La chronique d’un village perdu dans les Alpes autrichiennes, la tentation du repli sur soi, la difficulté à s’extirper de son milieu, la crainte du progrès et la science, les raisons du développement de l’extrême-droite et du populisme, le combat entre la ville et la campagne : le premier roman de la jeune Autrichienne Vea Kaiser nous offre une belle palette de thèmes et de réflexion. Le tout sous couvert d’une histoire de famille contée avec beaucoup d’érudition et de fantaisie.
Dans la version originale, le sous-titre du livre est «Comment la science arriva dans les montagnes». Dans la version française, ce sous-titre se transforme en «Comment un ver solitaire changea le monde». Autrement dit, on peut mettre à la fois l’érudition en avant ou la fantaisie.
Pour incarner ce récit, l’auteur imagine Johannes Gerlitzen, un descendant de cette longue lignée de «barbares des montagnes». Trois événements vont pousser ce sculpteur sur bois à sortir du moule imposé par l’histoire et par la géographie : une blessure qui va l’empêcher de courir les bois, la naissance d’un enfant qui ressemble davantage au voisin et surtout la maladie qui le ronge : un ver solitaire qui s’ébat dans ses entrailles et qu’il parviendra à extraire après seize heures d’un combat douloureux. « Lorsqu’il eut enfin sous les yeux l’animal dûment nettoyé, quatorze mètres quatre-vingts de longueur et presque aussi large que l’annulaire d’Elisabeth, il rayonna de fierté, comme s’il avait réalisé la première ascension du Grand Sporzer.»
Marqué par cette expérience, il décide de se consacrer à l’étude des vers : «J’allons dans la capitale por devegnir docteur. » (Saluons à ce propos le talent de Corinna Gepner, la traductrice de l’ouvrage, qui a su inventer un patois susceptible de rendre le curieux langage des autochtones et qui parsèment le récit de dialogues savoureux).
A force de petits boulots et de persévérance, Johannes parvint à son but et une décennie plus tard put revenir auréolé de gloire dans son village où il accompagna sa femme atteinte d’une maladie incurable et aida sa fille Ilse à grandir. Au printemps 1974 Elisabeth meurt et Ilse entre dans l’âge de la puberté. Un double choc pour Johannes qui se retranche dans ses études et note dans observations dans ses carnets qui mélangent l’analyse scientifique et le journal intime.
C’est a peu près à cette période qu’Alois Irrwein, apprenti charpentier, va s’amouracher d’Ilse. Une liaison qui, à l’instar de celles de nombreux autres jeunes du village, ne peut déboucher que sur un mariage. Si Johannes ne voit pas cette union d’un bon œil, il y trouvera cependant quelques années plus tard une belle satisfaction : la naissance de son petit-fils Johannes, le vrai héros du livre.
Car ce dernier va pousser plus loin encore sa différence. Suivant les pas de son grand-père, il entend lui aussi s’émanciper en étudiant. Une façon aussi de rendre hommage à son aïeul, qui disparait tragiquement en venant au secours d’un villageois qu’il ne portait pas vraiment dans son cœur.
On va suivre avec délectation les pérégrinations du jeune homme dans la grande ville. Nous sommes en 2002. Au sein du monastère bénédictin où il va poursuivre ses études, il va apprendra bien davantage que les sciences naturelles, la philosophie ou les mathématiques. Sous l’égide d’Hérodote, il a aussi apprendre la compromission, la trahison, l’injustice et le sens du secret. C’est avec ce bagage, et un examen de baccalauréat qui le marquera sans doute à vie, qu’il retourne dans son village. Et découvre que les Saint-Pétruciens méritent toute son attention. «En son temps, docteur Papi (son grand-père) avait étudié leurs corps. Johannes comprenait qu’il devait, lui, se pencher sur leur esprit.»
La dernière partie du livre est sans doute la plus riche et la plus entraînante. Johannes devient un homme, tombe amoureux, va changer les mentalités, devenir une sorte de sauveur et faire entrer son village dans la modernité. Mais il serait dommage de dévoiler ici comment tout cela va arriver. Laissez-vous plutôt emporter par le souffle de ce premier roman étonnant.
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Critique de Henri-Charles Dahlem le 14 mars 2016
Roman