Ce formidable témoigne de Dimitri Vitkovski vient d’être exhumé et publié pour la première fois en France, en ce mois d’octobre 2012, grâce à la détermination « Mémorielle » et Humaniste de : Véronique Meurgues (traductrice et guide-conférencière à Paris en russe et anglais) ; à Maryse et Philippe Houdy (Président de l’université d’Évry et de la « Maison des Humanités ») ; à la famille de Dimitri Vitkovski, dont sa fille, Anna Pilkington qui a admirablement rédigé l’Avant-Propos du témoigne de son père ; à la famille d’Alexandre Soljénitsyne ; à la Préface de Nicolas Werth, grand spécialiste du Communisme Soviétique ; ainsi qu’à de nombreux autres intermédiaires ayant contribué à faire se rencontrer tous ces protagonistes bien déterminés à faire perdurer éternellement : la Mémoire des victimes du monstrueux système Totalitaire Communiste…
D’ailleurs, dans son « Archipel du Goulag », Alexandre Soljénitsyne se servit, entre autres, du témoignage de Dimitri Vitkovski. Contrairement à Alexandre Soljénitsyne, Dimitri Vitkovski n’a jamais réussi (pour des raisons historiques évidentes) à faire publier son récit de son vivant, dans l’ex-U.R.S.S.. En effet, ce n’est qu’en 1990, peu de temps avant l’effondrement du régime Soviétique, que son témoignage fut publié en Russie, 25 ans après son décès en 1966.
Toutes les personnes ayant participé à l’exhumation de ce poignant récit (d’abord en Russie puis en France) ont donc contribué à rendre : la Mémoire et toute son Humanité à Dimitri Vitkovski ; en même temps que cela contribue à condamner, sinon juridiquement, tout du moins au nom de l’Histoire de l’Humanité : l’incommensurablement aberration et monstruosité du système Totalitaire Communiste…
Dimitri Vitkovski connut dans sa seule existence, entre 1926 à 1956, la plupart des supplices infligés par le régime Soviétique d’U.R.S.S.. L’auteur représente à lui seul un condensé de souffrances humaines psychologiques et physiques.
Jeune ingénieur chimiste de vingt-cinq ans, il fut donc arrêté par l’O.G.P.U. (la Police Politique qui succéda, en 1922, à la Tcheka) en 1926, à l’apogée de la N.E.P. (Nouvelle Politique Économique) de Lénine. En effet, Dimitri Vitkovski fut dénoncé en tant qu’ancien « Garde Blanc », en 1919, ayant été enrôlé dans l’Armée Blanche de l’Amiral Koltchak. Pour le Pouvoir Bolchevique (Communiste), il devenait alors irrémédiablement un « élément socialement dangereux ».
Son interminable calvaire qui devait durer trente longues années, commença par son arrestation dans les geôles de la tristement célèbre Loubianka, le siège social de l’O.G.P.U., puis dans la grande prison de la Boutyrky à Moscou. Finalement, son pseudo juge d’instruction reconnaissant qu’il n’avait rien à lui reprocher le condamna tout de même à trois années d’exil dans la petite ville Sibérienne d’Ienisse, entre 1926 et 1929. Comme le dit avec humour Dimitri Vitkovski (page 26) :
« C’est ainsi que se confirmait le nouveau principe du « châtiment pour crimes non encore commis ».
Puis Dimitri Vitkovski fut à nouveau arrêté arbitrairement en 1931, sous l’aberrante inculpation suivante (page 47) :
« Mon cas est rapidement élucidé comme dans un roman policier. Il s’avère que je suis l’organisateur d’un vaste complot anti-soviétique…, que j’ai fabriqué des poisons pour exterminer les membres du gouvernement…, que des militaires ont participé à ce complot…, qu’ils ont été suivis par des mouchards invisibles telles des ombres glissant sur leurs talons… Désormais, tout est clair, il ne manque plus que mes aveux. Hélas ! je ne peux nullement faire avancer l’enquête mais puis seulement affirmer que je ne sais rien du complot et que je n’ai jamais eu de contacts avec les comploteurs. Beaucoup plus tard – trente ans après -, suite à un arrêt de la Cour suprême, j’ai appris que les comploteurs étaient au nombre de trente-trois, que l’affaire s’appelait « l’affaire des trente-trois », et que le complot n’avait jamais existé. »
L’infernale série d’interrogatoires commença alors, uniquement la nuit. Puis, Dimitri Vitkovski se retrouva à nouveau incarcéré dans la prison de la Boutyrky à Moscou. Pêle-mêle, il trouva, dans sa cellule comprenant 60 à 80 personnes entassées : des professeurs, cinquante ingénieurs comme lui, des militaires, des écrivains et des comédiens.
