quelque sorte. Mais un sens de la formule choc, d’où cette incroyable force qui se dégage de ce court roman que l’on prend comme un coup de poing et qui fait mal, nous laisse exsangues.
Mais Sali ne jette pas l’éponge et décide de remonter sur le ring, « car elle avait un but, un incroyable objectif qui mobilisait toutes ses pensées et ses forces ; ne pas le laisser crever là, lui qui aimait tant l’impolitesse du vent et les grands espaces. » Même si elle doit faire fi des conventions, se heurter à ses enfants qui ne comprennent pas cette initiative, « elle avait encore le droit d’essayer de faire ça pour lui : sauver sa mort, puisqu’elle ne pouvait sauver sa vie. »
Après trente-six ans de vie commune et d’un bel amour qui ne peut s’éteindre sans un dernier geste, nous voilà entraînés dans un ultime voyage, une dernière randonnée… inoubliable.
La téméraire