Dans ce passionnant essai, Patrice Gueniffey (maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales) décortique la montée crescendo de la Terreur entre 1789 et 1794, lors de notre Révolution Française.
Cet ouvrage est essentiel pour appréhender et différencier les phénomènes de violence et de Terreur lors de la Révolution Française, voire des Révolutions en général.
En effet, l’auteur distingue d’une part, la violence révolutionnaire sauvage populaire des foules, qui engendre de nombreuses victimes, mais qui n’est pas préméditée, pendant la première période située entre 1789 et 1791. Et d’autre part, l’auteur décrypte le phénomène de la Terreur politique Étatisée et Idéologique (Pensée unique) délibérée et officialisée durant la Révolution Française par le décret du 5 septembre 1793 ; puis renforcée par le décret de la Grande Terreur du 10 juin 1794, sous le Comité de Salut Public de Robespierre. Cette Terreur d’État choisit ses cibles à exterminer : les « ennemis du peuple », les « suspects », les « contre-révolutionnaires », etc., durant la seconde période de la Révolution Française située entre 1792 et la chute de Robespierre le 9 Thermidor an II (le 27 juillet 1794), (page 14) :
« Les historiens ont trop souvent expliqué la Terreur par la peur ou par le fanatisme. Par la peur : le danger aurait réveillé des réflexes enfouis, qu’il s’agisse de la tentation de massacrer de supposés coupables ou de les réduire à la passivité en les terrorisant. Par le fanatisme : la Terreur comme instrument pour plier le réel aux exigences d’un projet conçu préalablement dans le ciel des idées. Mais la première explication ne dit pas pourquoi les révolutionnaires avaient peur de dangers parfois imaginaires. La seconde ne dit pas davantage pourquoi les plus fanatiques ont fini par prendre le dessus avant de s’éliminer les uns les autres. Comme on le verra, la Terreur n’est ni le produit de l’idéologie, ni une réaction motivée par les circonstances. Elle n’est imputable ni aux droits de l’homme, ni aux complots des émigrés de Coblence, ni même à l’utopie jacobine de la vertu : elle est le produit de la dynamique révolutionnaire et, peut-être, de toute dynamique révolutionnaire. En cela, elle tient à la nature même de la Révolution, de toute révolution. Mais elle est aussi un moment de vérité de la Révolution française. Non parce qu’elle dévoilerait, comme le pensait Augustin Cochin, le mensonge de la démocratie, mais parce qu’elle dissipe tragiquement certaines illusions cultivées en 1789. »
Cette Terreur révolutionnaire ne stoppa pas net, le 9 Thermidor, mais s’estompa lentement… (page 15) :
« Si la Terreur, comme système de pouvoir, appartient désormais au passé, la Terreur comme moyen de gouvernement ne disparaît pas pour autant. Les exemples abondent en effet de la persistance d’actes de terreur : la déportation sans jugement, décrétée le 1er avril 1795, de Barère, de Billaud-Varenne, de Collot d’Herbois et de Vadier ; la décision prise par la Convention le 27 juillet 1795, le jour même où elle célèbre le premier anniversaire de la chute du « tyran », de fusiller les émigrés faits prisonniers à Quiberon ; la loi du 25 octobre 1795 qui reproduit les textes de 1792 et de 1793 frappant les prêtres et qui ressuscite contre les nobles la loi des suspects du 17 septembre 1793 ; les déportations consécutives au coup d’État anti-parlementaire du 4 septembre 1797, etc. Le 9 thermidor tourne une page de l’histoire de la Terreur plus qu’il n’en signe la fin. »
Il est donc difficile de déterminer exactement quand s’est terminée cette Terreur et quand elle a commencé, peut-être dès 1789… (pages 16 et 17) :
« C’est en effet dès juillet 1789 que se produit une première flambée de violence ponctuée de massacres, à Paris comme en province ; c’est en septembre que Marat publie le premier numéro de l’Ami du peuple ; c’est en octobre enfin que la municipalité parisienne établit un Comité des recherches chargé de traquer les conspirateurs.
Bien avant la première terreur de 1792 et la Terreur de 1793-1794, il existe ce qu’on pourrait nommer une « Terreur d’avant la Terreur » (note n°10 : Bronislaw Baczko, « The Terror before the Terror ? Conditions of possibility, logic of realization », in Keith Michael Baker (éd.), The Terror, Oxford, Pergamon Press, 1994, p. 19-38.), contemporaine du début de la Révolution, ou qui du moins suit son avènement de si peu (les états généraux se sont réunis en mai 1789, la violence fait irruption en juillet) que l’on peut dire que l’histoire de la Terreur commence avec celle de la Révolution pour ne finir qu’avec elle. Aussi faut-il d’emblée, en raison de cette apparition simultanée de la Révolution et de la violence, renoncer à deux idées fausses : la première, que la Terreur serait un produit extérieur à la Révolution ; la seconde, qu’elle serait un produit tardif de la Révolution. Si l’on ne peut, sans exagération, en conclure que la Terreur se confond avec la Révolution française, autrement dit que la Révolution serait en elle-même et tout entière terroriste, du moins faut-il admettre que Terreur et Révolution, apparues presque ensemble, entretiennent dès ce moment des liens étroits qu’il faut précisément élucider. »
Mais reprenons plus précisément la chronologie des événements concernant la violence et la Terreur, lors de la Révolution Française….
La difficulté de cette étude est d’autant plus conséquente, que la violence et la Terreur prirent différentes formes (page 22) :
« Le risque existe, en identifiant terreur et violence, de confondre arbitrairement des événements de nature différente. Qu’y a-t-il en effet de commun entre les lynchages perpétrés par les foules de 1789 et les déportations en Guyane de 1797, entre les « journées » insurrectionnelles soigneusement organisées et encadrées de 1792 ou de 1793 et les massacres de septembre 1792 ? Quel point de comparaison trouver entre la « bagarre » de Nîmes en 1790 et l’élimination systématique des « ennemis du peuple » programmée par la loi du 22 prairial (10 juin 1794), entre la persécution des prêtres et la « terreur blanche » de 1795 ? Les exemples cités n’ont en commun que l’effroi ressenti par ceux qui en furent les victimes ou, dans certains cas, les témoins. Pour le reste, les dissemblances l’emportent de loin sur les ressemblances : ici la violence est spontanée, là préméditée ; ici sauvage, là judiciaire ; ici le fait du peuple, là de l’État ; ici elle frappe des individus identifiés, là elle s’abat aveuglément… Cette diversité n’est nullement exhaustive et il serait facile de multiplier les exemples au point de décourager toute tentative d’interprétation d’ensemble, sauf à considérer le problème de la violence et de la terreur du seul point de vue de leurs victimes et à se contenter ainsi d’en saisir les effets plutôt que le sens. »
Pour aider à la compréhension, il faut donc d’abord commencer par distinguer la Violence de la Terreur (pages 24, 25 et 26) :
« La terreur n’est pas réductible à la violence. Sans doute, toute violence inspire un sentiment de terreur, tandis que la terreur exige toujours le recours à une dose variable de violence. Mais pour autant, toutes les violences de l’époque révolutionnaire ne sont pas de nature terroriste. Violence et terreur se distinguent de deux façons : d’un côté par leur caractère délibéré ou non ; de l’autre par l’identification, ou au contraire la distinction, entre la victime frappée et la cible réellement visée. La violence des foules frappe, sinon au hasard, du moins sans préméditation ceux qu’elle vise, tandis que la terreur a pour particularité d’être l’application délibérée de la violence à une victime choisie en vue d’atteindre une cible.
La violence sauvage et collective, dont la Révolution offre maints exemples, depuis la mise à mort de Foulon et de Bertier de Sauvigny le 22 juillet 1789 jusqu’aux massacres des prisons en septembre 1792, a pour principal caractère la spontanéité de son déclenchement. Aucune directive ne préside aux premiers lynchages parisiens, ni même, du moins en l’absence d’indices convaincants, aux assassinats de septembre 1792.
(…) Cette violence collective et spontanée, d’une cruauté souvent extrême par la durée et le raffinement des sévices infligés aux victimes avant et souvent après leur mort, mais ponctuelle et localisée, n’a pas d’autre fin qu’elle-même. À la soudaineté de son déchaînement fait écho la rapidité du retour au calme. La mort des victimes laisse les tueurs et les spectateurs hébétés et comme rassasiés, convaincus d’une certaine façon que justice a été faite, mais incapables, lorsqu’on les interroge, de donner de leur geste une explication un tant soit peu rationnelle. Si cette violence sauvage est à l’origine de quelques-uns des épisodes les plus dramatiques de la Révolution française, elle s’inscrit dans une longue histoire où les années 1789-1794 n’occupent qu’un très court chapitre.
(…) Il s’agit d’un phénomène que les historiens des mentalités connaissent bien : la violence est une réponse à l’angoisse qui s’empare de la communauté lorsqu’elle se trouve confrontée à une menace engageant son existence même ou dont elle est persuadée qu’elle engage son existence, et qu’aggrave un contexte conjoignant affaissement de l’autorité légitime et effacement des repères traditionnels. C’est alors le temps des rumeurs les plus irrationnelles mais dont la fonction est d’apporter une réponse rassurante à l’incompréhensible, donc rationnelle en ce qu’elle assigne une cause objective, identifiable et extérieure à la dissolution dont la communauté paraît menacée. Rumeur, dénonciation, identification, châtiment : la violence se présente alors comme le moyen de donner un coup d’arrêt à la subversion de l’ordre naturel des choses par l’élimination du coupable, physiquement tué et symboliquement expulsé comme corps étranger et nuisible, afin que par ce sacrifice soient rétablies la cohésion et l’unité ontologiques de la communauté. C’est en cela que la mort du coupable épuise la signification de la violence.
Que ces actes terrorisent, la chose est certaine. Cependant, on ne saurait parler d’actes terroristes, car la terreur a précisément pour caractères distinctifs ce qui fait défaut à la violence spontanée des foules : une dimension stratégique et la distinction entre la victime et la cible réelle de la violence.
