Voilà un titre qui pourrait être le départ d’un joli roman d’amour! Etre toujours là pour toi, quelle belle preuve d’un fidèle engagement. D’ailleurs, la première ligne du roman va pas mal dans ce sens:
« La puanteur de la chair en décomposition imprégnait les murs ».
Première phrase d’un prologue qui nous plonge rapidement dans un bain de sang. Et bien entendu, pour l’histoire d’amour, vous repasserez!
Un bon rythme, une tension qui perd par contre un peu d’intensité de temps en temps – quelques longueurs qui m’ont dérangées – mais rien de significatif. Cela avance bien, et surtout nous sommes richement récompensés vers le dénouement où le rythme s’emballe et s’accélère méchamment. L’auteur joue pas mal avec la psychologie des protagonistes du roman, il semble aimer nous manipuler en nous faisant perdre le fil en ce qui concerne l’approche des personnages qui évoluent dans cette histoire de fous. Et il le fait plutôt bien.
Ce que Philippe Savin réalise également très bien – et c’est plutôt important, surtout pour un premier roman -, c’est le fait d’avoir créé – ou plutôt fait ressortir – le vécu des personnages. Ils ont un passé, concret et bien précis; ils ne démarrent pas leur vie au début du bouquin et cela est merveilleusement bien amené. Penser que les personnages ont vécu avant le roman et qu’ils vivront après le roman dans lequel ils progressent est pour moi un élément primordial. Enfin, pour ceux qui auront la chance d’avoir la vie sauve!
Pour mes autres impressions, j’y reviens après.
Habitant un petit mas en granit à l’entrée d’Anduze, dans le Gard, Languedoc-Roussillon, les Prieurs sont une famille unie et visiblement heureuse. Le commandant Nathan Prieur est flic dans la région d’Alès, après avoir oeuvré 12 ans à Paris, au fameux 36 Quai des Orfèvres. Il a connu sa femme dans la capitale alors qu’elle y était montée pour ses études, puis pour un job dans le secteur du graphisme. Karine est une artiste…
Puis c’est la fuite. S’éloigner de Paris est devenu une question de survie. La famille Prieur s’est heurtée au mal absolu; je ne donnerai pas plus de détails, évidemment. Ils sont alors descendus vers le sud, pour s’installer dans la demeure familiale de l’épouse, avec les deux enfants; des jumelles, Chloé et Lucie, âgées de 16 ans. Mais depuis quelques temps, une tension stagne autour des membres de cette famille; Lucie est très nerveuse, elle semble cacher quelques chose. Nathan, quant à lui, demeure en permanence confronté à de vieux démons, répercussions d’une tragédie qui s’est déroulée à Paris.
Quelque chose s’est détruit définitivement. Malheureusement pour nous, l’auteur tardera à nous dévoiler davantage d’informations qu’il déposera plutôt au compte-gouttes. Le suspense se cultive, c’est vrai, et à ce niveau là Philippe Savin a trouvé le bon dosage pour arroser cette agitation qui sort tranquillement de terre…
Lucie, justement, et Amandine Chambers, belles nanas, collégiennes, sont deux amies inséparables. Un peu effrontées, insouciantes aussi peut-être, aimant jouer avec certaines limites, ces deux ados ont visiblement un grand secret. S’entraînant mutuellement, elles vont s’engager bien trop près d’un précipice. Ou peut-être pas…
En parlant d’adolescente, le commandant Prieur va justement se rendre sur une scène de crime impliquant une jeune fille. Le corps mutilé de la malheureuse a été retrouvé un dimanche matin par des promeneurs de la région, au fond d’une grotte. L’état du cadavre démontre clairement l’ampleur des actes abominables qui ont été commis. La jeune fille a été torturée longuement à coups de couteau et barre de fer, avant d’être brûlée. Egalement sur place, le substitut du procureur, un homme juste et charismatique – un peu perturbé quand-même! – demande à Prieur de régler cette affaire rapidement et en sourdine; il ne veut pas que la région devienne le terrain de jeux d’un tueur pareil. Le commandant en prends acte… Lui non plus, il ne veut pas revivre ce qu’il essaye justement d’oublier. Traumatisme.
