La première scène fait l’effet d’un coup de poing : le coup de poing reçu par Michèle pendant son viol. Un viol sauvage qui brise, déchire, écrase, laisse des bleus et anéantit. Quelques lignes seulement mais d’une force incroyable. Puis l’homme cagoulé s’enfuit, la laissant seule, salie, sur le tapis du salon. Triste histoire de l’abjection ordinaire. Mais que croyez-vous qu’il arrive ? Michèle se relève, va prendre une douche. Puis elle range le salon, ramasse les bibelots cassés, passe l’aspirateur et rassure son vieux chat. Elle est en retard. Ce soir, elle attend sa famille pour dîner. Michèle fera ainsi comme si de rien n’était. Elle fait bonne figure…
Le viol est alors le point de départ d’une longue descente en apnée dans le corps et l’esprit de cette femme. Une apnée un peu oppressante d’un seul chapitre de 250 pages. Cette première scène sert de point d’entrée et l’on ne ressort la tête de l’eau que pour l’épilogue. Entre les deux, pas une coupure, pas un palier pour décompresser, pas de respiration stylistique. Des flash-backs, des pensées, des songes, des mensonges et des colères se suivent à une vitesse effrénée et s’entrechoquent parfois jusqu’au malaise. Un style incroyablement vif et rythmé. Cependant, il arrive au lecteur de ressentir un mal des profondeurs vers le milieu du livre. Quelques longueurs parfois et une lassitude qui apparaît au détour de certaines pages.
Une galerie étonnante de personnages s’opposent et mélangent leurs histoires, échecs et petites névroses ! La narratrice d’abord – Michèle – une jolie quinqua divorcée patronne d’une boite de production. Puis sa mère – Irène – 75 ans qui projette de se fiancer à un homme beaucoup plus jeune. Son fils, sans réel boulot qui vit une histoire d’amour banalement compliquée. Son ex-mari – Richard – homme faible qui l’aime toujours. Sa meilleure amie – Anna – qui est aussi son associée. Son voisin – Patrick – marié mais pas indifférent aux charmes de la belle. Et enfin son père – qui purge une peine de prison à vie. Un bestiaire de déjantés et de paumés mais à leur manière tellement attachants.
Mais surtout, il y a une intrigue incroyable et vénéneuse dans laquelle le viol joue le difficile rôle de catalyseur, de fil conducteur. Il est là pour annoncer une série de grandes ruptures, de grands changements, de perte de repères dans la vie ordonnée de cette femme. Toutes ses certitudes vont s’effondrer page après page. Quoiqu’elle fasse, la destruction fait son oeuvre sur sa vie passée et sape son avenir. Elle se laisse alors aller à explorer son côté sombre jusqu’à un épilogue fracassant et délirant…. et une explication du titre.
Évidemment, ce n’est pas un livre à mettre entre toutes les mains : ni aux Princesses de C., ni même aux Jeunes filles en fleur, pas non plus aux inconditionnels de Mme Angot ou attirés par le vide moite Despentes. Il y a de la Emma B. dans cette femme perdue, qui hésite entre abandon et bataille, résolument confuse dans ses sentiments. Philippe Djian, en nous plongeant dans l’inconscient et seulement trente jours de la vie de cette femme, pose la grande question de notre capacité à influencer notre devenir. Somme-nous programmés pour le meilleur ou le pire? Peut-on produire le bien alors que l’on est issu du mal ? Jusqu’où peut-on vivre dans ses mensonges ou ses fantasmes ?
J’en suis ressorti sonné, groggy, ne sachant plus si j’avais lu ou simplement rêvé cette histoire. Ouah …
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Détails sur 720 heures de la vie d’une femme
Isbn : 2070467031