La terreur peut être définie comme une stratégie mobilisant un quantum de violence dont l’intensité peut varier de la simple menace de la violence jusqu’à son déchaînement aveugle, avec l’intention explicite de provoquer le degré de peur jugé nécessaire à l’accomplissement d’objectifs politiques dont les terroristes estiment qu’ils ne peuvent être atteints sans violence ou par les moyens légaux disponibles. Aussi la terreur se distingue-t-elle des autres formes de violence par sa nature délibérée, donc rationnelle : elle procède d’un calcul et vis à produire certains effets en vue d’une fin déterminée. Peu importe que cette fin soit ou ne soit pas rationnelle, ou que le recours au terrorisme engendre, comme le démontre l’expérience, des effets qui vont directement à l’encontre du but recherché, ou encore que le moyen soit intrinsèquement incapable de jamais atteindre la fin qui lui a été assignée : « On ne voit pas, note Jean Baechler, comment l’assassinat de quelques capitalistes pourrait amener à la disparition du capitalisme » (note n°14 : J. Baechler, « La terreur a-t-elle un sens ? », art. cité, p. 591) ; il en va de même des « aristocrates » ou de la « contre-Révolution ». La terreur est rationnelle, indépendamment de ses effets réels, en ceci que le terroriste y recourt en fonction d’un calcul sur le coût respectif des moyens disponibles (à supposer qu’il en existe d’autres) pour atteindre la fin qui est la sienne. De la crucifixion des partisans de Spartacus jusqu’à l’anéantissement des populations d’Hiroshima et de Nagasaki, la terreur est une stratégie marquée au coin de la rationalité : elle vise à contraindre ou à soumettre un sujet, moins par la souffrance et la mort que par la menace de la souffrance et de la mort infligées préalablement à un certain nombre de victimes choisies (y compris, le cas échéant, selon le principe du hasard). La terreur n’est jamais qu’un moyen, un instrument au service de la politique ou de la conduite de la guerre, aussi ancien que la politique et la guerre, et qui n’entretient même aucun lien particulier avec la modernité. »
Patrice Gueniffey revient encore sur la différence entre violence collective et Terreur (pages 27, 28, 29, 30 et 32) :
« On voit ici à l’œuvre les principales composantes de la terreur : sa dimension stratégique, la violence calculée qu’elle mobilise, enfin la relation indirecte qu’elle instaure entre les différents protagonistes. En effet, alors que la violence collective ne met en scène que deux acteurs (la foule et sa victime), la terreur en requiert au moins trois : le terroriste, la victime qu’il frappe, enfin la cible que le spectacle du supplice doit suffisamment terrifier pour qu’elle cède aux exigences du terroriste. Dans l’exemple donné par Machiavel, Remiro di Orco n’est que la victime, tandis que le peuple de Cesena est le véritable destinataire de cet acte de terreur. Cette relation nécessairement indirecte entre le terroriste et sa cible réelle peut même redoublée lorsque, comme dans le cas du terrorisme contemporain, un groupe politique ou un État frappent aveuglément une fraction plus ou moins large de la population pour la terroriser dans son ensemble et ainsi, par son intermédiaire, atteindre son gouvernement.
(…) S’il s’agit de punir pour réparer, il s’agit plus encore de punir pour prévenir. Les terroristes de 1793 ne disent pas autre chose. Ils ont sans doute en vue un autre objet, purement politique, mais ils justifient les mesures rigoureuses qu’ils préconisent en empruntant leurs arguments aux théoriciens qui, sous l’Ancien Régime, défendaient le principe de la peine capitale en fonction de son utilité.
Comme eux, comme Muyart de Vouglans, ils croient à la vertu des « grands exemples » : la punition prompte et capitale des conspirations doit prévenir de futures conspirations en imprimant dans les esprits la certitude du châtiment et la crainte de l’échafaud.
(…) La terreur est le règne universel et indéfini de l’arbitraire. Même lorsqu’elle emprunte ses formes à la justice, comme avec la création du Tribunal révolutionnaire du 10 mars 1793, la terreur doit conserver l’arbitraire de ses arrêts comme son ressort principal, car l’insécurité qu’elle répand est la condition de son efficacité. Peut-on concevoir en effet un système de terreur frappant seulement d’authentiques coupables ? Rassurant les innocents, il manquerait son but. L’asservissement de tous exige que chacun vive dans une crainte perpétuelle provoquée et entretenue par des exemples éclatants, suffisamment arbitraires et répétés : tous alors prendront peur et comprendront que la mort qui a frappé tel « coupable » pour des motifs incertains pourra, demain, les frapper à leur tour sans plus de formalités. »
Il faut également distinguer les lois de rigueur (loi martiale par exemple) et d’exception, de celles liées à la Terreur (pages 34, 35, 39 et 40) :
« La terreur commence précisément au-delà de cette ligne, lorsque la loi punit des délits si vaguement définis qu’elle atteint les actions aussi bien que les intentions et jusqu’à la passivité même, ou bien lorsqu’elle vise non plus les seuls actes, même définis de façon imprécise, pour viser les personnes. Le rédacteur des Annales patriotiques et littéraires, Jean -Baptiste Salaville, devait insister sur ce point après thermidor, notamment pour rappeler qu’on ne peut qualifier de « terroriste » toute loi de rigueur ou d’exception. La loi, fait-il remarquer, peut par exemple limiter la liberté d’expression pour « des motifs de salut public ou même d’utilité publique » sans pour cela violer cette liberté, car la loi ne poursuit pas dans ce cas l’opinion elle-même, mais seulement son expression publique et le trouble qu’elle est susceptible de provoquer ; mais, dans le même temps, la loi n’est fondée à interdire qu’à la condition de définir avec précision l’opinion concernée : « sans cette précision rigoureuse, les droits sont violés, et la tyrannie elle-même se sert de la loi », comme en l’an II où la loi punissait de mort les crimes d’ »avilissement des autorités », de « corruption des mœurs » ou « de se montrer ennemi du peuple », crimes à la définition si élastique que chacun se voyait livré à l’arbitraire du pouvoir (note n°29 : Annales patriotiques et littéraires de la France, n° DXCVII, août 1794, t. IX, p. 2607-2608) ».
De ce point de vue, la loi du 19 mars 1793 rendue contre les insurgés vendéens s’inscrit à l’opposé de la loi martiale d’octobre 1789 (note n°30 : J-B. Duvergier (éd.), Collection des lois, op. cit., t. V, p. 253-255). Les mesures de répression, en elles-mêmes légitimes contre des individus qui résistent à la loi, en l’occurrence celle sur la conscription, vont bien au-delà de celles prévues par la loi martiale de 1789 (dont on observera qu’elle pouvait fort bien être appliquée dans cette circonstance). La loi du 19 mars 1793 ne se borne pas à punir de mort les insurgés pris les armes à la main et les instigateurs : elle étend cette peine à tous ceux qui auront arboré la cocarde blanche « ou tout autre signe de rébellion » et, les déclarant au surplus « hors la loi », elle les prive du bénéfice de la protection offerte aux accusés ordinaires par les procédures judiciaires ou par l’institution des jurés. Le jugement est confié dans certains cas à des commissions militaires dont la sentence est exécutoire dans les vingt-quatre heures dès lors que les accusés auront été convaincus de rébellion, « soit par un procès-verbal revêtu de deux signatures, soit par un procès-verbal revêtu d’une seule signature, confirmé par la déposition d’un témoin, soit par la déposition orale et uniforme de deux témoins ». Les individus capturés sans armes sont déférés devant les tribunaux criminels ordinaires, mais ceux-ci, dans cette circonstance, jugent suivant la procédure expéditive des commissions militaires.
L’article 6 de la loi du 19 mars introduit encore une circonstance aggravante définie non par les actes commis mais par la qualité des prévenus. Cet article stipule que parmi les détenus, c’est-à-dire parmi tous ceux qui auront été appréhendés et indépendamment de tout jugement, « les prêtres, les ci-devant nobles, les ci-devant seigneurs, les agents et domestiques de toutes ces personnes, les étrangers, ceux qui ont eu des emplois ou exercé des fonctions publiques dans l’ancien gouvernement ou depuis la révolution » seront exécutés, de même que « les chefs, les instigateurs » et « ceux qui seraient convaincus de meurtre, d’incendie et de pillage ». Pillards et incendiaires encourent donc la peine capitale pour leurs actes, mais prêtres et nobles sont passibles de la même sentence en raison de leur état ou de leur naissance. Ils doivent périr même s’ils n’ont porté aucune arme, ni excité de soulèvement, ni commis aucun crime positivement énoncé. Leur état personnel suffit à établir leur culpabilité et à les priver du bénéfice de la mesure prévue à l’égard de ceux qui, ayant été arrêtés mais n’ayant commis aucun crime, doivent « seulement » être maintenus en détention jusqu’à ce que la Convention décide de leur sort.
Enfin, la loi ordonne la confiscation des biens des condamnés ; par là, elle étend les effets de la culpabilité à leur famille. Loi d’exception, mais de surcroît loi terroriste en ce qu’elle donne la plus grande latitude à l’interprétation et que le caractère vague des preuves exigées permet de frapper n’importe qui, donc tout le monde.
La loi de mars 1793 avait été adoptée alors que la Convention venait de recevoir les premières informations sur les troubles et ignorait tout de leur ampleur réelle. Disproportionnée et mieux faite pour aviver l’incendie que pour l’éteindre, elle fut abrégée de fait le 10 mai suivant par Danton, qui fit décréter que « les chefs et instigateurs des révoltés ser[aient] seuls sujets à la peine portée par le décret du 19 mars contre les rebelles » (note n°31 : Ibid., t. V, p. 347). Si la loi du 19 mars est une loi terroriste, les dispositions du décret du 10 mai rentrent dans la classe plus ordinaire des mesures d’exception destinées à réprimer les troubles de l’ordre public.
(…) La terreur devenant le « mentor » d’une politique ou d’un régime est l’arme des minorités. « L’autorité légitime, observe Tallien, celle qui a l’aveu du plus grand nombre, n’a besoin que de cet aveu (c’est-à-dire de la force de la loi et de l’opinion) pour triompher, pour prévenir les résistances particulières. La terreur ne peut être utile qu’à la minorité qui veut opprimer la majorité (note n°38 : Archives parlementaires, t. XCVI, p. 57). En tenant compte de cette dernière caractéristique, et en écartant du champ proprement dit de la terreur ces lois d’exception dont la majorité peut user momentanément pour réduire une minorité qui la menace, la terreur peut être définie comme une stratégie par laquelle un groupe ou les détenteurs du pouvoir d’État recourent à la violence et à l’arbitraire en vue de créer le sentiment de peur et d’insécurité qu’ils estiment nécessaire pour faire triompher des revendications particulières ou pour conquérir le pouvoir ou pour s’y maintenir contre le vœu de la majorité. Ni la violence des foules, ni les mesures de rigueur que peuvent imposer les circonstances à l’autorité légitime n’ont, à proprement parler, leur place dans l’histoire de la terreur. »
En ce qui concerne l’insurrection Vendéenne de mars 1793, qui fut définitivement écrasée en décembre de la même année, en réalité, elle fit partie d’une révolte généralisée partout en France, suite à la conscription (ou levée) arbitraire de 300 000 hommes pour aller à la guerre.