Refusant d’avouer, Dimitri Vitkovski fut alors condamné à être fusillé, puis finalement sa peine fut commuée en dix ans de réclusion avec « interdiction centrale ». Ensuite, il fut déporté dans l’immense camp de concentration de l’Archipel des îles Solovki. L’auteur fut alors contraint aux travaux forcés, en l’occurrence, à devoir effectuer un travail extrêmement dur, consistant à assécher des marais.
Voici comment était constitué ce terrifiant Archipel (page 53) :
« L’archipel des Solovki est constitué de l’île-Grande, de deux îles de moindres dimensions, la grande Mouksalma et Anzer, ainsi que d’une île minuscule, le petite Mouksalma, qui disparaît presque à marée haute. »
Ensuite, Dimitri Vitkovski fut déporté, à nouveau, en direction du pharaonique et effroyable chantier du Belomorkanal (note n°24, page 64) :
« Belomorkanal (Belomorsko-Baltiïskiï Kanal aussi appelé BBK) : canal de la mer Blanche à la mer Baltique creusé de 1931 à 1933 par les prisonniers du Goulag. »
Les conditions de survie y étaient inhumaines (toujours page 64) :
« Nous voici dans d’immenses tentes de toile. À l’intérieur, le même gel et le même froid qu’à l’extérieur, sans la neige. Les ridicules petits poêles en fer à trois étages fument, les bûches n’arrivent pas à brûler ; même tout habillé, les tentatives de trouver le sommeil sont vouées à l’échec. Bienvenue au Belomorkanal ! »
En effet, l’hiver, les températures peuvent descendre jusqu’à moins 50° en Russie. De plus, les rations de nourriture déjà extrêmement faibles étaient distribuées en fonction de la productivité des zeks (prisonniers). Seuls, les plus résistants et épargnés par les maladies pouvaient avoir une chance de survivre. Qui plus est, ils travaillaient à la main, avec juste quelques outils rudimentaires : pelles, pioches, brouettes, marteaux…, sans machines mécaniques.
Le tragique bilan humain : sur 170 000 prisonniers affectés à ce chantier de la mort, 25 000 périrent de maladie, de froid ou d’épuisement dans le Belomorkanal !Mais en tant qu’ingénieur, Dimitri Vitkovski eut la « chance » d’être affecté, comme chef de chantier, à la dix-huitième écluse du canal. Ses conditions de travail étaient moins rudes que celles des zeks qui trimaient directement dans le canal.
Puis, au terme de la construction du Belomorkanal, l’auteur fut encore déporté au chantier de la centrale hydroélectrique de la Touloma.
C’est alors que, cinq ans après le début de sa peine, Dimitri Vitkovski apprit qu’il était enfin libéré. Mais pour où, pour qui et pour quoi faire ? En effet, il n’avait plus de lieu où se rendre ; et arrêté à l’âge de seulement 25 ans, il n’avait pas eu le temps de fonder une famille. Il passa alors d’un emploi à un autre, d’abord comme chef d’atelier dans une usine chimique à Tchimkent, puis à Vladimir, dans le laboratoire de recherche d’une usine.
Le système Totalitaire Communiste étant tellement fanatique, arbitraire et criminogène, l’auteur fut encore arrêté pour la troisième fois en décembre 1938. Cette fois-ci le nouveau chef d’accusation se référait au terrifiant article 58 du Code Pénal Stalinien (page 101) :
« (…) organisation de complot dans le but de renverser le pouvoir soviétique, sabotage, espionnage et propagande contre-révolutionnaire. »
Il fut donc arrêté en décembre 1938, à la fin de la Grande Terreur Stalinienne de 1937-1938 (le 17 novembre 1938), durant laquelle 1 500 000 Russes innocents furent :
– Soit déportés au Goulag, pour la moitié : 750 000 personnes ;
– Soit fusillés arbitrairement et sommairement à la suite d’une procédure « extra-judiciaire expéditive ». Cette extermination de masse concerna les 750 000 autres victimes.
