Les sexes ne s’entendent pas vraiment. Surtout, justement, en matière de sexe. Voilà un postulat autour duquel nombre d’entre nous pourraient aisément s’accorder. Mais s’il semble que les désaccords qui animent les sexes soient une caractéristique propre à toutes les espèces, cela ne l’explique pas pour autant. Pour autant, qui pourrait jeter de véritables réponses dans la gueule affamée du terrible « pourquoi ? » que ce constat réveille ?
Dans son ouvrage paru en 2006, Thierry Lodé, biologiste français, professeur en écologie évolutive et spécialiste de la sexualité animale (ce qui ne doit pas être étranger a ses positions anti-mariages ; idem pour ses idées d’une sexualité affranchie de tous tabous sociaux), se propose d’étudier le « conflit sexuel » à la lumière nouvelle des nombreuses interprétations et découvertes que la science a permis depuis les balbutiements des thèses Darwinistes. Et il le fait fort bien.
Le livre est tout simplement excellent. Savamment détaillé, plein d’humour, regorgeant d’anecdotes aussi étonnantes que bizarres; l’essai de Lodé se distingue également des travaux de ses pairs par son effort de vulgarisation subtil, qui loin de laisser au lecteur l’impression désagréable d’être un enfant auquel on apprendrait encore l’alphabet – défaut majeur du genre, en général – lui laisse au contraire le soin d’approfondir lui-même certains des points évoqués dans le livre (pas moins de quarante pages de références bibliographiques!), en lui épargnant les métaphores un peu bébêtes et autres explications puériles qui auraient pu l’irriter. Aussi, si je
salue l’intention, je n’en profite pas moins pour vous mettre en garde : car à moins d’être un passionné rompu aux arts de la biologie évolutive et de l’éthologie, ce n’est pas le genre de livre qu’on ouvrira dans le bus ou à la laverie du coin. Il faudra prendre la peine de se documenter un peu sur le sujet au fil de la lecture.
Mais revenons à ce que nous dit le livre. Grossièrement, La Guerre des sexes chez les animaux critique les modèles néo-darwiniens relatifs à la sélection sexuelle, en rendant tout d’abord aux femelles de toutes espèces, l’importance d’un statut que des années d’obscurantisme avaient feint d’ignorer en scandant la passivité de leurs interactions au sein du système évolutif (par nature, les femelles ne peuvent multiplier les descendants par autant de copulations, contrairement aux mâles). Loin de reposer sur une simple diffusion des gènes par les mâles sur les femelles donc, la sélection sexuelle découle des interactions entre les deux sexes.
De même, l’idée reçue qui voulait que les signaux phénotypiques (caractères observables) interprétés positivement par le sexe opposé soient motivés par un éventuel gain génotypique (de « bons gènes ») est elle aussi récusée, entre autres.
En fait, ce que nous dit La Guerre des sexes chez les animaux, c’est que si chaque sexe s’oppose si âprement en défendant des intérêts qui lui sont propres, c’est pour une bonne raison. Mesdames et messieurs, il s’agit d’évoluer, rien de moins. La voila, notre réponse.
En effet, le conflit sexuel déclencherait un processus de co-évolutions antagonistes qui verrait chaque sexe évoluer en le contraignant à développer des traits qui lui donneraient l’avantage sur l’autre sexe. Ainsi, par exemple, les mâles pourraient se voir parés d’attributs toujours plus séduisants, quand les femelles de leur coté développeraient des stratégies de résistance toujours plus élaborées. La diversité de ses stratégies entrainerait l’émergence de nouvelles espèces. En somme, le conflit sexuel serait un moteur important de l’évolution.
Conclusion, ce n’est pas près de changer. Et si ce livre ne console pas l’homo sapiens qui déplorait de voir les rapports des deux sexes se placer sous le signe du conflit, il lui permet néanmoins de passer un excellent moment, et de s’instruire un peu tout en l’amusant. Et puis qui sait si, fort de toutes ses théories, le lecteur ne pourra pas épater un membre du sexe opposé et parvenir ainsi à ses fins à l’occasion… Percer les mystères du conflit sexuel pourrait être un avantage adaptatif. Dans tous les cas, je le recommande très vivement
La Guerre des sexes chez les animaux, (Thierry Lodé).Étiquettes : Darwinisme., Evolution, Sexualité, Thierry Lodé
Très bonne critique de ce livre ultrapassionant. Entre ceux qui assurent que Lodé décoiffe sans convaincre et ceux qui découvrent la complexité tautologique de la sélection sexuelle, ce livre assène tranquillement une critique exhaustive du sujet. Pour la première fois, comme le souligne cette critique intelligente, un auteur s’intéresse au point de vue féminin et à la diversité des somportements sexuels. éviedemment, çà ne peut pas plaire aux théoriciens naïfs car les arguments dessinés sont appuyés par une bibiographie immense comme le fait remarquer hannibalhive. En dépit d’une pensée complexe mais rédigée avec la vivacité littéraire d’un bon auteur, espérons que des lecteurs rendus intelligents y consacrent du temps. Félicitations à hannibalhive pour avoir permis de se faire une idée aussi synthétique d’une oeuvre fascinante.