Dans le cadre de la Révolution française, la Terreur a donc atteint son paroxysme par la volonté de l’État Français d’exterminer la population Vendéenne, en janvier 1794, avec les « colonnes infernales » du Général Turreau et les noyades de Nantes perpétrées par Carrier. Et ce sont donc des lois à caractères Terroristes qui ont été le fondement de cette Extermination de masse. Lois que nous retrouverons tout au long de ce commentaire, comme la loi du sang du 19 mars 1793 que nous venons de détailler ; jusqu’à la loi du 10 juin 1794 décrétant la Grande Terreur, incluant l’élimination de tous les « ennemis du peuple » (pages 41 et 42) :
« Les Vendéens, sans doute, se sont révoltés, mais ils ont été acculés à la guerre, à une guerre qu’ils n’avaient pas voulue. C’est la Révolution, par son intransigeance, par son incapacité à analyser les conflits en termes politiques, donc justiciables de solutions politiques, et par sa propension à interpréter toute forme d’opposition comme mettant en jeu les principes, qui transforme en guerre la révolte de mars 1793 contre le recrutement. Les Vendéens n’ont d’ailleurs d’autre choix que d’arborer le drapeau de la contre-Révolution, parce que les révolutionnaires ne leur laissent pas le choix des motifs de leur combat. Ce sont eux qui dictent la définition du conflit. Parce qu’il n’y a, à leurs yeux, d’opposition que contre-révolutionnaire, alors la Vendée devient par nécessité contre-révolutionnaire, autrement dit étrangère et ennemie au sein même de la nation. La guerre faite au nom de principes qui excluent par avance tout compromis, la guerre inexpiable qui ne peut trouver d’issue que par la destruction de l’adversaire, cette guerre totale est du seul côté de la Révolution. Mais cette terrible guerre civile est encore une guerre. En revanche, à partir de janvier 1794, le déploiement des colonnes infernales marque le passage délibéré à une stratégie méthodique d’extermination de l’ensemble de la population. Si la sauvagerie dans l’exécution est réelle, elle n’intervient qu’à titre de condition pour accomplir une tâche en elle-même atroce et sans relation, depuis la déroute des Vendéens en décembre 1793, avec aucune logique d’exemplarité comme avec aucune rationalité militaire.
À l’échelle de la France, l’apparition des trois formes de la violence révolutionnaire correspond globalement à trois séquences chronologiques.
La violence collective et sauvage marque surtout les premières années de la révolution, et elle culmine en 1792 avant de décroître à partir de 1793 pour connaître un ultime sursaut lors des insurrections de germinal et de prairial an III ; la terreur, comme moyen, fait son entrée dans la politique révolutionnaire dès 1789, notamment avec la création du Comité des recherches de la ville de Paris au mois d’octobre, mais c’est seulement deux ans plus tard, en octobre 1791, que le pouvoir révolutionnaire central, en l’occurrence l’Assemblée législative, se résout à l’employer (à l’encontre des émigrés), et au printemps de 1793 qu’elle devient à la fois, en s’institutionnalisant, la politique de la Révolution et un système ; au printemps de 1794, enfin, et pour quelques longues semaines auxquelles le 9 thermidor met brutalement fin, la terreur se dote d’une idéologie comme fondement d’un système de pouvoir et comme principe de légitimation d’une politique d’extermination des « ennemis du peuple », dont la destruction de la Vendée, conçue et mise en œuvre dans un contexte tout différent en janvier 1794, avait constitué comme la répétition générale. La terreur n’a plus dès lors pour moyen la violence et pour fin l’effroi provoqué par la première, mais la violence en vue de l’anéantissement total de ses ennemis. La chronologie réelle n’a sans doute pas cette simplicité d’épure, mais il convenait seulement, au seuil de cette étude, de souligner la diversité des phénomènes que recouvre l’histoire de la terreur dans la Révolution française. »
Pourtant, au début, en 1789, la Révolution Française était prometteuse de Liberté et d’Égalité (pages 59) :
« La Révolution va plus loin encore. Elle ne se contente pas de destituer le roi de l’Ancien Régime : elle proclame l’égalité civile et renverse l’ancienne société des ordres et des corps. »
Malheureusement, dans une Révolution, souvent, une partie des révolutionnaires devient paranoïaque, voyant des complots partout de soi-disant « contre-révolutionnaires », justifiant ainsi la violence Révolutionnaire conduisant à la Terreur de masse (pages 63, 64, 65 et 66) :
« Le terme annoncé s’éloigne à mesure qu’on en approche ; la Révolution, qui inscrit le bonheur universel sur sa bannière, fait couler le sang : l’imaginaire du complot, en conduisant à imputer la responsabilité de la violence à une volonté étrangère et extérieure, possède les vertus d’un vaccin. Il immunise le révolutionnaire contre le démenti de ses illusions par l’expérience et, le cas échéant, il lui permet de tuer avec innocence. Il est même impossible de concevoir le personnage du révolutionnaire indépendamment de celui de son ennemi et complice secret, le contre-révolutionnaire. Ils forment un couple indissoluble. Le premier a un besoin vital du second, car celui-ci seulement lui permet de continuer à affronter avec la foi du charbonnier des obstacles dont la répétition même apporte la preuve de l’inanité, ou du caractère démesuré, du but qu’il veut atteindre.
La supériorité de la Révolution française, à cet égard, tient à ce qu’elle donne d’emblée un visage à cet ennemi omniprésent : l’aristocrate.
(…) Le fantasme du « complot aristocratique » envahit très vite l’espace du discours révolutionnaire. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer le flot ininterrompu des dénonciations qui sont adressées au Comité des recherches de l’Assemblée constituante (note n°48 : Pierre Caillet, Comité des recherches de l’Assemblée nationale, 1789-1791. Inventaire analytique de la sous-série D XXIX bis, Paris, Archives nationales, 1993.). L’inventaire de cette correspondance présente un tableau à la mesure de l’intensité de la passion égalitaire qui s’empare du pays en 1789. Il convient de préciser que cette frénésie dénonciatrice témoigne autant de l’irruption de l’esprit révolutionnaire que de la persistance de cette mentalité traditionnelle déjà évoquée et accoutumée à incriminer des conspirateurs pour expliquer toute situation incompréhensible et si dangereuse qu’elle semble menacer de désintégration l’ordre naturel des choses. Les deux dimensions se croisent et s’interpénètrent.
L’imaginaire du complot remplit une autre fonction encore. La crainte du « complot aristocratique » est en effet le vecteur par lequel la nation se constitue et prend conscience d’elle-même. La nation se définit par ce qu’elle rejette ; elle prend forme matérielle, consistance et réalité, à travers la mobilisation qu’entraînent les rumeurs sur les complots qui la menacent. En conduisant à l’organisation spontanée, dans toute la France, des gardes nationales pendant l’été de 1789, l’obsession du complot a finalement donné un visage à l’idée plutôt abstraite d’une société d’individus sans autre lien réciproque que l’identité des droits possédés séparément par chacun d’entre eux. Le fantasme d’une menace pesant sur les droits récemment conquis a réalisé ce que ces droits ne pouvaient par eux-mêmes produire : la réinvention d’une communauté, par l’exclusion au moins symbolique d’une fraction de ses membres. La nation a trouvé une identité dans ce qu’elle retranchait du corps social. C’est à ce prix que le tiers état a pu en 1789 s’approprier l’idée de nation.De l’adversaire à l’ennemiLa figure du complot en reçoit une puissance accrue, et les conflits politiques un caractère plus radical. C’est aussi que la Révolution française n’oppose pas des adversaires mais des ennemis. Il ne s’agit pas d’un conflit politique qui porterait sur le choix des moyens, et auquel il serait dès lors possible de trouver une issue politique par la négociation. C’est un conflit qui porte sur les fins dernières de l’ordre social et politique, raison pour laquelle il prend très tôt l’apparence d’une guerre, avec toutes ses conséquences, qu’il s’agisse de la haine contre l’adversaire ou de la tentation de recourir à des moyens expéditifs et violents. L’enjeu est si élevé, si absolu – la liberté, l’égalité, la légitimité – qu’il exclut par avance tout moyen terme, tout compromis. Le conflit révolutionnaire s’apparente ainsi aux conflits religieux dont l’enjeu, une conception du salut, est si élevé qu’il n’est pas négociable et que le combat ne peut finir qu’avec la destruction totale d’un des adversaires en présence. »
Dès 1791, le 10 juin exactement, Robespierre énonçait des points de vue intransigeants, comme à travers cet exemple, lié aux licenciements des officiers nobles (page 67) :
« Je le dirai avec une franchise qui paraîtra tenir un peu de la rudesse, mais que les circonstances autorisent : quiconque ne voit pas cette nécessité [du licenciement] est un homme stupide ; quiconque la voit, et ne veut point, ne conseille point le licenciement, est un traître ». (Note n°52 : Robespierre, Œuvres, op. cit., t. VII, p. 471-472). Cette conception absolue du conflit politique, qui ouvre la porte à tous les excès comme à toutes les dérives, est coextensive à la Révolution. Avec le volontarisme et le « constructivisme » révolutionnaires, avec la conception unitaire de la souveraineté et la quête d’un pouvoir transparent, avec l’obsession du complot et la passion égalitaire, elle figure ce que la Révolution recèle dès son déclenchement de violence et de terreur potentielles.
Dès 1789, la terreur est dans la Révolution française « comme un point sombre sur la peau d’un fruit [qui] accuse le ver qui le ronge à l’intérieur » (note n°53 : Alessandro Manzoni, La Rivoluzione francese del 1789 e la Rivoluzione italiana del 1859 (…).) : elle ne surgira ni comme une fatalité ni comme un pur accident. »
D’ailleurs, Robespierre n’était pas le seul à tenir des propos à caractères Terroristes, puisque dès le 12 septembre 1789, Marat écrivait dans son journal Le Publiciste parisien (qui prendra le titre de l’Ami du Peuple à partir du 16 septembre 1789), des expressions vindicatives telles que : coalition des « lâches députés » ; « monarque ambitieux » pour asservir le peuple ; il stigmatisait « la rage des ennemis publics, la cupidité des monopoleurs, l’infidélité des administrateurs » ; une « puissante faction cachée au sein même des États généraux » ; les intrigues étaient relayées au dehors par une nuée d’émissaires et de créatures « répandus parmi le peuple » ; etc.. (page 69 et 70) :
« Il n’existe, selon lui, qu’un seul remède à la conjuration universelle dont il voit la main derrière chaque événement et chaque décision : c’est de purger et d’éradiquer inlassablement, comme on arrache de mauvaises herbes qui ne cessent pourtant de repousser : « Jamais la machine politique ne se remonte que par des secousses violentes, écrit-il dans l’un de ses premiers numéros, comme les airs ne se purifient que par les orages ».
