Du 9 Novembre 1970, date de la mort du Général de Gaulle au 13 décembre 2007, ratification du Traité de Lisbonne qui fut un copié-collé de la Constitution Européenne écrite sous la houlette de V. Giscard d’Estaing et rejetée par 55% des Français deux années plus tôt, Eric Zemmour fait revisiter à son lecteur les Trente « Calamiteuses » qui succédèrent aux trente « Glorieuses » (1945-1975). Il ne nous retrace pas in extenso la totalité de cette tranche d’Histoire mais cherche à nous faire comprendre les raisons pour lesquelles notre pays est tombé aussi bas, pourquoi notre économie se porte si mal, pourquoi notre souveraineté est partie en fumée et comment les phénomènes parallèles de tiers-mondisation et de paupérisation se sont enclenchés. Pour ce faire, il prend appui sur une petite centaine d’évènements marquants (institution du Conseil Constitutionnel, fin de la convertibilité du dollar, reconnaissance de la Chine par les Etats-Unis, entrée du Royaume-Uni dans la CEE, scandale du Watergate, loi mémorielle en 1972, loi Pompidou-Giscard dite « Loi Rothschild » sur le financement de la dette publique, dépénalisation de l’avortement, regroupement familial, loi Haby sur le collège unique (1976), création du CDD (1979), référendum sur le traité de Maastricht ou affaire Tapie pour n’en citer que quelques-uns) dont, à l’époque, on ne remarqua pas forcément l’importance dans le processus général de démolition du roman national. Pour mieux cerner les tendances lourdes de l’évolution des mœurs, il n’hésite pas à prendre appui sur des chansons comme « Lily » de Pierre Perret ou « L’Aziza » de Daniel Balavoine, sur des films comme « Dupont Lajoie » d’Yves Boisset ou « Train d’enfer » de Roger Hanin et même sur une série télé aussi mièvre qu’« Hélène et les garçons ». Cela pourrait sembler futile et même indigne de la solennité du travail de l’historien et pourtant, à la réflexion, il n’en est rien. Une simple ritournelle peut nous en apprendre beaucoup sur l’air du temps.
Un essai historique mené avec brio et intelligence. Parfaitement documenté et référencé. Des analyses pertinentes, fort bien étayées et difficilement discutables et, malheureusement, un diagnostic irréfutable marqué au coin d’un bon sens si méprisé et si vilipendé par nos oligarques, journalistes et autres beaux esprits donneurs de leçons. D’où la polémique en forme de tempête dans un verre d’eau sur le rôle de Pétain vis à vis des Juifs avec l’éviction d’une chaine de télé pour son auteur (bravo la liberté d’expression…) et parallèlement, l’immense succès populaire de ce livre. Zemmour est un des esprits les plus brillants et les plus honnêtes de son époque. Ses conclusions rejoignent ce que le peuple ressent plus ou moins confusément. Il dénonce la sous-culture de masse, les conséquences de Mai 68, les outrances du féminisme, l’antiracisme aggravant le racisme, les idées chrétiennes devenues folles et les dangers d’un islam que personne n’a pu ou voulu contenir. « Détruisez le christianisme et vous aurez l’islam », dit-il en citant Chateaubriand. Ce livre est fort bien écrit et très agréable à lire en dépit du sujet grave qu’il traite, le discours est pondéré (ce n’est ni un brûlot fasciste ni un pamphlet raciste), parsemé de belles fulgurances du genre : « Auparavant, il y avait Paris et le désert français. Désormais, ce sera de plus en plus, Paris et la désespérance » ou « Guerre, homme, patrie, trinité diabolisée de notre temps » ou encore « Mai 68 fut une révolution de la société contre le peuple ». Nous vivons « un mai 40 économique et une guerre de religion en gestation ». Nous n’en avons pas encore pleinement pris conscience mais ça ne saurait tarder. On comprendra que ce livre, même si le lecteur n’en partage pas toutes les analyses (Zemmour, en indécrottable gaulliste qu’il est, idéalise un peu trop l’homme du 18 juin), reste un ouvrage de référence majeur. Utile et même indispensable à qui veut comprendre les évolutions de la géopolitique. Quoi de mieux que le passé pour éclairer le présent. Un ou deux reproches quand même. Le délai d’étude sur moins d’un demi-siècle semble un peu court et un peu artificiel. Cette évolution ou plutôt « involution » remonte certainement à beaucoup plus loin mais c’est un autre débat. Le mot « Suicide » placé dans le titre nous semble inapproprié. Il sous-entend une volonté délibérée du peuple pour en finir avec son destin alors que tout le livre démontre qu’il a été berné, qu’on lui a menti, en un mot qu’il a été trahi par ses élites depuis des années. « Déclin français » ou « Assassinat d’une grande nation » auraient été plus justes mais sans doute moins vendeurs.
4,5/5
Le suicide français (Eric Zemmour)