Le recueil de chroniques rassemblé par Thomas Roussot, ne relève pas d’une formulation rationnelle, décrivant perspective et mouvements de caméras, cohérence des scénarios, réalisme des personnages ou des intrigues. Il s’agit pour l’auteur plus d’une entreprise de réduction phénoménologico-poétique, afin de ramener les films traités à de purs déploiements d’images et d’idées, en tant que prolongements d’une conscience du monde comme conscience de soi, sans une quelconque froideur hégélienne adjointe. Ce qui fonde la singularité de ce travail, c’est que l’écriture qui s’y révèle est un effet spécial en soi, qui valorise les films analysés, inégaux, et de genres hétéroclites, par une floraison de métaphores et d’effets de style assez hermétiques, rendant les chroniques nébuleuses, voire ésotériques, comme pour « Hors Satan » : « Le pain à travers l’embrasure sinistre, donné à l’aveugle, tendu fugacement. Hameau constellé de détritus et de chiens hargneux. Il s’agenouille devant le soleil levant. Traverse la route pavée, la longe vers une fille éprouvée dans son cheminement pour baraque de tôle. Voie de traverse, elle n’en peut plus devant son feu de fortune qu’il écrase de sa chaussure élimée. Il n’y a qu’une chose à faire devant ça. Cigarette à griller d’abord. À genoux entre le sable, les briques, les cendres, enjamber les barbelés, ailleurs. Le couple d’errance va se perdre près d’un puits, elle écoute d’une oreille le son du ruissellement, pendant qu‘il arme sa carabine rouillée. Vise un quidam sortant d’une cabane d’infortune, l’abat sans coup férir. Immatriculation de la victime : 985662, le ciel s’éclaircit. »
On ne trouve pas toujours quel est le dénominateur commun qui a présidé au choix de cette sélection, car si la filmographie de Cronenberg, et de nombreux films qualifiés d’auteurs, souvent peu connus, y prennent une place prépondérante, l’on peut trouver une production allant de The Thing à Mlle Chambon décortiqués par le chroniqueur poète…
L’entrelac d’univers traités semble exprimer le caractère foncièrement indéchiffrable du réel, plongeant ses investigateurs vers la folie ou le chaos, la déception ou les regrets. Comme si la matière subjective des films résistait au spectateur comme l’air aux explosifs. Nulle tentative de déconstruction au sens de Derrida, mais bien plus une reconstitution cryptée des oeuvres traitées.
Malgré ces réserves sur la cohérence des genres abordés, cette grille de lecture est originale, et ne peut laisser indifférent le cinéphile à l’affût de ces films qui échappent aux codes conventionnels du cinéma mainstream.