(…) Il exhorte ainsi ses lecteurs à passer les ennemis de la patrie au fil de l’épée ; il voudrait qu’on les lapide, qu’on les poignarde, qu’on les fusille, qu’on les pende, qu’on les brûle, qu’on les empale ou qu’on les écartèle, et, à défaut, il conseille qu’on leur coupe les oreilles ou qu’on leur tranche les pouces afin de les identifier plus aisément. »
Puis Marat précisait (pages 70, 71, 74, 75 et 76) :
« Quelques têtes abattues à propos, écrit-il en 1790, arrêtent pour longtemps les ennemis publics ». Marat préconiserait-il de procéder à quelques exécutions exemplaires pour éviter de devoir recourir à des épurations plus massives ? Lorsque Marat parle d’abattre « quelques têtes », ces mots n’ont pas le sens qu’on leur donne communément. Ici, « quelques têtes » signifie aussi bien plusieurs milliers. En juillet 1790, il déplore que l’on n’ait pas immolé les cinq cents coupables dont la mort aurait permis d’assurer, au moins pour quelque temps, le bonheur de la nation ; un mois plus tard, le chiffre des victimes à sacrifier passe à six cents, puis bondit à la fin de l’année à vingt mille, pour doubler après la chute de la royauté et atteindre le chiffre très précis de deux cent soixante-dix mille traîtres à éliminer en novembre 1792. Violence regrettable sans doute, concède Marat, mais indispensable, et même humanitaire si on la compare aux vingt mille patriotes que la contre-Révolution, assure-t-il, a déjà assassinés et aux cinq cent mille autres dont elle a juré la mort.
(…) La conception maratiste de la politique exclut par avance toute possibilité de fonder le règne de la liberté sur une quelconque légalité. La terreur doit être la conséquence inéluctable de cette réduction de la politique au soupçon. Terreur permanente, nécessairement plus étendue et plus générale dans une démocratie que sous une monarchie, dans la mesure où, dans la démocratie, la multiplication des organes du pouvoir et la participation des citoyens élargissent considérablement le cercle des individus exposés à la surveillance : ici, les complots peuvent avoir des ramifications dans tout le corps social. La terreur est inévitable, enfin, parce qu’en faisant de la dénonciation la seule activité politique réellement utile et en refusant que cette fonction de surveillance puisse être exercée par des voies légales, Marat ne peut que prôner le recours à la violence : violence du peuple retournée contre celle des gouvernants.
(…) Marat, à vrai dire, ne goûtait guère les violences populaires trop susceptibles de frapper au hasard ou d’immoler l’innocent avec le coupable. Dans son délire de proscription, d’ailleurs purement verbal, il aspirait à une certaine rationalité de la violence et rêvait d’une violence qui frapperait juste, au bon moment et à bon escient.
À partir d’une approche de la politique qui doit plus à l’Ancien Régime qu’à la Révolution, Marat esquisse, dès ses premiers écrits, en 1790, ce que sera la dynamique de la terreur : sa transformation d’instrument politique en système, ouvrant dès lors sur l’impossibilité de sa propre fin.
(…) Dictature, donc, nécessairement vertueuse puisqu’il faut compter avec le risque que son exercice n’engendre à son tour un pouvoir qui, en se perpétuant, finirait par se retourner immanquablement contre le peuple dont il est chargé de défendre la liberté. Seule la vertu du dictateur peut garantir la justice dans la punition des coupables et assurer que l’homme investi de ce pouvoir terrible l’abdiquera au terme fixé. C’est pourquoi Marat est dans la Révolution l’un des premiers zélateurs de Robespierre en qui il devine sans doute un tempérament soupçonneux comparable au sien, mais en qui il célèbre surtout « le seul homme pur du sénat », le seul chez qui l’amour du peuple est assez fort pour tenir la bride à l’amour de soi.
Le discours de Marat a ceci de remarquable qu’il montre comment le recours à la terreur doit fatalement se résoudre un jour dans la dictature du plus vertueux. Il nous montre également comment la terreur est condamnée à devenir indéfinie. Sans doute Marat assure-t-il qu’elle aura un terme et que, la violence ayant toujours fondé les mauvais gouvernements, la violence du peuple accouchera à l’inverse d’un pouvoir délivré de la malédiction du pouvoir. Mais il y a là une aporie évidente : en effet, l’idée d’un gouvernement vertueux n’a pas sa place dans le système de Marat (note n°14 : Ce point est souligné par J. De Cock et Ch. Goëtz dans Marat, Œuvres politiques, op. cit., t. IV, p. 636*.). L’essence despotique de tout pouvoir interdisant à jamais qu’il puisse exister un pouvoir si positif que la terreur devienne inutile, la terreur finit par se confondre avec la liberté.
Dès 1790, Marat écrit donc par avance l’histoire de l’an II : le passage de la terreur comme moyen politique circonstanciel à une dictature garantie par la vertu de son dépositaire et à la pérennisation indéfinie de la violence. »
Même si nous avons vu qu’il y a des différences importantes entre violence et Terreur, Patrice Gueniffey insiste sur le fait que la Terreur prend ses origines dès le début de la Révolution Française (page 80, 99 et 100) :
« La distinction nécessaire qu’il convient d’établir entre violence et terreur n’empêche que l’histoire de la seconde ne commence ni en 1793, ni même en 1791 ou en 1792, mais dès 1789. En cela, elle trouve ses origines à la fois dans l’Ancien Régime et la Révolution.
(…) La terreur n’est pas seulement le fait des foules et des militants révolutionnaires de la capitale : sa revendication, nourrie par des complots imaginaires ou réels, monte de toute la province, comme en témoigne l’inventaire des dénonciations reçues par le Comité des recherches de l’Assemblée constituante (note n°57 : Voir P. Caillet, Comité des recherches de l’Assemblée nationale, op. cit.). Si l’irruption de la terreur apparaît en effet consubstantielle à l’événement révolutionnaire, il faut néanmoins préciser que la terreur est d’abord, chronologiquement parlant, le fait de foules dont la mobilisation pour punir les « coupables » a pour motif les enjeux créés par la Révolution mais pour ressort profond une culture « punitive » très antérieure à la Révolution. C’est seulement ensuite que la terreur deviendra une exigence des militants révolutionnaires, dans les districts, à la Commune, bientôt dans les clubs. Elle est d’abord une pratique populaire que rencontreront ensuite les aspirations des militants, avant que le pouvoir révolutionnaire à ses échelons inférieurs – municipalités, districts, plus rarement administrations départementales – ne s’en approprie les méthodes pour briser les oppositions.
(…) La terreur, liée d’abord à l’ »archaïsme » des mentalités populaires, est donc bientôt devenue l’un des moyens de la politique révolutionnaire. Mais à aucun moment, du moins jusqu’à l’été de 1791, ce moyen localement et ponctuellement utilisé ne se transforma en politique de la Révolution en tant que telle. Passé les premiers mois au cours desquels est acquise une très relative et fragile stabilisation de la situation, et en attendant le grand tournant provoqué par la fuite de Louis XVI dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, l’Assemblée constituante opposa le parti pris de la légalité et respect des principes aux revendications dont elle était assaillie en faveur d’un traitement expéditif des « traîtres » et autres « suspects » : soit en vidant de toute portée pratique les concessions qu’elle avait été contrainte de faire lorsque son autorité était encore mal assurée (la criminalisation de l’opposition par le biais de la notion de lèse-nation), soit en opposant une fin de non-recevoir aux réclamations des radicaux (comme lorsque le 24 février 1791, informée de l’arrestation à Arnay-le-Duc des tantes de Louis XVI qui quittaient la France sous prétexte d’aller célébrer leurs Pâques à Rome, elle ordonna leur mise en liberté en rappelant « qu’aucune loi existante du royaume ne s’oppose au libre voyage de Mesdames » et au droit pour tout citoyen de sortir librement du royaume). Dans son extension possible, la terreur se heurtait à un pôle de résistance : l’Assemblée constituante ; elle se répandait à la base sans contaminer le sommet de l’État et du pouvoir révolutionnaire. »Afin de rendre plus concrète l’application de la Terreur, Patrice Gueniffey fait le parallèle avec les deux autres Révolutions Françaises au 19ème siècle, celles de 1848 et 1871. Il démontre, qu’exceptionnellement, il peut arriver que la Terreur soit appliquée même sous un régime légitime, Républicain naissant (page 101 et 102) :
« On établit spontanément un lien entre la terreur et le despotisme : à juste titre, puisque le despote se maintient seulement par la crainte qu’il inspire, de telle sorte qu’il lui faut terroriser tout le monde et sans relâche, pour, comme dit Montesquieu, abattre tous les courages et éteindre jusqu’au moindre sentiment d’ambition.
Mais les gouvernements légitimes, et même ceux dont le fondement est démocratique, peuvent également recourir à la terreur, même si cela ne peut être qu’exceptionnellement et en circonscrivant à la fois l’étendue et la durée de son application. Cependant, cette terreur exercée ponctuellement atteindra un degré d’intensité d’autant plus élevé que le gouvernement qui l’emploie possédera une origine plus démocratique : dans ce cas, en effet, l’utilisation de la force est appuyée sur la volonté par définition générale de la nation pour être dirigée contre des volontés nécessairement particulières, si large soit l’opposition. La république – du moins dans la tradition française issue de la Révolution – est ainsi l’un des régimes les plus exposés à déchaîner la terreur contre leurs ennemis (note n°60 : Voir chapitre VII). La Révolution de 1848 illustre ce propos. Lors des journées de février, Louis-Philippe, après avoir épuisé toutes les combinaisons susceptibles de conduire à une solution politique de la crise, fit appel au maréchal Bugeaud. Ce dernier, fort de son expérience de la « pacification » en Algérie, lui proposa de rétablir l’ordre dans la capitale et lui annonça froidement le prix à payer pour sauver la Couronne : vingt mille morts. Louis-Philippe refusa et perdit sa couronne. Quelques mois plus tard, informé de la sanglante répression déclenchée par la IIe République contre le soulèvement des ouvriers des « Ateliers nationaux », le roi déchu eut ce mot lourd de sens : « Elle a de la chance, la République, elle peut faire tirer sur le peuple! » (note n°61 : cité par Guy Antonetti, Louis-Philippe, Paris, Fayard, 1994, p. 919.).
En effet : la république (et la France de 1789 est une république avec un exécutif monarchique) est la nation même, à l’égard de laquelle toute opposition n’est qu’une volonté particulière dressée contre la volonté générale. C’est en vertu de la même idée de la légitimité que la Commune de 1871 sera noyée dans le sang avec une sauvagerie dont un roi, à la même époque, pouvait assurément faire preuve, mais à ses risques et périls. »
Nous avons donc établi qu’une violence extrême s’est exercée dès le début de la Révolution française ; et que la Terreur Étatique a ensuite pris le relais. Patrice Gueniffey nous propose même une date précise pour marquer le début de cette Terreur Institutionnalisée. Il s’agit du 9 juillet 1791, lorsque l’Assemblée Constituante lança un ultimatum aux émigrés (pages 149 et 151) :
« Il est même possible d’assigner une date à l’apparition de la Terreur, non plus dans la « politique révolutionnaire » où elle se déploie, simultanément rhétorique et pratique, depuis 1789, mais dans la « politique de la Révolution » : le 9 juillet 1791, lorsque l’Assemblée constituante lance un ultimatum aux émigrés et décide de frapper ceux qui ne rentreraient pas dans un délai d’un mois d’une peine pécuniaire, assortie de la menace de se voir traînés devant la Haute Cour pour trahison en cas d’invasion étrangère (note n° : Moniteur, t. IX, p. 280) .
