Vous souvenez-vous de « The Shining », 3ème roman de Stephen King, publié en 1977? Rappelez-vous de Jack, Wendy et surtout de leur fils Danny Torrance, étant doté de ce fameux Don, « The Shining ».
Vous vous rappelez sûrement aussi de ce fameux hôtel maléfique en image de fond, l’Overlook, lieu relativement perturbant et inquiétant dans les montagnes du Colorado, surtout pour Jack qui se fit littéralement bouffé et happé l’esprit par cet endroit quelque peu… possédé! En image de fond, que dis-je! Un personnage à part entière cet hôtel de malheur!
Pour celles et ceux qui ont suivi l’adaptation cinématographique réalisé par Stanley Kubrick, avec notamment Jack Nicholson, vous vous souvenez aussi j’imagine de cette séquence avec le petit Danny circulant sur son tricycle dans les longs couloirs de l’Overlook, sur cette horrible moquette orange!
Alors je vous propose de vous rappeler aussi du reste car dans ce nouveau roman du Maître, nous avons l’honneur et le bonheur de retrouver l’âme de « The Shining », avec quelques rappels et souvenirs disséminés un peu partout, des « stigmates » répandus par l’auteur d’une manière habile et relativement ingénieuse. De cette manière, bien entendu, les lecteurs qui ne connaissent pas vraiment le passé de la famille Torrance auront l’occasion de suivre cette histoire sans trop de problème.
Mais à mon sens, cela serait tout de même bien dommage… Il manquerait quelque chose. Je ne sais pas vraiment quoi; l’atmosphère sans doute…
Nous retrouvons ici notre petit Danny Torrance; enfin petit… Le voici à l’âge adulte, et je dois admettre que cela fait bizarre d’imaginer que presque 40 ans ont passé alors que nous reprenons – presque! – l’histoire là où nous l’avons abandonnée dans « The Shining ». Stephen King le dit lui-même (note de l’auteur à la fin du bouquin):
« … De temps à autre – en prenant ma douche, en regardant une émission de télé ou en faisant un long trajet sur l’autoroute -, je me surprenais à calculer mentalement l’âge de Danny Torrance et à me demander où il se trouvait… »
Et bien il semblerait qu’il l’ait retrouvé et c’est un régal pour nous – lecteurs – de le retrouver également. Danny et sa mère, après l’horrible dénouement de « The Shining », se sont déplacés vers la Floride et ont gardé contact avec Dick Hallorann, leur grand sauveur et bienfaiteur que nous avons également pu découvrir dans le précédent roman. Danny, toujours muni malgré lui de son don « télépathique », n’arrive toujours pas à se débarrasser de ses démons, de ses visions, respectivement de ses morts qui le hantent depuis l’époque de « l’Overlook ».
Son vieil ami Dick, ayant également ce don surprenant, va l’aider à faire face à ce cadeau empoisonné à sa manière.
Parallèlement, Stephen King met en scène un groupement d’hommes et de femmes un peu particuliers – même beaucoup! – qui semblent avoir atteints l’immortalité par des pratiques plus ou moins spéciales. Ce groupe de nomades, appelés « Le Noeud Vrai », qui se déplacent en convoi de camping-car de luxe, dirigés par une prénommée Rose, s’adonnent à l’enlèvement de jeunes gens pour les endoctriner et les rallier à leur cause, ou alors pour les faire longuement souffrir afin de pouvoir humer et s’accaparer la souffrance qui s’en dégage, sous forme de vapeur, un élément qui leur est finalement essentiel pour exister.
Discrets, se fondant dans la masse en adoptant un comportement standard, ces êtres inquiétants ressemblant à monsieur et madame tout-le-monde vont s’avérer être de redoutables prédateurs. Je n’en dis pas plus, l’auteur va vous en parler bien mieux que moi!
Revenons à Danny. Quel personnage! Nous le côtoyons finalement et définitivement à l’âge adulte. Un Danny dépravé, bagarreur, alcoolo, totalement dépendant de la divine bouteille. Comme son père Jack? Stephen King nous dépeint ce lamentable état avec des couleurs ternes, sans éclat, d’une tristesse accablante. L’auteur forme ainsi un tableau grave, préoccupant, mais alors d’une précision étonnante. C’est parlant, dérangeant, nous avons presque envie d’aller rendre notre déjeuner au fil des pages!