Le délire de la Terreur de masse atteignait alors son acmé !
Les conditions de détention de Dimitri Vitkovski étaient épouvantables et déshumanisantes, par : le manque total d’hygiène, l’entassement des prisonniers, le froid intense, les poux, les maladies et la faim permanente.
Voici comment étaient réparties les différentes catégories sociales de prisonniers (pages 107 à 109) :
« 1. Les directeurs d’entreprises, les ingénieurs, les techniciens, généralement accusés de sabotage et qui restent longtemps en prison.
2. Les militaires qui sont pour la plupart issus de l’armée impériale et qui, pour certains, ont continué leur carrière dans l’Armée rouge. Accusés d’avoir tenté d’organiser des révoltes, ils sont rapidement condamnés et ne restent pas longtemps ici. Comprennent-ils que leur situation est sans espoir, ont-ils plus l’habitude d’être mis en cause ? En tout les cas, ils craquent plus vite et avouent leurs « crimes » en entraînant à leur suite ceux qui avaient su résister.
3. Les fonctionnaires, les instituteurs, les comédiens et les chanteurs, les écrivains, les journalistes qui vivent en général les situations les plus pénibles. Leurs chefs d’accusation comme leurs destins sont extrêmement divers. Certains sortent du lot : Krymov par exemple. Jeune homme pâle, de vingt-quatre à vingt-cinq ans, l’allure typique d’un membre des jeunesses communistes. Il était rédacteur d’une édition régionale des komsomols (note n°35 : Komsomols : acronyme de kommunistitcheskiï soïuz molodioji : union des jeunesses communistes en URSS). Tout le monde l’appelait Volodia. Je ne me rappelle pas exactement ce dont il était accusé mais, dans les nombreux chefs d’accusation, figure l’invariable « espionnage et participation à un complot contre le pouvoir soviétique ». Les juges d’instruction lui serrent tout de suite vigoureusement le vis. Au début, c’est la nuit entière qu’il doit rester debout pendant l’interrogatoire, puis c’est plusieurs jours de suite, nuit et jour. Une fois, il a été ramené en cellule après un interrogatoire de quatre jours. Ses jambes ont enflé et sont devenues comme des poids morts ; elles saignent par endroits car la peau a éclaté. Il chancelle et ses yeux sont vitreux. Il est ramené en cellule avec l’ordre de ne pas dormir. Il s’assoit entre deux prisonniers pour ne pas s’écrouler. Derrière lui, un troisième s’appuie contre son dos. Devant, quelques hommes debout font rempart à tout ce petit groupe. Il dort dans cette position. Le surveillant de couloir, de loin en loin, plutôt pour la forme, demande à travers le judas :
– Krymov ne dort pas ?
Et tous de répondre en chœur :
– Non, non.
Il n’a jamais avoué. Quand on lui demandait pour quelle raison il se faisait tant de mal et qu’on lui expliquait qu’il ne pourrait rien prouver à personne, il souriait en silence. Dans ses yeux brillait une foi pure, jeune et sincère, qui pouvait venir en aide à ceux qui, comme lui, défendaient leur intégrité et sans laquelle il n’y a plus rien : ni être humain ni société véritables.
4. Le quatrième groupe est constitué de prêtres et d’autres « serviteurs du culte ». Ceux-ci écopent vite fait bien fait de leurs dix années et partent pour le lieu qui leur est assigné.
5. Ensuite viennent les travailleurs, les petits employés, surtout les cheminots. Le plus souvent, ils ont la chance d’avoir de véritables dossiers, d’avoir commis des fautes, d’avoir eu des anicroches à leur travail. Leur affaire est traitée au tribunal et se règle selon la loi.