Cette loi sort du domaine des lois d’exception. Par son esprit, sinon par ses dispositions matérielles, elle s’inscrit déjà dans le registre des mesures de terreur. À la différence de la loi martiale d’octobre 1789, déjà évoquée, et en dépit de la modération de la sanction prévue, elle ne frappe pas un délit défini en chargent l’autorité judiciaire d’apporter la preuve de la culpabilité : elle vise une catégorie de la population – tous ceux qui ont quitté le territoire national depuis le 1er juillet 1789 – sans même distinguer entre les motifs du départ, nécessairement très différents d’un cas à l’autre.
(…) L’escalade va se poursuivre. Le 9 février 1792, la Législative séquestre les revenus des émigrés ; le 27 juillet, elle confisque leurs biens ; le 1er mars 1793, enfin, la Convention les déclare « bannis à perpétuité » et « morts civilement », ordonnant que ceux qui s’aviseraient de rentrer ou qui refuseraient de quitter le territoire après y être revenus soient mis à mort. À compter de cette date, les émigrés ne sont plus poursuivis comme coupables du crime de lèse-nation ; ils sont retranchés de la nation dont ils se sont constitués les ennemis par leur absence. »
Puis après la catégorie des émigrés, ce fut celle des prêtres réfractaires d’être prise pour cible par l’État Français (pages 154, 155, 156, 158, 159, 160 et 161) :
« Sous couvert de rétablir la paix civile, le loi du 29 novembre 1791 créa en réalité les conditions d’une interdiction effective du culte réfractaire. Elle stipula que les ecclésiastiques qui refuseraient de prêter serment à la Constitution seraient privés de leurs traitements et pensions et « réputés suspects de révolte contre la loi et de mauvaise intention contre la patrie » ; en cas de troubles, même s’ils en étaient les victimes, l’administration du département, après consultation de son homologue du district concerné, pourrait ordonner leur déportation provisoire « du lieu de leur domicile ordinaire », ou, en cas de « désobéissance », les déférer devant les tribunaux où ils seraient passibles d’une peine de deux ans de détention (note n°15 : J.-B. Duvergier, Collection des lois, op. cit., t. IV, p. 23-26). Toute latitude était en fait accordée à l’administration pour exploiter au mieux les suspicions, voire l’agitation, que ne pouvait manquer de susciter la semi-clandestinité à laquelle était réduit le clergé réfractaire. La loi du 29 novembre révoquait l’ »édit de Nantes » concédé par la Constituante six mois auparavant.(…) C’est cette pente que devait bientôt emprunter la Législative. Louis XVI ayant opposé son veto à la loi le 19 décembre 1791 (note n°18 : En avril 1792, selon le rapport du ministre de l’Intérieur Roland, la loi était appliquée, malgré le veto royal, dans la moitié des départements (A. Aulard, « Les origines de la séparation des Églises et de l’État », art. cité, p. 140)), l’Assemblée revint à la charge en mai 1792 : le 27, elle autorisa les administrations départementales à ordonner, si vingt citoyens en faisaient la demande, la déportation des ecclésiastiques non assermentés (note n°19 : J.-B. Duvergier, Collection des lois, op. cit., t. IV, p. 209-210). Louis XVI repoussa cette loi comme la précédente, mais après le renversement du trône, la Législative assena le coup de grâce au clergé réfractaire : le 26 août 1792, elle ordonna aux prêtres non assermentés de quitter le territoire national avant quinze jours sous peine de déportation en Guyane, les prêtres infirmes ou âgés de plus de soixante ans étant placés en détention (note n°20 : Ibid, p. 423-424).
L’escalade à laquelle on assiste en 1792 s’effectuait dans l’esprit de la loi du 29 novembre 1791. Comme dans le cas de la législation contre les émigrés, la guerre et ses revers peuvent avoir exercé une certaine influence sur l’aggravation des sanctions, mais cette aggravation n’a pas modifié l’esprit qui avait présidé aux premières mesures, prises avant le déclenchement effectif des hostilités avec l’Autriche.
(…) Cette dimension stratégique du débat de février 1791 se retrouve en fait tout au long de l’histoire de la Terreur. Ainsi, les lois de novembre 1791 contre les émigrés et les réfractaires, qui marquent l’entrée de la Terreur dans la législation révolutionnaire, ne sont pas une réponse à une menace réelle, ou du moins aussi pressante que pourrait le faire croire la rigueur des mesures prises. Ces lois ne répriment pas un complot préexistant ; elles transforment en complot des comportements, des actes – l’émigration, le refus de prêter serment à la Constitution civile du clergé – qui, certes, expriment une opposition à la Révolution, mais qui n’impliquent nullement l’existence d’un complot. C’est la répression qui s’abat sur ces gestes d’opposition qui les transforme en manifestation diverses d’un même et unique complot.
On rencontrera encore ce trait au moment de la « Grande Terreur » de 1794, où les victimes du Tribunal Révolutionnaire ne seront pas guillotinées parce que coupables, mais coupables parce que guillotinées. En 1791, la répression ne répond pas à la menace, elle l’exploite en construisant un roman fantastique à partir de présomptions, d’actes isolés ou d’oppositions en réalité impuissantes. En 1794, il ne s’agira plus même d’exploiter les circonstances à des fins répressives, mais de les inventer, de les fabriquer pour justifier une répression devenue sans relation avec un danger réel, même minime. Les conséquences ne sont pas sanglantes en 1791, mais le mécanisme est déjà celui de 1794.
(…) La Terreur, dans cette opération politique, n’est qu’un instrument. Si les émigrés et les prêtres réfractaires sont destinés à en devenir les victimes, il n’en sont pas les cibles privilégiées : Louis XVI, la monarchie, la Constitution sont les vraies cibles que seule une crise majeure peut permettre d’atteindre. Par la répression des complots supposés, les Girondins s’y emploient. Ils ont besoin de conspirations comme ils ont besoin de trahisons et de défaites. Brissot le dissimule à peine lorsqu’il déclare le 30 décembre 1791 aux Jacobins : « Je l’avouerai, Messieurs, je n’ai qu’une crainte, c’est que nous ne soyons pas trahis. Nous avons besoin de grandes trahisons », seul moyen d’en finir avec les « fortes doses de poison » que recèle encore le sein de la France (note n°30 : Jacques Pierre Brissot, Second discours sur la nécessité de faire la guerre aux princes allemands ; prononcé à la Société [des amis de la Constitution], dans la séance du vendredi 30 décembre 1791, Paris, impr. du Patriote français, [1792], p. 15.). Terreur et guerre s’inscrivent ainsi, en 1791 et en 1792, dans une logique de radicalisation politique en vue d’un coup d’État.
Il ne faudrait pas pour autant conclure de cette dimension tactique du recours à la Terreur que celle-ci fut indépendante de la guerre, autrement dit des circonstances. La guerre, surtout accompagnée de défaites suivies elles-mêmes de l’invasion du territoire, comme ce fut le cas en 1792, crée à toutes les époques et dans tous les contextes une situation nouvelle et dont il est pour le moins difficile de maîtriser les effets.
(…) Si l’on ne peut affirmer, donc, que la guerre radicalisa les oppositions, du moins faut-il convenir qu’elle en radicalisa la perception en imposant l’idée, lourde de conséquences, que le conflit politique était une guerre inexpiable mettant aux prises la nation, menacée dans son existence et unanime, avec les États étrangers ligués aux ennemis intérieurs pour la détruire. La guerre « délégitime » toute manifestation d’opposition en l’assimilant à la trahison.
De même que la guerre éteint toute vie démocratique, de même elle tend naturellement à accroître les prérogatives de la puissance collective au détriment des droits des particuliers ; elle entraîne également, par sa durée, par ses péripéties et par l’exaltation rhétorique du combat, du sacrifice et de la haine de l’ennemi qu’elle appelle afin de mobiliser les énergies, une « brutalisation » des comportements, une accoutumance progressive à la violence et à l’idée de la mort, un affaiblissement concomitant de la valeur accordée à la liberté, à la légalité et aux droits individuels. D’un côté la guerre conduit à voir dans tout opposant un ennemi, de l’autre elle affaiblit le prix accordé à la vie. »
Patrice Gueniffey reprend alors la phrase de Edgar Quinet pour résumer l’Histoire de la Révolution Française (page 196) :
« Les révolutionnaires étaient les enfants du siècle des Lumières ; mais n’étaient-ils pas aussi bien ceux de la monarchie absolue ? »
Rétrospectivement, on ne peut que constater la façon dont s’est déroulée la Révolution Française. À savoir que, plus de 200 ans plus tard, quelle critique la plus objective possible pouvons-nous lui adresser, notamment pour ce qui relève de la Terreur ; pour reprendre les termes de Patrice Gueniffey, entre les partisans des « circonstances » et ceux qui favorisent la théorie de la « nécessité » de la Terreur ? Et comment est-on passé de la Révolution Française de 1789 à la Terreur de 1793 ? (pages 226 et 227) :
« La Terreur n’est ni le produit du jacobinisme en tant qu’idéologie, ni l’effet des potentialités despotiques de 1789 révélées par les circonstances. Expliquer la Terreur par l’aveuglement idéologique, ne serait-ce pas d’ailleurs la parer encore d’une certaine innocence, lui reconnaître une sorte de poésie ? La Terreur, je l’ai dit, est une fatalité, non pas de la Révolution française, mais de toute révolution considérée comme modalité du changement. Le jacobinisme constitue en cela un archétype. Toutes les révolutions ont leurs jacobins. Si les révolutions sont le plus souvent idéologiquement incomparables, elles sont politiquement comparables. « Quand on étudie une période de l’histoire, faisait remarquer Edme Champion, il faudrait, au lieu de fixer constamment les yeux sur elle, regarder tantôt en avant, tantôt en arrière. On verrait souvent que des choses que l’on croit nouvelles, extraordinaires, ne le sont point du tout, que ce qui semble le caractère propre, distinctif d’une époque, se retrouve ailleurs en des circonstances profondément différentes ; on comprendrait que les mêmes effets peuvent être produits par des causes contraires, que tel fait, qu’on est tenté d’expliquer par un certain ressort, est arrivé plus d’une fois en l’absence de ce ressort (note n°62 : Edme Champion, « La Ligue et la Révolution française », La Révolution française, 1905, p. 10-11.).
