Pascal Marmet nous permet de faire un bout de route avec deux personnages très différents l’un de l’autre; un homme et une femme dont la probabilité de rencontre n’était finalement que très faible. Aussi improbable qu’un peuple d’Inuits rencontre une tribu Adjoukrou de Côte d’Ivoire! Le destin en a voulu autrement et a choisi – si l’on peut vraiment utiliser ce terme pour une fatalité – de le faire dans des circonstances pour le moins étonnantes et troublantes. L’auteur nous offre deux narrateurs principaux pour avancer dans ce roman, cet homme et cette femme justement, ce qui nous permet parfois d’avoir deux points de vue sur une scène, deux caméras branchées sur des perceptions différentes. Cet aspect m’a plu, alors il faut le dire!
A présent, réduire deux personnages à de simples caméras, loin de là mon intention! D’autant plus qu’ils nous sont présentés d’une manière détaillée, développée, l’auteur semble les avoir bien observés dans sa tête avant de les faire naître sur les pages de son roman. Des personnages vivants, comme j’aime parfois les qualifier.
Pascal Langle, homme dans la force de l’âge, metteur en scène et propriétaire d’un théâtre à Nice qui part gentiment mais sûrement à la dérive, reçoit un appel un peu particulier. Un notaire établi à Paris l’informe que l’un de ses clients, un psychanalyste, vient de décéder et a souhaité que des cahiers appartenant à ses anciens patients soient remis à leurs propriétaires ou à leurs proches. Pascal Langle se voit remettre un cahier portant étrangement le no 11.
Cet homme, déjà profondément marqué par la mort brutale – maladie foudroyante – de sa fiancée dix ans auparavant, Ludmilla, envers laquelle il vouait un amour sans précédant, reçoit un nouveau choc dévastateur qu’il accueille en pleine poire. Ce journal intime portant le no 11 est écrit par sa Ludmilla et il n’en connaissait absolument pas l’existence. Déjà qu’il essayait de caser sa tendre défunte dans une partie bien enfouie de sa mémoire pour tenter de moins souffrir, voici des blessures profondes qui vont éventuellement ressurgir! Peur d’ouvrir ce journal, craintes, appréhensions, douleurs… Troisième frappe dans la mâchoire lorsqu’il remarque que ce fameux cahier commence par ces mots:
« Pascal Langle, il porte le numéro 11, et me libère du 10 … »
Coup de théâtre pour cet homme qui a déjà du mal à s’en sortir avec le sien! Changement de décors; Pascal Marmet nous emmène ensuite à Paris, à la rencontre de Joanna, notre seconde narratrice. Cette fille, bloggeuse et pigiste pour des petits magasines de mode, vit tant bien que mal avec le peu d’argent qui rentre dans ses poches trouées. Néanmoins, cette jeune fille enthousiaste au caractère débordant de malice, de culot et d’audace, respire la joie de vivre et est sans conteste l’opposée de notre ami Pascal Langle. Les opposés s’attirent paraît-il? Nous verrons bien…
Notre jeune héroïne qui a réussi par son audace légendaire et son bluff à se faire embaucher par une grande chaîne de mode, se lie d’amitié avec Lucy, fille à papa, qui accepte sans hésiter à la prendre comme colocataire dans son appartement situé dans les beaux quartiers, mais néanmoins petit… Humour à la Marmet que j’adore:
« La salle de bains a été pensée par des pygmées! On peut se soulager en vérifiant l’eau du bain et en rangeant l’armoire à pharmacie… »
Les choses se compliquent et les synapses du lecteur commenceront à se réveiller grave lorsque Joanna sera contactée par ce même notaire et se verra remettre un cahier similaire à celui de Pascal Langle, mais portant lui le no 3. Ludmilla… Son contenu sera plus que troublant pour notre jeune fan de mode. Non, je ne vais pas vous dévoiler le contenu, cela serait tout de même un peu facile, bande de curieux… Joanna part alors à la recherche de réponses, d’explications et ce voyage ne sera pas sans répit et surtout sans danger. Une expédition à la hauteur de son tempérament! Qu’est-ce qui la relie à Pascal Langle? Et pourquoi? Les moyens qu’elle utilisera seront aussi audacieux que sa personne pour le savoir.
S’ensuit une rencontre, une course-poursuite pédestre mémorable dans les rues de Paris, de l’action et surtout beaucoup de questions. Le fantôme de Ludmilla reste avec nous en toile de fond; l’intrigue commence là, avec ces fameux journaux intimes qui suscitent de l’intérêt pour bien des personnes, étonnamment. Ce récit quelque peu romantique tourne au noir, au bien noir même, en dévoilant et en réveillant une vieille histoire morbide qui remonte à la surface. Manipulations génétiques, égoïsme et fascination mal placée; voilà quelques éléments qui ne vous seront pas étrangers lors de cette lecture. Quelle est cette vérité qui n’a surtout pas intérêt à être dévoilée? Quels secrets abominables cachent les écrits de Ludmilla? Pascal Marmet vous emmène jusqu’au dénouement avec une écriture fluide, agréable, en compagnie de personnages attachants et bien épais, et vous lèvera le voile sur toute cette ignoble machination.
A présent, en ce qui concerne les points négatifs, j’aurais souhaité que l’auteur pousse beaucoup plus loin la seconde partie de son roman. J’ai l’impression qu’il s’est concentré sur la première partie, qui, je le dis haut et fort, est vraiment bien amenée. Je le répète, les personnages me plaisent énormément sur le plan psychologique, mais le démêlement de l’intrigue, son dénouement, sont trop vite expédiés et légèrement négligés sur certains détails que j’estime importants. La captivité, la psychologie du personnage qui est confrontée à cette détention, justement. Un personnage que j’aurais voulu d’avantage connaître. Le déroulement de ces fameux événements machiavéliques manque un peu d’épaisseur à mon goût. Deuxième couac, seconde fausse note, l’éclaircissement de l’intrigue; elle me semble un peu tirer par les cheveux sur certains points et il y a trop de hasard, trop de coïncidences qui me dérangent. Mais bon après tout on dit que le hasard fait bien les choses, alors tant mieux!
Mais je vous rassure – et l’auteur par la même occasion – ces deux aspects négatifs à mes yeux sur l’ensemble de l’oeuvre, ça n’enlève rien au plaisir que j’ai eu à découvrir ce récit romantico-noir (encore un mot que j’invente). Et le but pour un auteur c’est quoi? Donner du plaisir aux lecteurs non? Pari réussi en ce qui me concerne.
Une question que je me suis posée; Pascal Marmet est-il un féru de théâtre? Car je dois reconnaître qu’il en parle avec passion au travers du personnage de Pascal Langle, et c’est plaisant! Voilà petit clin d’oeil fermé et la parenthèse par la même occasion… Bonne lecture.
« A la folie », de Pascal Marmet
j’avais bien aimé ce roman que j’avais trouvé en revanche un peu noir avec cette scène de morgue mais c’était un vrai page turner accrocheur et prenant.
Aujourd’hui l’auteur Pascal Marmet revient à ses premières amours
avec un grand roman.
» le roman du parfum » publié ce mois-ci aux éditions Du Rocher