6. Et enfin il y a les criminels. Ils sont peu nombreux et ne restent pas longtemps dans notre prison. Juste le temps d’apparaître, de mettre dans cette atmosphère naturellement plombée un courant de fraîcheur gaillarde puis ils disparaissent. Comme ils sont minoritaires, ils ne volent rien et ne la ramènent pas. »
Toutes ces accusations de complots, d’espionnages, de sabotages, etc., relevaient d’une aberration totale. Pourtant, des millions de Russes innocents furent déportés au Goulag et/ou fusillés par un Etat-Parti-Unique Communiste totalement fanatique, Terroriste, paranoïaque et schizophrène ; et tout cela…, POUR RIEN !
Puis, ce fut au tour de Dimitri Vitkovski d’être soumis aux interrogatoires et tortures, dans le but de passer…, de faux aveux.Comme à l’accoutumée, ces interrogatoires se déroulaient toujours de nuit…
Arrêtons-nous encore plus précisément sur le déroulement de ces interrogatoires, devant déboucher, dans l‘univers Totalitaire Communiste, sur le sacro-saint dogme des « aveux ». En effet, l’un des aspects fondamentaux du système Totalitaire Communiste est de justifier le délirant processus Idéologique par la Terreur, en faisant avouer les victimes. Ceux qui avouaient n’importe quoi sous les pressions et tortures psychologiques et physiques, étaient censés démontrer leur « accord » forcé à l’idéologie Communiste. Alors seulement, pouvait être entrepris un travail de « rééducation » Idéologique, un lavage de cerveau, dans les camps de rééducation. Mais dans la réalité, aveux ou non, le verdict pouvait consister dans les deux cas : soit à être déporté en camps de concentration du Goulag suivant l’article 58, souvent en étant condamné à dix ans de camp, ou plus ; ou bien, à être purement et simplement exécuté !
Bref, voici un exemple d’interrogatoire type vécu par l’auteur, et qui décortique toute l’aberration et l’inhumanité de ce processus des faux aveux (pages 112 à 115) :
« Il ne me dit pas en quoi consistent mes crimes mais exige que je les détaille moi-même. Il me laisse partir tranquillement à cinq heures du matin. Une dizaine de nuits d’affilée se passent ainsi mais on ne me fait plus asseoir. On m’oblige à rester debout contre le mur après avoir fait un pas en avant afin de ne pouvoir m’y appuyer. De plus, l’interrogatoire se prolonge jusqu’à huit ou neuf heures.
(…) Quelques jours plus tard retentit la phrase rituelle :
– Bon, Vitkovski, on y va !
Cette fois, à la place du juge d’instruction précédent, sympathique et paisible, se tient un gars, jeune, costaud, aux yeux délavés aqueux et aux puissants biceps. Il m’installe immédiatement contre le mur et me demande en avançant la mâchoire :
– Ça fait longtemps que tu es en prison ?
– Oui.
– Alors tu sais ce que c’est que de tomber entre les mains de Sakharov ? Plus de chichis. Tu ne sortiras pas d’ici avant d’avoir fait des aveux complets.
Apparemment, un bouleversement s’est produit dans mon affaire. Ils sont parvenus à obtenir un élément nouveau mais quoi au juste ? Par qui ? Sakharov pose son revolver sur la table, le fait jouer entre ses mains puis s’éloigne jusqu’au fond de la pièce et me met en joue :
– Là, dans la tête, dit-il, là, dans ton cœur abject. Tu penses qu’il m’arrivera quelque chose si je te bute aujourd’hui ? Rien, à part de la reconnaissance. Une pourriture de moins.
Je connais ces fanfaronnades et garde le silence. Finalement, il se calme et ne semble plus du tout faire attention à moi. Il s’assoit en silence à sa table et se met à écrire, remplissant page après page. Cela dure une éternité, toute la nuit. Quand il fait complètement jour, Sakharov se lève, s’étire avec un plaisir évident, rassemble toutes les feuilles qu’il a écrites, les range dans un dossier et en regardant de mon côté demande :
– Tu as vu ?
– Qu’est-ce que j’ai vu ?
– Ceci – il replie son bras et fait ressortir ses muscles. Et aussi ceci – il pose la main sur le dossier – ce sont tes aveux. Les tiens, tu m’as compris ? C’est ta déposition complète et détaillée sur tes activités d’espionnage et autres que tu m’as donnée cette nuit. Signe ici – il indique l’endroit sur la dernière page tout en cachant avec un livre ce qui est écrit plus haut.