C’est en cela que le jacobinisme est exemplaire : il est la dynamique révolutionnaire en acte, la révolution mise en mots, moins la face cachée de la démocratie que la réalité atroce de toute révolution.La dynamique révolutionnaire
La terreur est l’aboutissement inexorable de la révolution considérée dans sa dynamique. Ce ne sont ni les oppositions externes ni les obstacles internes auxquels se heurte la Révolution française qui expliquent la radicalisation de celle-ci, mais les luttes fratricides entre ses partisans, la concurrence qui oppose les révolutionnaires aux révolutionnaires. Par exemple, on ne peut dire que la guerre provoque la surenchère en élargissant le théâtre de la Révolution et en lui faisant dépasser les objectifs qui étaient initialement les siens ; c’est, inversement, la radicalisation de la politique révolutionnaire qui engendre la guerre et la terreur. »
En tout état de cause, l’ »étincelle » qui déclenche le début d’une Révolution reste mystérieux. En effet, par définition, une Révolution est un phénomène imprévisible, car le déclic qui fait s’enflammer un Peuple relève d’un équilibre précaire, incertain et de l’accumulation des tensions, dans le temps, au sein de la société civile qui, soudainement, un jour, bascule et engendre l’insurrection conduisant à la Révolution (page 228) :
« Dans une situation révolutionnaire, tout change. Le déclenchement des révolutions reste à bien des égards un événement énigmatique. Les causes plus ou moins lointaines que l’historien peut leur assigner rétrospectivement fournissent une explication toujours partielle : les révolutions participent du surgissement. On dit communément qu’elles « éclatent ». Elles éclatent en effet, parfois sans sommation, les contemporains stupéfaits assistant à cette brutale rupture de l’ordre ordinaire des jours qui conjoint nécessairement deux phénomènes : d’un côté, la transformation d’une multitude d’individus la veille encore séparés par leurs intérêts en une foule animée de passions, de haines et d’espérances identiques, prêt à tout risquer pour mettre fin à une situation soudainement jugée inacceptable ; de l’autre, la dissolution de l’autorité, en un instant privé de tout ressort, paralysée dans sa capacité de se faire obéir comme dans celle d’imposer des arbitrages. 1789, 1830, 1848, mais aussi bien 1917 en Russie offrent le même spectacle de dissolution d’un côté, de mobilisation de l’autre, comme si l’énergie et la substance abandonnaient l’État pour investir le mouvement révolutionnaire. Avec l’État se désagrègent surtout le consensus qui existait autour des normes relatives à la production du discours politique et l’acceptation des procédures d’arbitrage et de décision. La révolution est en effet ce moment où l’on croit que tout est possible, y compris ce qui la veille encore paraissait impossible ; elle est ce moment où tout ce que l’esprit peut concevoir rentre dans le champs du possible. La révolution ajoute l’effacement du principe de réalité à la désagrégation du principe d’autorité. »
Au début d’une Révolution les discours sont violents, voire pousse-au-crime… Ces discours galvanisent alors les foules jusqu’à les faire sombrer dans la violence criminelle la plus extrême et la plus barbare qui soit (pages 230 à 234) :
« Cette course à la radicalité a en effet pour enjeux la légitimité et le pouvoir, également attachés à la capacité de parler au nom de la Révolution en dégageant son sens ultime. Cette prolifération de discours rivalisant en violence vise à occuper la position la plus avancée, afin de conquérir la légitimité et, en dépassant les autres compétiteurs, de faire main basse sur un pouvoir en déshérence. L’ »exagération des idées publiques », la « divagation », et la « manie des principes simples » qui ruinent les tentatives pour arrêter le torrent révolutionnaire ne sont point, comme l’affirmera Duport en mai 1791, le fait d’une conjuration (note n°6 : Discours de Duport, le 17 mai 1791, sur la réélection des membres du corps législatif, in Fr. Furet et R. Halévi (éd.), Orateurs de la Révolution française, op. cit., p. 288-300), mais l’expression de la dynamique même de la révolution, de cette dynamique qui a déjà broyé les monarchiens par Duport et ses amis, qui broiera bientôt Duport et plus tard les vainqueurs de Duport, tant il est vrai que, en révolution, le radicalisme du jour est la modération du lendemain : on y est toujours le modéré de quelqu’un.
(…) La radicalisation continue de la Révolution française entre 1789 et 1794 résulte de la dynamique intrinsèque de la révolution considérée comme modalité du changement, indépendamment donc des principes proclamés par les révolutionnaires. C’est également cette dynamique qui produit souvent les « circonstances », celles-ci provoquant à leur tour une nouvelle radicalisation des discours et des enjeux. Si la culture politique de la Révolution française a fourni, par ses ambiguïtés, le combustible de la Terreur, la dynamique constitutive de toute révolution a été l’étincelle.
La Révolution française invente ainsi l’idée moderne de révolution : permanente ; indépendante des fins qu’elle poursuit successivement ou concurremment ; n’accordant, enfin, la légitimité qu’au plus radical de ses acteurs. La dynamique de la révolution moderne est analogue en cela, à la logique pure de la guerre décrite par Clausewitz ; comme cette dernière, elle doit inévitablement « aller aux extrêmes » (note n°8 : Carl von Clausewitz, De la guerre, [1832-1834], trad. D. Naville, PAris, Éd de Minuit, 1955, p. 53.) . On peut en effet appliquer mot pour mot à la révolution ce que Clausewitz écrit de la guerre :
« La guerre est un acte de violence et il n’y a pas de limite à la manifestation de cette violence. […] Dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, les erreurs dues à la bonté d’âme sont précisément la pire des choses. Comme l’usage de la force physique dans son intégralité n’exclut nullement la coopération de l’intelligence, celui qui use sans pitié de cette force et ne recule devant aucune effusion de sang prendra l’avantage sur son adversaire, si celui-ci n’agit pas de même. De ce fait, il dicte sa loi à l’adversaire, si bien que chacun pousse l’autre à des extrémités auxquelles seul le contrepoids qui réside du côté adverse trace des limites » (note n°9 : Ibid, p. 52-53).
Sans doute cette montée logique aux extrêmes peut-elle être freinée dans la réalité : c’est même presque toujours le cas dans la guerre, et parfois dans les révolutions. Mais dans celles-ci, il n’existe aucun frein au développement de cette logique lorsque plusieurs conditions se trouvent réunies : une incompatibilité si profonde entre les objectifs des partis ennemis qu’elle exclut tout compromis ; une rupture de contrat social qui place adversaires et concurrents dans une sorte d’état de nature réciproque où la force se substitue au droit ; une situation de vacance prolongée du pouvoir, enfin, qui ouvre une carrière inattendue aux courants politiques même les plus marginaux (note n°10 : Voir Jean Baechler, Les Phénomènes révolutionnaires, Paris, PUF, 1970, p. 40-44 et 125-129).
Sans mettre en cause l’identité de nature entre les révolutions qui ont éclaté depuis 1789, la réunion ou l’absence de ces diverses conditions rend compte du cours contrasté de ces mêmes révolutions. Celles de 1830 et de 1848, par exemple, n’ont pas abouti à la terreur. On y observe cependant, à une échelle moindre qu’en 1789, le même phénomène de « montée aux extrêmes ». Comme à la fin du XVIIIe siècle, cette dynamique se nourrit d’une prolifération de discours exploitant le thème de la révolution trahie ou confisquée. La fondation par les partisans de la République, le 30 juillet 1830, de la Société des amis du peuple pour s’opposer à l’appel lancé au duc d’Orléans par Thiers et par Laffitte, tout comme, en 1848, la course de vitesse engagée le 24 février entre les modérés du National et les radicaux de La Réforme pour s’emparer du pouvoir, illustrent également ce processus de débordement par la gauche fatal aux révolutions. Mais, dans les deux cas, la surenchère est bientôt enrayée : après les insurrections d’avril 1834 sous la monarchie de Juillet, après la guerre civile de juin 1848 sous la IIe République. On ne saurait sous-estimer le rôle des hommes. La monarchie de Juillet trouve en Casimir Perier le ministre à poigne que la monarchie constitutionnelle de 1789-1792 n’a su, ou pu, trouver, tandis que la IIe République ose en juin 1848 ce que l’Assemblée constituante n’avait pas osé, ou pu, faire, même au moment de la fusillade du Champ-de-Mars : écraser le mouvement révolutionnaire par la force. Mais en dépit du rôle joué par Perier en 1830 ou par Cavaignac en 1848, les événements auraient sans doute pris une tournure analogue à ceux de la Révolution française si le contexte n’avait été différent. En 1789, il s’agissait de renverser une légitimité ancienne, en 1830 et en 1848 des légitimités trop récemment établies pour ne pas être fragiles : une flambée de violence brève et localisée suffit pour détrôner Charles X, puis Louis-Philippe. En 1789, l’organisation sociale était contestée ; en 1830 comme en 1848, les institutions seules sont attaquées : la révolution est politique sans être sociale. En 1789, il se produisit pendant l’été un événement sans précédent connu, aujourd’hui encore très mystérieux : en quelques semaines, la société tout entière se disloqua. Tout fut emporté, des croyances et des habitudes ancestrales, des institutions vieilles de plusieurs siècles, le gouvernement, l’administration, les élites… En 1830 comme en 1848, on ne constate rien de tel. La société n’est presque pas ébranlée par la vague révolutionnaire, tandis que l’administration à peine épurée, assure au moindre coût possible la transition entre l’ancien et le nouveau gouvernement. Surtout, la vacance du pouvoir se compte en 1830 et en 1848, non en mois et en années, comme sous la Révolution française, mais en jours, voire en heures : des équipes de rechange, issues de l’ancienne élite, sont disponibles et prêtes à assumer le pouvoir, limitant ainsi les conséquences d’un vide trop prolongé au sommet de l’État. En 1830, la situation ne donne guère de motifs d’espoir à Blanqui, tandis qu’elle ouvre en 1789 à Robespierre ou Marat, comme à Lénine en 1917, une vaste carrière.
Seule une approche politique permet de rendre compte de l’identité profonde qui, par-delà la différence des situations, des principes, des objectifs et même du déroulement, unit les révolutions depuis 1789. Augustin Cochin a le premier senti que le secret de la Révolution française résidait dans sa dynamique interne. Disparu en 1916, il ne pouvait savoir qu’il avait ainsi percé à jour le secret de toutes les révolutions modernes. C’est en cela, mais en cela seulement, que son autopsie du jacobinisme est une contribution à l’autopsie du bolchevisme : non pas en raison d’une inexistante proximité des idéologies ou des régimes, mais en raison d’une commune logique de prolifération de discours concurrents sur la révolution, qui conduit inexorablement, par un développement en spirale, au massacre. »
Au total l’extermination Vendéenne a engendré la mort d’environ 170 000 citoyens : enfants, femmes, hommes. Et au total, le bilan criminel rarement évoqué de la Révolution Française (la face obscure) a provoqué le massacre de : 200 000 à 300 000 citoyens innocents pour une population, à l’époque, de 28 millions d’habitants : soit l’équivalent du massacre de 1 % de la population Française de 1790.
