« Suintant l’hiver et le poisson, Sokcho attendait. Sokcho ne faisait qu’attendre. Les touristes, les bateaux, les hommes, le retour du printemps. » Amis lecteurs, vous voilà prévenus. Si vous ne voulez pas mourir d’ennui, évitez cette station balnéaire de Corée du Sud, surtout en hiver. Et comme il ne s’y passe rien, ce n’est que par la brillante plume d’Elisa Shua Dusapin que ce roman fascine.
Il met en scène la fille d’une coréenne et d’un Français qui a disparu aussi vite qu’il était venu et qui nous raconte sa rencontre avec Yan Kerrand, un auteur de bandes dessinées venu là pour «être au calme» et chercher l’inspiration pour sa prochaine histoire. En phrases courtes, elle dépeint une atmosphère, nous fait humer les odeurs de la cuisine qu’elle prépare pour les rares clients de la pension où elle travaille et celles du port où travaille sa mère, dépeint les paysages pris par la neige et le froid. Et comme son ami s’intéresse plus à sa carrière de mannequin à Séoul qu’à entretenir sa relation, elle va trouver dans l’observation de ce touriste solitaire une occupation qui va, au fur et à mesure, l’intéresser de plus en plus. Si elle trouve l’humour de l’artiste assez inaccessible, il sent bon. Ce «mélange de gingembre et d’encens» l’attire, tout comme son travail. Du reste son petit jeu va vite trouver sa réciproque. Yan l’invite à le guider à la découverte de ce petit très dépaysant. Elle va accepter de l’aider. Ils vont s’observer mutuellement, s’épier tout au long des journées, se chercher et ne jamais vraiment se trouver.
Les dialogues sont à l’aune de leur méfiance réciproque, très succints. Du coup, c’est entre les lignes que se construit le roman, sans pouvoir autant manquer d’intensité. À l’image de cette zone démilitarisée qui coupe la Corée coupée en deux, ils vont se rapprocher sans jamais vraiment pouvoir franchir leurs réserves. On imagine que Kerrand à une vie en Normandie ou qu’il ne veut pas s’encombrer d’une histoire impossible, ayant déjà de la peine à créer son album: « Kerrand a fait couler toute l’encre du pot, la femme a titubé, cherché à crier encore, mais le noir s’est glissé entre ses lèvres jusqu’à ce qu’elle disparaisse. »
On imagine aussi que la jeune fille rêve de quitter Sokcho, mais qu’il est hors de question pour elle de quitter sa mère, sa seule famille. Alors, elle rêve par la littérature, elle rêve à travers les œuvres de Kerrand qu’elle découvre sur internet, elle s’imagine héroïne de bande dessinée…
Ce court roman est une fois de plus une belle découverte, sélectionnée par les fées qui président aux «68 premières fois» et dont on ne dira jamais assez les mérites. Bravo et merci !
Ma collection de livres
Hiver à Sokcho
Critique de Henri-Charles Dahlem le 27 septembre 2016
Littérature Roman