Dans « Le Cercle », l’auteur nous déversait une pluie torrentielle sur le crâne, en continue, accompagnée de rafales de vent nous projetant des salves d »eau en plein visage. Ici, les gouttes de pluie ont perdu en température et se sont transformées en neige, car Bernard Minier nous amène vers la frontière espagnole, dans une vallée encaissée des Pyrénées, plus précisément à Saint-Martin, une station touristique aux pieds des montagnes.
Ambiance froide voir glaciale, la blancheur du paysage nous aveugle dès les premières pages; nous sommes éblouis et fascinés autant par cet éclat que par le style qu’utilise l’auteur pour nous l’envoyer dans les yeux. Un grand paradoxe s’offre à nous assez rapidement; nous sommes en montagne, c’est frais, aérien, c’est pure, une sorte de grand bol d’air que l’auteur arrive à nous faire prendre assez subtilement. Il connaît bien la région, ceci ne fait aucun doute. Mais malgré cet état de fait, l’ambiance devient vite oppressante, étouffante, comme si la montagne tentait de nous étrangler, sans pour autant nous faire ressentir concrètement la pression autour de notre cou.
C’est là que nous nous retrouvons face à un personnage important que nous ne nous attendions pas à rencontrer; la région elle-même dans laquelle nous évoluons. Le territoire dans lequel nous fait progresser l’auteur est – devient – un personnage à part entière.
Dans ce décor pyrénéen, nous retrouvons le commandant Martin Servaz, de la PJ de Toulouse, personnage récurant des deux romans de Bernard Minier. Ce grand amateur des oeuvres de Gustav Mahler nous bluffe une fois de plus par son intuition désormais légendaire, un flic qui n’est pas un super héros, non, mais un excellent enquêteur qui ne lâche rien et qui préfère suivre son instinct au lieu de suivre scrupuleusement les preuves réunies par la police scientifique. Dans cette enquête d’ailleurs, ses ressentis seront peut-être un peu plus efficaces que certains éléments rassemblés scientifiquement et qui demandent tout de même une certaine interprétation.
La science forensique peut parfois mener les enquêteurs sur un mauvais chemin, surtout lorsque l’adversaire maîtrise et « joue » avec cette science… Peut-être le cas ici.
Martin Servaz est sollicité pour se rendre à Saint-Martin, plus précisément à l’usine hydroélectrique d’Arruns, 2000 mètres d’altitude, qu’il doit rejoindre en empruntant un téléphérique. Sur la plate-forme supérieure, une scène de crime troublante, une mise en scène morbide a été découverte par des employés de la centrale qui venaient pour la révision annuelle des installations, avant la fonte des neiges. Un corps a été accroché et pendu sous les pylônes de la plate-forme supérieure, décapité et dépouillé, ceci au sens propre du terme. Chose étrange cependant, il ne s’agit pas d’un corps humain, mais d’un cheval, un pur-sang.
Le commandant Servaz est fou de rage, un cheval, il n’en a pas grand chose à foutre, bien que la situation soit plutôt rocambolesque. Lâcher une enquête en cours concernant la mort violente d’un SDF provoquée par des gamins ne l’enchante pas vraiment. Pour un cheval…
Il apprendra lors de l’enquête préliminaire que ce cheval appartient à Eric Lombard, PDG d’une puissante multinationale, issu d’une famille très influente de la région ayant des relations étroites avec des personnes elles-mêmes influentes. Évidemment, la procureur en charge de l’affaire place une priorité absolue pour cet évènement. Martin Servaz, en collaboration avec la magnifique Irène Ziegler, de la gendarmerie, va devoir faire le poing dans la poche pour tenter d’éclaircir cette histoire peu commune.
Plusieurs faits vont s’enchaîner assez rapidement. D’une part, alors que le commandantServaz se pose encore la question sur la légitimité de cette enquête, un fait nouveau va redonner un certain dynamisme à l’enquête. L’ADN d’un tueur en série croupissant dans un établissement psychiatrique de la région a été retrouvée sur les lieux du crime. D’autres parts, un nouveau corps sera découvert lors de l’enquête, pendu à un pont, mais cette fois-ci le corps d’un homme nu, ou presque. La méthode utilisée ne laisse aucun doute aux enquêteurs, la souffrance était essentielle dans cette mise en scène. Qui dit souffrance dit vengeance?
Des liens vont être établis, des révélations surprenantes vont être mises à jours; visiblement la région a bien des choses à cacher – de nombreux non-dits -, des faits qui font immanquablement ressurgir le passé. Car c’est dans le passé que vont devoir creuser Servaz et sa brigade, un passé lourd, constitué de souffrance, de violence, de blessures non cicatrisées mais surtout d’injustice et d’impunité.
Bernard Minier semble totalement adhérer à cet aspect du passé dans lequel il faut aller chercher les réponses. Dans son second roman « Le Cercle », c’est également dans le passé que l’auteur nous emmène afin de retrouver et d’assembler les principales pièces manquantes d’un puzzle qu’on élabore dans le présent. Lorsque des personnes commencent à remuer ce qui est enterré depuis des lustres, cela fait ressurgir bien des angoisses et de l’agitation pour certains. Ce que nous tentons de dissimuler ressort toujours un jour; aucune terre ne sera assez compacte pour recouvrir la merde qu’on y a enterrée.
Bernard Minier a bien compris cet état de fait et l’utilise d’une manière remarquable. La passé intrigue non?
Parallèlement à cette enquête, l’auteur nous conduit également dans les couloirs d’un établissement psychiatrique, l’institut Wargnier, qui se situe dans les hauteurs de cette région, dans les falaises. Un hôpital à haute sécurité abritant des criminels perturbés et extrêmement dangereux pour certains. Évidemment, des liens vont solidement être tissés avec l’enquête du commandant Servaz. Nous aurons l’occasion dans cet établissement de côtoyer le patient le plus déstabilisant, le suisse Julian Hirtmann. Cet ancien procureur à Genève représente tout ce qu’il y a de plus troublant; manipulateur, issu de la haute société, calculateur, sûr de lui, intelligent, un homme cultivé appréciant les bonnes choses comme la musique classique, pour donner un exemple. Mais également un psychopathe sans scrupule, ayant fait de nombreuses victimes. Me rappelle quelqu’un lui, pas vous?
Diane Berg, psychologue suisse, vient d’être admise dans cet établissement. Cette femme, très vite inquiète par les traitements et par l’hostilité du cadre dans lequel elle travaille, va faire des découvertes un peu malgré elle. L’enquête parallèle qu’elle va entreprendre va peut-être jouer un rôle clé dans cette histoire.
L’auteur nous dévoile toujours un peu plus d’éléments manquants, nous laisse quelques indices au compte-gouttes, parfois nous menant sur une mauvaise piste, évidement, jusqu’à un dénouement où chaque chose se met définitivement en place. Peut-être trop de morceaux à digérer? C’est le seul bémol à mon sens; l’auteur clos pas mal d’éléments qui étaient encore ouverts. En d’autres termes, des rebondissements à outrance qui manquent peut-être de subtilité. L’auteur a ouvert pas mal de brèches lors de l’intrigue et j’ai l’impression que ce n’était pas une chose évidente pour lui de toutes les refermer.
Cela n’enlève pas grand chose à la qualité de l’intrigue qui est tout de même bien bétonnée et le dénouement vous conduira vers le second roman de Bernard Minier, « Le Cercle », qui vous réservera une nouvelle enquête du commandant Servaz.
Bonne lecture.
« Glacé », de Bernard Minier – INCONTOURNABLE!