Une effroyable Terreur d’une ampleur considérable s’est abattue sur la Vendée, perpétrée pourtant avec les moyens rudimentaires d’extermination du 18ème siècle : baïonnettes, fusils, guillotines, noyades de masse…
Le principe même de la Terreur consiste donc à opprimer l’ensemble de la population, au quotidien, par des menaces, des dénonciations, des amendes, une Police répressive, un État Liberticide, une liberté d’expression limitée, voire interdite, des emprisonnements, des tortures et des condamnations à mort arbitraires, etc..
A présent faisons un point, en reprenant la chronologie des lois concernant la Terreur, dans le cadre de la Révolution Française (page 240) :
« L’histoire de la Terreur se divise en trois époques distinguées par les trois principales lois organisant la répression : la première commence avec la création du Tribunal révolutionnaire le 9 mars 1793 ; la loi des suspects du 17 septembre inaugure la deuxième époque, et la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) marque le début de la dernière, la plus brève, que clôt la chute de Robespierre le 27 juillet. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le Tribunal révolutionnaire juge, pendant les sept premiers mois de son existence, d’avril à octobre 1793, une moyenne mensuelle de 50 accusés, chiffre qui bondit à plus de 300 en novembre 1793 et début juin 1794, pour finalement s’élever au cours des sept semaines qui suivent à plus de 700. À l’inflation du nombre des jugements correspond celle des sentences capitales : 26 % pendant la première phase, 61 % pendant la deuxième, 80 % pendant la dernière (note n°32 : Gérard Walter, Actes du Tribunal révolutionnaire, Paris, Gallimard, 1968, p. XVIII-XXI). »
Pour Patrice Gueniffey, tout bascule et s’accélère, le 10 août 1792 (page 243, 244, 245, 247, 248 et 249) :
« Le 10 août 1792 est un événement capital. Il l’est à plusieurs titres, dont le plus important, pour la question qui nous occupe ici, n’est pas son résultat matériel : le passage de la monarchie à la république. Le changement de régime ne constitue pas à lui seul l’explication du déferlement de la violence en 1793. Il est vrai que, aux yeux des contemporains, le bouleversement fut considérable : jusqu’à Varennes au moins, aucun d’entre eux n’avait imaginé qu’un jour prochain la royauté serait abolie. Mais en réalité, l’avènement de la république ne date pas du 10 août. La Révolution française a été d’emblée républicaine : la proclamation de l’égalité des droits, l’appropriation collective de la souveraineté, l’institution d’un gouvernement représentatif et la circonscription de l’autorité royale dans des fonctions exécutives alors perçues comme subordonnées, ont marqué dès 1789 l’avènement d’un régime républicain, sans le nom. En 1792 se produit un changement dans la forme du pouvoir exécutif, une révolution dans la république.
Plus crucial par ses conséquences est le renversement, avec le trône, de la Constitution promulguée en septembre 1791, moins d’un an auparavant. C’est en effet la légalité péniblement instituée depuis 1789 que les insurgés du 10 août jettent bas avec la royauté. Plus grave encore, ils détruisent l’idée même de légalité. Ils ne renversent pas seulement une Constitution, mais le principe de toute Constitution présente et à venir, à savoir l’idée que la loi oblige et qu’il ne peut y avoir de modification de la loi que par la loi. L’insurrection du 10 août substitue le règne de la force à celui de la loi et la dictature des minorités au gouvernement par la majorité. Renverser la Constitution par la violence, c’est en effet dévaluer par avance toute future légalité, poser comme principe que la volonté du peuple, ou plutôt de ceux qui prétendent parler en son nom, est supérieure à tout contrat comme à tout engagement : ce qui a été renversé aujourd’hui le sera demain par le même motif, puisqu’il n’existe d’engagement que momentané, toujours soumis à révision, non par une procédure réglée, mais par la force appuyée sur la « volonté du peuple ». Après le 10 août, la Constitution et la loi ne sont plus que chiffons de papier. (Note n°38 : C’est le sens de l’avertissement lancé par Condorcet le 9 août au soir, alors que les insurgés commencent à se rassembler, dans son « Instruction sur l’exercice du droit de souveraineté », Archives parlementaires, t. XLVII, p. 615-616. La Constitution se trouve de facto abrogée par l’abolition de la royauté prononcée par la Convention le 21 septembre 1792).
(…) Tout bascule en août 1792. À dire vrai, le changement peut être repéré avant cette date, quand les premières défaites, à la fin d’avril 1792, déclenchent la crise constitutionnelle qui trouvera son épilogue le 10 août. Ainsi, les Girondins Brissot et Isnard s’engagent sur la voie de l’irréparable lorsque le 30 juillet 1792, au club de la Réunion, ils attaquent Robespierre et déclarent leur intention de le faire traduire devant la Haute Cour (note n°40 : Voir Robespierre, Œuvres, op. cit., t. VIII, p. 423-424). Sans doute s’agit-il d’éliminer judiciairement un adversaire politique, mais c’est déjà écorner la règle qui soumet l’issue des conflits à des arbitrages politiques. En renversant la légalité, le 10 août emporte les digues qui faisaient obstacle à l’assouvissement des vengeances personnelles et des haines partisanes. Le 15 août, après la découverte aux Tuileries d’un document prouvant les liens de Barnave et d’Alexandre de Lameth avec les ministres renversés par les Girondins en mars 1792, les deux anciens constituants, que Brissot poursuivait de sa vindicte depuis 1790, sont mis en accusation (note n°41 : Moniteur, t. XIII, p. 431). Le 2 septembre, alors que commencent les massacres des prisons, c’est au tour de Robespierre de dénoncer Brissot à la Commune, « acte de cruauté froide et préméditée » (note n°42 : Gérard Walter, Robespierre, Paris, Gallimard, 1961, 2 vol., t. I, p. 350-352) dont l’issue eût sans nul doute été, sans l’intervention discrète de Danton, la mort du leader Girondin.
L’irruption de la violence entre les révolutionnaires, la substitution de l’élimination physique de l’adversaire à sa dénonciation ou à sa marginalisation politique s’expliquent également par la situation nouvelle née de l’insurrection du 10 août.
(…) L’épuration de la Convention à l’issue du coup d’État antiparlementaire des 31 mai et 2 juin 1793 démultiplie les conséquences du 10 août en ajoutant à la destruction de la légalité la fin de la localisation de la légitimité dans l’assemblée représentative. Le 10 août avait tué la légalité, le 2 juin déplace la légitimité. Sans doute, depuis la formation de la Commune de 1792, le pouvoir parisien disputait la légitimité à la Convention. Mais au lendemain de l’insurrection du 2 juin 1793, après le vote de l’arrestation de trente-deux députés et de deux ministres, la Convention n’existait plus, si ce n’est comme l’otage de ceux de ses membres qui avaient fomenté le coup d’État, et des militants révolutionnaires de la capitale, bien décidés à obtenir le salaire de leur concours matériel à l’opération. La Convention, menacée en permanence de nouvelles amputations, n’était plus qu’un pouvoir parmi d’autres. Elle survivait d’ailleurs grâce à Robespierre qui, tout en consentant à ce que le nombre des députés proscrits fût doublé entre juin et octobre, sauva simultanément la vie de soixante-treize autres députés qui avaient publiquement protesté contre le 2 juin. En faisant convertir le décret d’accusation dont ils étaient menacés en simple décret d’arrestation, il sauva la Convention et, ce faisant, l’enchaîna.
Lorsque s’ouvre, après le 2 juin 1793, la seconde phase de l’histoire de la Terreur, la plus meurtrière, la Révolution n’est plus encadrée par aucune légalité.
(…) Le gouvernement centralisé auquel la Terreur a abouti au début de 1794 n’a pas été le résultat d’un projet préconçu. Les futurs instruments du gouvernement révolutionnaire de l’an II avaient été mis en place dès le printemps de 1793, mais comme autant de créations de circonstance que leurs concepteurs n’inscrivaient nullement dans un projet à long terme. Cependant, la création du Tribunal révolutionnaire (9 mars), du Comité de salut public (6 avril), des comités de surveillance chargés de surveiller étrangers et suspects (21 avril), et l’envoi dans les départements de représentants en mission (9 mars) ont produit des effets imprévus et durables. »
Patrice Gueniffey résume alors les raisons conduisant à la Terreur extrême de 1793-1794 (page 252) :
« Ni les circonstances ni l’idéologie révolutionnaire n’expliquent à elles seules la violence extrême de l’automne et de l’hiver 1793, qu’il faut imputer d’abord aux luttes pour le pouvoir. Ces conflits portent sur des enjeux discursifs (la justice, l’humanité, la clémence), symboliques (la déchristianisation, la démocratie directe) et matériels (le contrôle de l’économie, la guerre, la chasse aux suspects). »
L’extermination de masse de la Vendée représente donc l’acmé de la Terreur durant la Révolution Française (pages 255 à 270, puis 275 et 293) :
« Jusqu’aux défaites décisives essuyées devant Luçon le 14 août 1793 et surtout devant Cholet le 17 octobre, la Vendée semblait inexpugnable. La Convention résolut d’employer de grands moyens et adopta le 1er août, sur la proposition de Barère, un décret qui ordonnait de détruire la Vendée, ordre qu’elle réitéra le 1er octobre suivant (note n°61 : Moniteur, t. XVII, p. 287-288 ; t. XVIII, p. 16).
Le décret du 1er août 1793 s’inscrit dans une logique militaire. Il s’agit de procéder à l’évacuation forcée de la population (art. 8) et de détruire le pays rebelle (art. 6-7), afin d’isoler les insurgés que l’on entend exterminer et priver de toute possibilité de ravitaillement comme de toute protection. En proposant ces « mesures de rigueur », Barère n’avait pas craint d’invoquer un précédent, la dévastation du Palatinat par les armées de Louis XIV en 1689.
(…) Il existe cependant une différence importante entre les deux épisodes : la dévastation est appliquée en 1793 dans le cadre d’une guerre civile et non d’une guerre entre États. À cet égard, d’ailleurs, la Vendée n’est peut-être pas un cas unique. On peut en effet mettre en parallèle cette décision de la Convention avec un autre événement : la guerre de Sécession (1861-1865), qui fut un affrontement inexpiable entre deux sociétés, entre deux mondes, et qui fit plus de victimes (environ 650 000) qu’aucun des autres conflits où s’engagèrent ensuite les États-Unis. On ne saurait cependant supposer que ces deux conflits civils furent identiques. Fédérés et confédérés s’accordèrent mutuellement le statut de belligérants, qui plaçait les combattants sous la protection des « lois de la guerre ».