– Sans la lire ?
– A quoi ça servirait ? Presque tout y est parfaitement noté avec tes propres mots.Je sens mon cœur tomber dans ma poitrine mais je reste debout et ne signe pas. Trois heures plus tard, alors que le soleil est déjà assez haut, Sakharov est épuisé. Il s’approche de la table, lave le sang de ses mains en versant l’eau d’une carafe directement sur le sol et téléphone en donnant un ordre au soldat qui entre :
– Qu’il reste debout sans dormir. Qu’on ne lui donne que de l’eau ! Et il sort.
Je m’essuie avec mon mouchoir. J’ai la tête qui me cuit à de nombreux endroits. Les mains, les jambes, le dos, la poitrine, les côtes – surtout les côtes – me font beaucoup souffrir. Ce footballeur avait les chaussures bien dures ! J’aimerais bien savoir ce qui s’est passé ! Pourquoi est-il tout d’un coup devenu furieux ? Je n’ai pas très envie de dormir mais j’ai une terrible envie de boire et de me reposer en position assise. Sous la fenêtre, je peux voir « mon » arbre. Ce matin-là, alors que j’étais déjà à bout de forces, je tournais la tête et plongeais mon regard dans sa profondeur verte et me sentais mieux. Je lui demandais mentalement :
« Tu es debout ? Et bien tous les deux nous allons rester debout ».
(…) La deuxième nuit est plus calme mais il m’est très difficile de tenir debout. Une sensation de lourdeur et d’engourdissement me monte dans les jambes. La partie inférieure de mon ventre devient dure comme du bois. Mon cœur bat irrégulièrement et difficilement comme s’il était en fer-blanc. J’ai terriblement sommeil. Dans mon cerveau fatigué, sans logique et sans ordre, se présentent des images tronquées, des souvenirs et des pensées solitaires. Des tableaux incroyablement vivants sont remplacés par l’envie désespérée de manger et de m’étendre un peu. Mais quelque part, tout au fond de mon âme, à tout moment – plutôt dans le sentiment que dans la conscience – comme une sentinelle de nuit, revient inlassablement la pensée qu’il faut que je reste debout et que je tienne, avec la certitude que cette pensée est reliée à l’arbre derrière la fenêtre.Sakharov est assis à la table, il lit quelque chose et occasionnellement regarde de mon côté :
– De toute façon, tu signeras, fumier !
(…) – Pourquoi n’avouez-vous pas, Vitkovski ? Nous savons tout. Croyez-vous qu’on vous garde en prison depuis un an pour rien ?
– À quoi donc vous servent alors mes aveux ?
– Il se tait un moment.
– Il nous les faut. Si vous n’avouez pas, nous vous accuserons d’avoir menti.
Plusieurs jours s’écoulent sans que je sois convoqué puis à nouveau :
– Allez, Vitkovski ! »
Puis ces horribles interrogatoires continuèrent encore et encore… Mais il tint bon. Malgré les douleurs physiques et psychologiques, il résista et n’avoua jamais quoi que ce soit à ses tortionnaires. Sachant pertinemment que ces interrogatoires n’étaient fondés que sur le bluff et le mensonge…, il ne céda pas (page 121) :
« Je croyais (j’étais visiblement tombé dans cet état hypnotique de crédulité que j’observais chez les autres) que, même à cette époque, pour priver un homme de liberté, on avait tout de même besoin d’une raison, ne serait-ce qu’apparente, ne serait-ce que fausse, suite à une délation ou une dénonciation mensongère. Rien de tout cela. On nous privait de liberté uniquement parce qu’il était venu dans la tête de quelqu’un l’idée d’un nouveau système – à classer parmi les grands et effroyables systèmes – consistant à « faire passer par le filtre de l’isolement » une certaine catégorie de citoyens… Cent mille, un million, deux millions – le nombre n’avait pas d’importance. Pas d’importance qu’il y ait des hommes mutilés physiquement et psychiquement, pas d’importance que des familles soient détruites, que des hommes absolument innocents souffrent – tout cela n’avait aucune importance. Devant la majesté et la grandeur de ce système, tout cela n’avait aucune importance.
