Je découvre et fais connaissance avec Franck ditBart par ce roman fou, ce récit ou plutôt ce conte – comte de Transylvanie? – qui m’a totalement déconcerté. Oui car ce livre puissamment déganté et engagé met en scène Dagmar, jeune fille devenue vampire suite à une rencontre inopinée. Mais pas le genre de goule que vous retrouvez dans certaines séries débiles qui envahi nos écrans et qui noircissent les lignes de certains romans vampiriques que je qualifierais de… classiques, ordinaires et banals. Ce n’est pas non plus ici que vous retrouverez une ambiance de Dracula!
Franck dit Bart revisite le genre avec une maîtrise d’écriture folle, des jeux de mots époustouflants pour le moins originaux, et nous présente un personnage troublant, attachant aussi, qui s’exprime d’une manière on ne peut plus direct! Imaginez cette suceuse de sang (pas que de sang d’ailleurs…), cette croqueuse de vie (pas que de vie non plus…) qui tue ses victimes en articulant des vers d’un certain poète – père du surréalisme – tout ceci dans une ambiance passionnément pornographique. Oui c’est cru, mais vraiment un bon cru! Un millésime sang pour sang intriguant! vous allez voir…
Pas facile de chroniquer ce roman atypique qui ne peut être défini dans un genre bien précis. Roman vampirique? Roman historique? Argumentatif? Poétique ou même un polar? C’est incontestablement un grand voyage initiatique dans le monde de l’expressionnisme et du combat pour les minorités qu’effectue Dagmar, notre personnage à deux visages assoiffé de connaissance, de vie, d’amour et de sang! Cette jeune fille de 16 ans qui a quitté sa famille – qu’elle renie désormais totalement – débarque à Berlin; nous sommes au début des années 1900. Elle se retrouve rapidement livrée à elle-même et bascule dans le milieu de la prostitution. Franck dit Bart nous décrit ce bas-monde répugnant et immonde d’une manière abrupte et acerbe, bref, ne mâche pas ses mots! Notre jeune héroïne va essuyer les actions perverses, sadiques et malsaines d’énergumènes pourris jusqu’à la moelle, à l’haleine fétide limite en putréfaction, à l’image de PDG – pue de la gueule, maquereau intouchable aux appuis non négligeables.
L’auteur nous fait continuellement basculer entre deux époques; celle où Dagmardébarque justement à Berlin et débute ainsi son périple qui va la conduire auprès de personnages au combien fascinants pour elle, mais également (presque) de nos jours, à Paris – où Dagmar est à présent Bluty, ange immortelle, vampire à l’esprit vengeur qui va faire couler beaucoup de sang et devenir l’ennemi public no1. Pourquoi et comment est-elle devenue cet être avide d’hémoglobine? Pourquoi est-elle aussi révoltée? Je ne vais tout de même pas tout vous dévoiler dans cette chronique… Mais parfois l’amour peut-être renversant et surnaturel.
Franck dit Bart, par la croisade de Dagmardans le Berlin du début du XXèmesiècle, nous plonge dans le milieu de l’expressionnisme, auprès de personnages qui le pratique et le représente, à l’image d’Ernst Ludwig Kirchner, plasticien expressionniste du mouvement Die Brückeentre 1905 et 1913. Oui car à mon sens tout le génie de l’auteur est là, soit de confronter des protagonistes fictifs à des personnages réels qui ont marqué l’histoire dans le domaine artistique, notamment. Les faire revivre! Des révoltés qui se sont battus pour diverses causes, pour en citer quelques-unes l’homosexualité, l’égalité des hommes et des femmes ou encore – justement! – pour ce genre qu’est l’expressionnisme, cet art qui tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. (visions angoissantes, souvent, stylisant la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive). Il faut savoir que cette pratique était puissamment condamnée à l’époque.
Dagmar va passer du statut de jeune pute aux expériences dévastatrices pour son corps et son âme, en continuant par la découverte de l’art en rencontrant ErnstLudwig Kirchner qui va la prendre comme modèle et ainsi redonner confiance à son corps meurtri, et finira par être embauchée comme correctrice dans un journal anarchiste et ainsi avoir accès à la connaissance. Elle en profitera pleinement et se forgera ainsi sa propre opinion sur des sujets sensibles de l’époque. Et elle ne se gênera pas pour le clamer haut et fort! Cette jeune femme lesbienne – par la force des choses! – côtoiera justement ces personnes qui vivent en marge de la société, défendra leur cause corps et âme. J’emploie le mot corps, je pourrais utiliser le mot cul, il est très présent dans ce récit!
Mais comme je vous l’ai dit, Dagmar est aussi Bluty, cette femme devenue immortelle qui hante la capitale française de nos jours. Cette fois-ci c’est elle qui devient une minorité, une sorte de sorcière pourchassée, traquée et harcelée. Oui c’est une vampire; mais à la sauce Franck dit Bart, c’est un personnage qui aurait pu aider la société, l’humanité même, en usant de ses capacités particulières et ses pouvoirs. Mais là nous avons un être bafoué, traité avec mépris à qui on a enlevé ce qu’il y avaitde plus cher. Déterminée, Bluty, tout de cuir vêtue enfourchant sa bécane, est prête à parcourir les rues de Paname et cracher sa haine. La vengeance est un plat qui se mange froid, le sang est un stimulant qui se boit chaud! Il ne fallait tout simplement pas la chercher et menacer les siens!
Franck dit Bart nous raconte ce récit partagé entre une écriture poético-argotique et des propos passablement crus et frustes, mais aussi avec beaucoup d’humour! Cela passe agréablement bien, la plume de l’auteur, c’est vrai, fait couler beaucoup d’encre rouge et diabolique, mais qui se met rapidement en place pour former une succession de lignes qui nous touchent et nous percutent de plein fouet. Franck dit Bart est un habile manipulateur des mots; son vocabulaire est riche, très riche même, en expressions et en tournures quasi argotiques. J’imagine même l’auteur crachant ses mots sur le papier, atterrissant toujours à la bonne place, sans aucune correction. Un franc-parler, c’est le moins que l’on puisse dire.
Ce récit est animé de rencontres captivantes et percutantes; nous l’avons bien compris, Franck dit Bart est fasciné par les personnages de son romans, envoûté par ces artistes du début du XXème siècles qui ont indubitablement appuyé là où ça coinçait grave. Est-ce que l’auteur aurait voulu vivre cette époque et ainsi évoluer parmi ses héros tel que Kirchner? J’en mettrais ma main au feu…
Dagmar, à mon avis, on aime ou on déteste. Après un démarrage difficile, je me suis pris au jeu des personnages qui sont d’une épaisseur magnifique. Je retiens un belle exemple de relations humaines tout au long de ce parcours et – surtout – j’éprouve un grand attachement pour cette fascinante Dagmar / Bluty qui nous donne passablement d’énergie. Une guerrière! Mais attention, ne vous en approchez pas de trop près non plus, cette charmante demoiselle poussée à bout à une soif de vengeance .. éternelle! Ah j’oubliais la Singette! La Singette merde… Ben j’en parlerai une autre fois. Bonne lecture…
« Dagmar », de Franck dit Bart