Première surprise, cet ouvrage est un recueil de nouvelles. Un événement suffisamment rare pour être souligné tant ce genre littéraire semble être tombé dans la désuétude. Tout particulièrement en France. C’est sans avertissement préalable que l’auteur nous fait pénétrer dans son univers avec une histoire au titre déconcertant : « Ce qu’on appelle une nouvelle de merde… »
Sorte de farce malicieuse plus qu’ambitieuse, elle met au prise sur un site de fouille un jeune étudiant en archéologie et son maître de conférence aigri et mal embouché. Évidemment, la scène va tourner au désastre pour le jeune freluquet face à un adversaire dont le profil n’est pas sans rappeler certains personnages propres à Charles Bukowski. Pour le coup, Pugi ne s’embarrasse pas de détails. Dans un style incisif et férocement cynique (apparemment sa ligne directrice), il distille réparties savoureuses et interminables monologues insensées qui arrachent forcément un sourire. Quant à la chute, si importante dans ce style si particulier qu’est la nouvelle, l’auteur a l’outrecuidance de nous proposer (c’est souvent le cas tout au long du recueil) une fin digne d’un film de série Z azerbaïdjanais ! Mais, il faut le dire, ça marche terriblement bien !
A l’issue de ces premières pages, il ne fait aucun doute qu’Hervé Pugi ne nous épargnera aucune facétie. Du coup, on plonge dans la suite avec plaisir mais aussi avec une certaine crainte. Celle de tomber dans une sorte de comique de répétition lourdingue vide de sens et qui finira par nous lasser.
En cela, la découverte de « Laurel Canyon » est une étrange rencontre. Et avant tout celle d’un gars manquant cruellement de confiance en soi avec une créature de rêve dans un bar de Las Vegas. Loin de s’embourber dans un psychodrame de comptoir, l’histoire s’emballe ! Et c’est une bonne chose, d’autant que Pugi montre qu’il n’est pas qu’un bon dialoguiste mais également un conteur intéressant. Surtout, il n’hésite pas une nouvelle fois à nous plonger dans des situations totalement ubuesques dans lesquelles se révèlent les plus vils bassesses de l’Homme. Bien que partant un peu dans tous les sens, l’histoire est globalement maîtrisée. Et malgré une longueur qui la rapproche d’un mini roman, cette nouvelle -au demeurant amusante- embarquera sans problème ceux qui n’attendent pas d’une histoire une absolue vraisemblance.
Avec « Worst Seller » et « Karnaval », on retrouve l’esprit initial de la « nouvelle de merde » ! Avec toutefois un désir évident d’aller au-delà du simple divertissement. Cynisme, ironie et humour sont toujours présents mais le superflu parfois trop criard de l’absurde à tout prix est quelque peu remisé…. Nous restons dans un face à face et le huis clos d’un moment bref. Si « Worst Seller » grossit tout juste le trait de la relation auteur/agent littéraire en mettant en exergue la relation forcément conflictuelle entre culture et business, « Karnaval » donne la parole à un inattendu membre du Klu Klux Klan pour une analyse politique finalement plus fine que prévue sur les États-Unis d’Obama.
Avec « Vulgarem » et « Histoire de cultes », l’influence « bukowskienne » saute de nouveau aux yeux. Jamais ailleurs dans « Artist Drive », le projet d’Hervé Pugi semble si bien se révéler. En réalité, récits et personnages ne sont que de simples excuses pour pointer du doigt les petites lâchetés et grands travers dont sont capables les Hommes. C’est vrai dans le cas de ces nouvelles mais aussi pour chacune des histoires. Comme si pour Pugi, ce qui caractérisait le mieux l’âme humaine est encore sa faiblesse.
Un mot rapide sur « Dans la tête de Big Joe ». Un ovni dans « Artist Drive ». Hervé Pugi se contente -sans fioriture- de nous délivrer l’évangile d’un homme parmi les autres et pourtant si différents car s’étant affranchi des exigences de notre époque. Un homme vivant dans l’essentiel sans pour autant être un ascétique illuminé ou un philosophe à la chemise blanche ouverte. Un moment de répit appréciable dans l’univers loufoque de ce recueil…
Loufoque ? « Lady Godiva’s Operation » l’est assurément. En même temps, avec un nom pareil… Là, nous sommes carrément dans les arcanes de la Maison-Blanche. Crise au sommet de l’État, des complots, des conseillers obscurs et un pièce « G Point » surprenante pour un Président qui ne l’est pas moins… Toutefois, dur de parler de cette nouvelle sans en révéler la substance, l’originalité et la drôlerie. Tout est réuni pour passer un bon moment.
Avec « Sex Toy Story » et « Harlequin », Hervé Pugi aborde les relations hommes/femmes par des prismes complètement différents. A la violence du premier récit vient contrebalancer la subtilité du second. Quand tout se bouscule d’un côté, tout met du temps à se mettre en place de l’autre. Le tout pour en arriver -évidemment- à un ultime rebondissement au dernier moment. Mais c’est là en avoir peut-être déjà trop dit ! Dans les deux cas, les histoires sont particulièrement prenantes et la plume assurée, sachant faire partager les mêmes angoisses de chacun des protagonistes dans des atmosphères complètement opposées. Une belle réussite.
Enfin, « Artist Drive » se clôture sur un « ‘Didier Morrison » qui ne laisse place à aucun doute. Le livre avait débuté par une farce, il s’achève dans la même légèreté jubilatoire avec ce pitoyable sosie picard du chanteur des Doors. Et même si Hervé Pugi semble parfois « enfiler les perles » avec un peu trop de facilité, cette petite histoire compiégnoise vaut son pesant d’or pour sa simple issue. Une dernière phrase qui arrache forcément un petit sourire et, ça, ça met forcément un critique amateur de bonne humeur…
Détails sur Artist Drive par Hervé Pugi
Isbn : 1477659609
Étiquettes : herve pugi nouvelle artist drive