Et, plus que tout, serait détruite, extirpée, anéantie, brûlée pour toujours dans les têtes, les âmes et les cœurs la « détestable » aptitude à comprendre les relations humaines les plus simples avec des pensées et des sentiments simplement humains ; un réservoir de terreur serait créé pour de nombreuses années. »
Sa force de caractère a eu raison du système Totalitaire Communiste qui tentait de le détruire psychologiquement et physiquement. D’ailleurs, il fut libéré pour absence de preuves.
Mais même rendue à la « société civile », la vie de Dimitri Vitkovski était définitivement gâchée. De plus, comment trouver un emploi muni d’un certificat de prisonnier dans cette U.R.S.S. où régnait l’arbitraire et la Terreur généralisée ?
Heureusement, Dimitri Vitkovski ayant de nombreuses connaissances, finit par trouver un poste d’ingénieur dans une petite usine d’huiles essentielles, dans le nord du Caucase.
En 1942, il réchappa de justesse à une épidémie de typhus.
Puis, durant la Seconde Guerre Mondiale, l’auteur fut enrôlé dans le régiment d’artillerie de défense anti-aérienne de l’Armée Rouge.
A la fin de la guerre, il réussit à regagner Moscou où il trouva un emploi dans sa profession initiale de chimiste.
Il put enfin fonder une famille et avoir des enfants.
Mais la volonté de persécution de l’État Soviétique était telle, que six ans plus tard, le Ministère de la Sécurité de l’État imposa au directeur de l’institut, de licencier Dimitri Vitkovski.
Alors pour la énième fois, le monde s’écroula sous ses pieds. Il dut à nouveau tout quitter, à commencer par sa famille qu’il venait juste de fonder ; et dut retrouver encore un nouveau travail. Il enchaîna alors différents emplois dans son domaine d’activité, la chimie.
Au final, alors que Dimitri Vitkovski n’avait absolument rien à se reprocher, sa vie fut totalement brisée en étant persécuté durant 30 longues années, par le Pouvoir Totalitaire Communiste Soviétique.
Il n’a tenu psychologiquement, ces années durant, qu’en se rattachant à son admiration infinie pour la nature. D’ailleurs, tout son récit est parsemé de magnifiques descriptions de cette nature, dans tous les lieux où il dut séjourner. Même en prison, il scrutait à travers les moindres trous de sa cellule, la plus petite parcelle de nature, pour tranquilliser son esprit, apaiser ses souffrances physiques, conserver le moral et sa détermination à préserver et à faire reconnaître sa dignité.
En conclusion :
Dimitri Vitkovski a bien failli réussir à faire publier son témoignage au début des années 1960, en U.R.S.S.. Mais après la publication de l’ouvrage d’Alexandre Soljénitsyne : « Une journée d’Ivan Denissovitch », décrivant l’enfer du Goulag, la chape de plomb Soviétique interdit immédiatement tout ouvrage risquant de décrire, critiquer ou dénoncer ce Pouvoir Totalitaire Communiste. Décédé en 1966, Dimitri Vitkovski n’eut jamais la satisfaction d’assister à la publication de son émouvant témoignage. Ce dernier nous arrive donc en France seulement en cette année 2012 ; presque un demi siècle après la mort de Dimitri Vitkovski.Tant d’autres Russes innocents ont subi le même parcours de Terreur que Dimitri Vitkovski, et n’ont pu nous faire partager ou parvenir le récit de leur terrible existence.
Ce témoignage, comme tous les autres récits de survivant, est donc fondamental pour perpétuer notre Mémoire Universelle et servir de porte-voix, contre l’oubli, à toutes les victimes de ce monstrueux système Totalitaire Communiste !
Alors un grand merci à vous Monsieur Dimitri Vitkovski, pour : votre courage, votre inébranlable détermination à avoir résisté à la persécution Terroriste Communiste, et plus généralement…, pour votre leçon de vie !
Détails sur Une vie au Goulag
Auteur : Dimitri Vitkovski
Editeur : BELIN LITTERATURE ET REVUES
Nombre de pages : 192
Isbn : 978-2701195209