Récit fétide à pages latrinières, étronnées à pleins seaux hygiéniques dans les cabinets où Jauffret confesse un Fritz à l’âme noircie par la terreur d’un vécu en orphelinat et par l’inceste qui lui fait démonter la porte des gogues pour voir sa fille déféquer.
Sublimé des délices pervers de l’enfermement, le livre est aussi un plaidoyer contre toutes formes d’internat et d’internement ? Le Fritz de Jauffret sort tout droit des chants de Maldoror, et on relit Lautréamont et on y retrouve des phrases comme : « L’élève qui regarde obliquement celui qui est né pour l’agresser »
Oui il ya dans Claustria quelque chose du chant premier de Maldoror
Chant premier où l’enfant enfermé « suit les flots tumultueux d’une haine vivace, montée comme une épaisse fumée à son cerveau qui lui paraît prêt d’éclater »
« Creuser une fosse »
Des tombes qui s’ouvrent
« Des habitants qui soulèvent doucement les couvercles de plomb, pour aller respirer l’air frais ».
Lautréamont annonce la cave creusée par Fritz pour constituer autour de sa fille Angelika une « famille du bas »
Férocité sans égale de Fritz, vieux créchon de l’Assistance publique métamorphosé en maxi-monstre par le double enfermement de l’éducation hitlérienne et du dressage d’une maman mi-vopo, mi-rescapée de Mathausen-Gusen où elle surveillait le four crématoire.
Jauffret fétide l’atmosphère déjà viciée du fait divers en polluant la pensée du lecteur en lui susurrant « en quoi tu ressemble à Fritzl ? et le lecteur cherche, et le lecteur découvre et après sa trouvaille il ne parvient plus à s’asseoir en lui-même et il essaie comme Fritzl de trouver une certaine vérité sur sa personne et il frémit quand il découvre que dans cette vérité il y a quelque chose de cet homme infect.
La terrible vérité de Régis Jauffret :
« La vérité c’est pire que tout, quand vous la prenez dans vos mains, elle vous brûle, elle vous glace, elle vous écorche les doigts » (page 165)
A chaque personne et à chaque société son roman noir et Claustria est ainsi dans la société autrichienne, le surgissement du symptôme de l’ébranlement politique qui nous attend et on comprend alors que le livre annonce les premiers craquements d’une croûte sociétale hypocrite figée depuis tant d’années et empêchant toute éthique de communication au sens de Jürgen Habermas et on est pris à la gorge par l’âcre description de cette société si éloignée d’Habermas et on se retrouve vautré dans une salauderie décadente fin de siècle et on est incommodé par l’odeur putride de nourriture avariée qui tout au long du livre est exhalée par Angelika, fille égueulée dont le père a brisé les dents ( elle tapait ses dents contre les tuyauteries de la cave afin d’alerter les voisins indifférents)
A chacun ses fantômes et ses spectres.
A chacun ses éléments infernaux. A chacun a son monde d’en bas, à chacun sa famille souterraine, même si chacun ne pourra les appréhender avec une prolifération imaginative comme celle de Jauffret et, on se dit qu’en chaque être humain zonent des forces irrationnelles qui surgissent parfois dans la vie concrète.
Roman noir.
Le talent de Jauffret s’inscrit dans la ligne du roman noir, genre Eugène Süe et, Fritzl l’hyper-salaud nous met les boules quand il se la fanfaronne vieil adapte des principes hitlériens, mais qui le soir couche avec sa fille et torgnole ses enfants ( ceux qu’il a fait avec elle), avant de les abandonner plusieurs jours, sans électricité et sans provisions, dans cette cave humide où il réapparaît de temps à autre avec de la bouffe précipitamment engloutie à ventre régoulé par cette famille souterraine affamée.
De la discipline en internat, le maxi-monstre a conservé les principes d’une pédagogie cohérente, respectueuse des principes du conditionnement et il observe une stricte organisation temporelle et le châtiment corporel survient toujours immédiatement après la faute.
Régis Jauffret raconte :
« Fritzl avait frappé dans ses mains comme un pion qui signale la fin d’une récréation. Il avait distribué des tapes aux enfants et avait donné un coup de poing dans le ventre de leur mère enceinte de Sophie depuis le mois dernier. »
Fier de sa virilité il mène une juponnière vie et, les bougresses du bordel d’à côté le tracent mais ne le calculent pas, tant sa perversion est révérée alentour.
Fidèle à ses deux ménages, celui d’un haut avec sa femme Anneliese et, celui d’en bas avec sa fille Angelika, avec une préférence pour en bas où, Angelika pimpe de la prunelle pour lui et l’incite à prendre du viagra car, à soixante dix ans, il commence à prendre des flanelles et il faut bien reconnaître qu’il n’est plus aussi fort pour la queue que pour la jactance et sa préférence pour en bas vient du désir qu’il éprouve de coucher avec Pétra, la fille de sa fille Angelika et, dont il est en même temps le père et le grand père.
Angelika et sa mère Anneliese le bassinent et il les trouve de plus en plus boudins.
« Il se plait de rêver que Pétra prendrait la suite d’Angelika et lui donnerait aussi des enfants dont une paire de jumeaux. » ( page 385)
Les détracteurs de Régis Jauffret :
Continueront-ils de l’accuser d’écrire de tels livres ?
Ils sont infatigables et ils nous fatiguent. Des bassins.
Ils abhorrent une société qui corrompt leur vertu et reste insensible à leurs maux. Et c’est pourquoi ils nient la démence le crime et le chaos.
Ils ne trouvent pas d’humour à Jauffret, mais peut-on en avoir sur de tels sujets ?
Il y a partout des lambeaux de bonheur.
Comme Lautréamont, Régis Jauffret porte son imagination jusqu’à la vérité d’un monde où la souffrance injuste est imposée à une victime capable de trouver un morceau de bonheur tranquille dans sa bauge, telle Angelika pour qui :
« Les cauchemars ne sont pas si fréquents, elle croit que ce sera le dernier et elle s’abandonne au sommeil bienheureuse et sereine » ( page 377)
C’était quand même le meilleur des mondes diront quelques années plus tard les enfermés et l’enfermeur.
Il y a parfois de drôles de paradis perdus.
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Mais s’agit-il vraiment de la vérité d’un monde en souffrance?
N’est-ce pas plutôt une vérité,uniquement genre celle de Jauffret, et la vôtre?