La jeune fille torturée, c’est Amandine, la copine de la fille du commandant Prieur. Cette fois-ci, il sait pertinemment que le mal l’a suivi personnellement jusque dans les Cévennes. D’autant plus que sa propre fille, Lucie, ne va plus donner de signe de vie; disparue. L’enquête préliminaire dévoilera des éléments pas vraiment agréables pour notre flic, sa fille semblait cacher par mal de choses. Les premiers indices récoltés vont diriger les enquêteurs vers un univers peu glorieux, vers le milieu du sexe, mais pas son côté le plus propre et reluisant. L’auteur nous fait découvrir le monde du vice en nous ouvrant les portes d’endroits relativement glauques, sombres et inquiétants, dans lesquels se mêlent débauches, séances de cul multiples et un peu de violence pour pimenter le tout.
L’auteur manie les ficelles et les codes du thriller avec une grande adresse. Univers glauques, oppressants, le lecteur n’est pas tranquille. On soupçonne rapidement maintes personnes qui évoluent dans cette histoire alors qu’il ne s’est encore presque rien passé. Ce n’est pas devenir parano ça! Il faut dire que l’auteur provoque bien les choses en mettant en scène des personnages troublants, troublés et pas vraiment nets.
Pour le personnage du commandant Prieur, par exemple, l’auteur nous dépeint un homme fort, en apparence, avec une grande capacité de maîtrise, mais finalement nous sommes face à une personne qui a tout perdu, sa maîtrise, son sang-froid et je crois bien sa raison. Une hargne sans précédent va l’aider à rester à la surface d’une eau sale, noire et nauséabonde, dont les tréfonds le tirent toujours un peu plus vers le bas, vers un gouffre insurmontable. C’est en s’octroyant quelques longueurs d’avance sur ses collègues qu’il va tenter de nager vers une vérité qu’il compte bien atteindre; pour retrouver sa fille, pour sa famille, pour leur survie.
Il devra cependant trouver un dosage respectable entre le flic serein, posé qu’il est et le père désespéré, perdu, déterminé et irraisonnable qu’il est devenu.
« Il était le reflet amer de son existence. »
Une sale affaire de famille – une autre! – sera également mise en avant. On le sait, les histoires familiales sont parfois assez destructrices.
Les scènes sont décrites d’une manières précises, cinématographiques je dirais même. On vit ces scènes en compagnie de personnages qui, eux-mêmes, sont particulièrement bien campés, profonds, épais, surtout sur le plan psychologique.
La région des Cévennes, Philippe Savin semble bien la connaître. Il arrive à la décrire par diverses façons assez originales, comme par exemple les toiles que Karine Prieur peint dans le petit hangar jouxtant leur maison. Mais aussi par diverses légendes que Karine, toujours, avait l’occasion de découvrir par les histoires que son père lui racontait lorsqu’elle était petite. En résumé, l’auteur nous dépeint une région sous sa forme la plus sombre, évidemment, ce n’est toujours pas un roman d’amour.
L’auteur nous emmène également à Paris, et là aussi, ce n’est pas vraiment une agréable promenade effectuée dans un car de touristes! C’est plutôt une tournée en enfer, dans les secteurs les plus glauques, crades et déprimants, dans des recoins où même les cafards se cachent certainement pour aller gerber.
J’ai pu remarquer que l’auteur met souvent un sujet en avant dans son roman, par le biais de réflexions de divers personnages. Dieu, s’il existe, est-il responsable du malheur qui s’abat sur nous, est-il finalement toujours de notre côté, ou alors se faufile-t-il parfois dans la peau du Diable pour se défouler un peu. Pourquoi le monde est-il dans un tel état? Dieu nous a-t-il donné ce que nous avions besoin et ensuite, aux hommes de se débrouiller! Ce n’est pas gagner visiblement… Cette réflexion n’est pas si décalée finalement, lorsque nous faisons un constat global du monde qui nous entoure…
Et il reste le dénouement, je n’en ai pas parlé de ce fameux dénouement qui peut parfois tout foutre en l’air dans un excellent roman, suite à une bonne intrigue. Mais ici je vous rassure, c’est du lourd! L’auteur n’épargne quasiment personne, en tout cas pas le lecteur. Philippe Savin a mis en place une structure intéressante. Quelques personnages clés sont reliés à des évènements, des faits bien précis. Mais cela, le lecteur ne le sait pas et cette structure se met en place pièce par pièce. Dans un premier temps, l’auteur relie un peu le tout pour bien nous bluffer et c’est ceci qui donne ce schéma pervers qui nous pousse à douter, à soupçonner un peu tout le monde. Philippe Savin nous transforme en vrais paranos! C’est uniquement vers la fin que les traces menant vers plusieurs chemins apparaissent. Franchement, c’est plutôt bien vu!
Il s’agit du premier roman de cet auteur, moi je dis bravo!
Bonne lecture.
« Je serai toujours là », de Philippe Savin