Ce n’est pas un secret, Stephen King semble savoir de quoi il parle lorsqu’il nous dépeint ces scènes débordant d’alcool et surtout ses ressentis qu’il nous transmet à ce sujet, par son personnage principal. C’est dur, mais la simple réalité de la vie.
Danny, un homme qui se déplace continuellement de villes en villes, sans avenir, pour trouver un nouveau job après avoir perdu l’ancien, licencié à chaque fois, souvent à cause de l’alcool, pour ainsi dire toujours.
Comme je le mentionnais avant, Stephen King place très en avant cette tare qui est l’excès d’alcool, ses effets, ses méfaits, ses résultats immanquablement déplorables, regrettables, désastreux et surtout ses conséquences pour soi-même et pour les autres. Un sujet qui semble énormément toucher l’auteur, et ce n’est pas anodin. La structure des AA – Alcooliques Anonymes – n’aura plus aucun secret pour vous, Stephen King, par cette oeuvre, vous expliquera tout…
Pour revenir à Dan, il finira par se poser à Teenytown, dans le New Hampshire, ville dans laquelle il va trouver – enfin! – un travail stable et surtout profiter de lâcher une fois pour toute la bibine. Dur labeur pour cet homme qui avait pris l’habitude de se noyer, de couler et de sombrer dans la boisson pour fuir son Don qu’il tire depuis sa tendre enfance tel un boulet qui tente de le rattraper continuellement pour l’écraser. Une accumulation impressionnante de cuites à répétition…
Dan va accepter le seul job qui lui sera proposé dans cette petite localité d’Amérique profonde; auxiliaire de vie dans l’hospice de la ville. Son don lui permettra d’accompagner les personnes mourantes de « l’autre côté », avec une empathie impressionnante, une compassion hors du commun. D’où son étonnant surnom; Docteur Sleep.
Une nouvelle personne va également apparaître dans ce roman, un personnage fascinant. Il s’agit d’Abra. Une petite fille qui, dès sa naissance, va surprendre ses parents en ressentant pas mal d’évènements juste avant qu’ils surviennent, tels les attentats du 11-septembre, pour ne donner qu’un exemple. Abra va rapidement susciter l’inquiétude de son père et de sa mère qui vont rester passablement démunis face aux petits « tours de passe-passe » de leur petite fille d’abord, des tours prenant des proportions un peu plus inquiétantes ensuite.
Et pour cette petite fille, jeune fille, puis ado – et oui, ça va vite dans ce roman! -, son don va être un lourd fardeau à porter, surtout lorsqu’elle va être confrontée à des visions de jeunes enfants enlevés et sauvagement torturés. Comment va-t-elle réagir en tant que petite fille lorsqu’elle remarquera que ces faits se sont réellement produits?
Elle entrera assez rapidement en contact avec Danny, un premier contact touchant, émouvant, mais bien entendu « virtuel ». L’interaction entre ses deux personnages va s’avérer être un élément clé du roman. Il faut le reconnaître, Stephen King a vraiment l’art de nous narrer les évènements avec une sobriété consternante et paradoxalement avec une profondeur éblouissante; ça ne s’invente pas, King porte vraiment bien son nom.
Je pourrais encore parler de la remarquable écriture dont fait preuve l’auteur pour nous décrire, pour nous faire vivre dans son histoire, notamment dans la petite ville du New Hampshire. Je n’arrive pas exprimer, à expliquer comment il réalise cela, mais le résultat est là, comme si c’était la chose la plus facile au monde à accomplir. Toujours cette sobriété d’écriture qui se transforme en qualité; facile…?
J’ai encore envie de rajouter que les personnages qui évoluent autour de Danny sont décrits d’une telle manière qu’en seulement quelques lignes, nous savons déjà à qui nous avons à faire, ou plutôt nous avons déjà l’image d’une personne claire et précise.
Le récit est intense, dense et complet. Stephen King n’abrège rien, tout est dit et décrit. Une vraie chasse mentale – mais pas seulement! – va nous conduire jusqu’à un dénouement intéressant. Une belle petite surprise nous attend d’ailleurs. Quelques longueurs parfois, c’est vrai, mais loin d’être gênantes, surtout si nous prenons en compte les révélations qui émergent petit à petit, mais principalement vers le dénouement.
Danny Torrance a grandi, a mûri, l’écriture de Stephen King aussi. Mais ça, je crois que c’est un peu logique non?
Bonne lecture.
« Docteur Sleep », de Stephen King