(…) La particularité de la Vendée réside cependant dans le caractère systématique du massacre perpétré par les colonnes infernales du général Turreau à partir de janvier 1794, et dans le fait que la destruction du pays et de ses habitants est intervenue après la fin des combats (note n°64 : L’armée vendéenne, qui avait franchi la Loire après la défaite de Cholet le 17 octobre 1793, fut écrasée au Mans le 14 décembre, et ses débris furent décimés à Savenay le 23 décembre par Westermann. Seules subsistèrent, au sud de la Loire, les bandes de Charette). Même si Barère avait parlé au mois d’août 1793 d’ »exterminer cette race rebelle », le décret excluait a priori la mise à mort de la population et stipulait même que les Bleus dont les propriétés souffriraient de la dévastation seraient indemnisés (note n°65 : L’article 8 précisait que : « les femmes, les enfants et les vieillards » seraient « conduits dans l’intérieur », autrement dit déportés hors du territoire à détruire. L’article sur l’indemnisation des Bleus fut ajouté à la demande du dantoniste Thuriot (Moniteur, t. XVII, p. 294)). L’initiative d’un massacre général et systématique n’est donc pas le fait des résolutions prises par la Convention au mois d’août. C’est sur le terrain qu’est prise la décision d’en finir une fois pour toutes avec l’insurrection en exterminant non seulement ceux qui ont pris les armes, mais l’ensemble d’une population jugée complice, impossible à soumettre et pour tout dire irrécupérable. Mais la Convention ne doit pas être absoute pour autant : le Comité de salut public semble avoir donné en octobre une plus grande extension du décret du 1er août, et au début de février 1794 il approuvera l’extermination.
Les souffrances infligées à la population vendéenne après la fin des combats et sans aucune relation avec les nécessités militaires constituent un crime sans équivalent dans l’histoire de la Révolution française, crime que l’on peut à bon droit qualifier, aujourd’hui, de crime contre l’humanité (note n°67 : le droit pénal définit le crime contre l’humanité comme « la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d’actes inhumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, et organisées en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile ») et que la tradition républicaine, peu soucieuse de revendiquer cet épisode sans gloire de son moment inaugural, a longtemps occulté ou nié.
Comme la portée de ces événements fait encore l’objet de controverses, la précision n’est pas inutile. Je ne parle pas ici de la guerre civile de mars à décembre 1793, marquée de part et d’autre par des atrocités inséparables de ce type de conflit, mais de la seule expédition des colonnes infernales en 1794, après la fin des combats. On peut, afin de mesurer la spécificité des événements du début de 1794 en Vendée, les comparer avec la répression qui s’est abattue en 1871 sur les insurgés de la Commune de Paris. L’armée versaillaise avait reconquis la capitale le 28 mai 1871. Jusqu’au 7 juin, plusieurs milliers d’insurgés furent passés par les armes, soit sans jugement, soit après avoir comparu devant l’une des cours prévôtales instituées le 23 mai. Cette première phase peut être comparée aux violences qui suivirent la déroute de l’armée vendéenne au Mans le 14 décembre 1793 et aux milliers de condamnations à mort prononcées par la commission militaire du Mans. On relèvera toutefois que les révolutionnaires eurent recours, jusque bien après la destruction finale de l’armée vendéenne à Savenay, le 23 décembre, non seulement à des commissions militaires que l’on peut comparer aux cours prévôtales de 1871, mais à des moyens autrement atroces comme la noyade, ce qui pose évidemment problème. En 1871, 40 000 insurgés faits prisonniers furent par la suite déférés devant des conseils de guerre. Un tiers environ des accusés furent condamnés, mais seulement 270, pour la plupart contumaces, le furent à la peine capitale. Outre le fait que, après une période brève (28 mai-7 juin) où la vengeance se donna libre cours, la répression fut plutôt modérée, tous les condamnés le furent en raison de leur participation active à l’insurrection : exercice de responsabilités politiques ou militaires, assassinats, incendies volontaires (note n°68 : Voir William Serman, La Commune de Paris, Paris, Fayard, 1986). Dans le cas de la Vendée, non seulement la répression est absolue, mais elle s’abat aussi bien sur les non-combattants. C’est en cela qu’il y a crime : la répression de la Commune a été sans faiblesse mais, passé le temps des combats, elles s’est exercée par voie judiciaire et à l’encontre de crimes constatés. À la différence de Carrier et de Turreau, Thiers n’a pas ordonné que, Paris s’étant révolté, l’ensemble de la population parisienne, insurgée ou non, femmes et enfants compris, fût passée par les armes.
On débat encore pour déterminer si les Vendéens massacrés en 1794 l’ont été comme rebelles ou comme peuple. Le territoire de la « Vendée militaire » ne constitue assurément pas un « pays » unique et homogène, ni géographiquement, ni culturellement (note n°69 : Voir Alain Gérard, Pourquoi la Vendée ?, Paris, Armand Colin, 1990).
(…) Cependant, l’hypothèse de la destruction des Vendéens en tant que « peuple » ne s’appuie pas seulement sur le caractère prémédité du crime, mais également sur la rhétorique meurtrière qui le rend possible et le justifie par avance. Comme l’a montré Xavier Martin, les révolutionnaires, après le début de l’insurrection en mars 1793, ont très tôt dépeint la Vendée comme une terre maudite et ses habitants comme un peuple à part, ne voyant en face d’eux qu’un « ramas de cochons », et une « race infâme » ne pouvant se prévaloir ni de la qualité de citoyens ni même de celle d’êtres humains (note n°72 : Xavier Martin, « La Déclaration des droits de l’homme et la Vendée », in A. Gérard et Th. Heckmann (éd.), La Vendée dans l’histoire, op. cit., p. 253-273). Si les Vendéens ne forment pas un peuple, les révolutionnaires les ont perçus comme tel, apportant ainsi leur pierre à la construction d’une identité vendéenne.
(…) Le 15 janvier 1794, Turreau demande au ministre de la Guerre de se prononcer sur « le sort des femmes et des enfants » : « S’il faut les passer tous au fil de l’épée, je ne puis exécuter une pareille mesure sans un arrêté qui mette à couvert ma responsabilité » ; le 24, il soulève l’épineux problème posé par les Vendéens restés fidèles à la Révolution : si l’objectif, écrit-il, est de « vider le pays dans un temps déterminé », ne faut-il pas alors envelopper dans l’exécution de ces mesures « les hommes mêmes qu’on croit révolutionnaires et qui peut-être n’ont que le masque du patriotisme » (note n°77 : Cité par É. Fournier, Turreau et les colonnes infernales, op. cit., p. 43, 115.) ? Les colonnes mobiles qui se mettent en marche le 21 janvier 1794 déciment une population coupable en raison de son existence même. La mise à mort des femmes et peut-être plus encore celle des républicains constitue l’élément crucial par lequel l’action des colonnes infernales sort du domaine ordinaire de la répression. Sans doute l’exécution n’est-elle pas toujours conforme aux dispositions du plan arrêté par Turreau le 17 janvier. Elle dépend des circonstances, du tempérament des officiers, de l’ardeur variable de la troupe. Ici on tue les femmes, là on les viole ; ici on massacre tous les habitants, officiers municipaux et gardes nationaux compris, là on se contente d’exécuter ceux qui ont été dénoncés ou, comme le dit le général Grignon, « tous ceux que nous croyons nos ennemis » (note n°78 : Ibid., p. 51). Néanmoins, malgré ces défauts dans l’exécution, le projet consiste à agir si vite et si bien qu’il n’existe plus « ni maisons, ni subsistances, ni armes, ni habitants que ceux qui, cachés dans le fond des forêts, auront échappé aux plus scrupuleuses perquisitions » (note n°79 : Turreau, lettre du 24 janvier (ibid., p. 59). Tuer les femmes, c’est aussi bien punir les générations à venir que la génération présente ; tuer les Bleus, c’est substituer l’appartenance à l’opinion ou aux actes comme preuve de culpabilité. Le décret du 1er août n’allait pas jusque-là : il promettait la mort aux rebelles, non à la population ; le plan de Turreau constitue en revanche la foule des rebelles proscrits en un « peuple » promis à la destruction parce qu’il existe. Mais on peut dire que, ce faisant, Turreau dévoile les conséquences ultimes de la rhétorique barbare de Barère : l’extermination d’une « race rebelle », c’est-à-dire d’un peuple naturellement rebelle, que la République ne pouvait assimiler.
En vérité, Turreau n’invente rien. Il adapte au cas particulier de la mission qui lui est confiée la politique déjà appliquée dans l’Ouest. Le 1er octobre 1793, Barère avait lui-même donné une nouvelle extension au décret du 1er août en identifiant les rebelles à toute la population : « Les brigands, depuis dix ans jusqu’à soixante-six ans, sont mis en réquisition par la proclamation des chefs ; les femmes sont en vedette. La population entière du pays révolté est en rébellion et en armée » (note n°80 : Moniteur, t. XVIII, p. 51.). Sans doute, il existe encore un abîme entre les propos de Barère et les massacres systématiques perpétrés quelques mois plus tard par les soldats de Turreau, mais déjà la Convention franchit un pas supplémentaire vers l’extermination en déclarant que tous les Vendéens, sans aucune exception, sont « coupables ».
(…) Quelques jours plus tard, l’armée vendéenne est anéantie au Mans et à Savenay (note n°83 : 60 000 des 80 000 Vendéens qui avaient franchi la Loire en octobre 1793 auraient péri (G. Lefebvre, Le Gouvernement révolutionnaire, op. cit,. p. 210)). Une commission militaire, créée au soir même de la bataille du Mans, « expédie » rondement les prisonniers (note n°84 : En une quinzaine de jours, elle fait exécuter près de 1 600 hommes et 600 femmes. Voir Alfred Lallié, Les Fusillades de Nantes, 1793-1794, Nantes, Forrest et Grimaud, 1882)). Carrier, arrivé à Nantes au mois d’octobre, se charge des rescapés qui refluent en désordre vers la Loire et qui emplissent les prisons nantaises. Une première noyade est organisée le 17 décembre, suivie par au moins sept autres qui, en décembre 1793 et janvier 1794, feront au moins 3 000 victimes (note n°85 : Quatre autres noyades avaient déjà été organisées, la première le 17 novembre, où quatre-vingt-dix prêtres avaient péri dans la Loire. Voir A. Lallié, Les Noyades de Nantes, op. cit.). Dans l’île de Noirmoutier, reconquise par Haxo le 4 janvier 1794, l’armée massacre indistinctement civils et combattants.
(…) Le fanatisme idéologique n’explique presque jamais les atrocités commises en 1793 ou 1794. Ce sont la médiocrité, la veulerie, l’ambition du pouvoir et l’instinct de la survie qui les expliquent. Au demeurant, on observera que tuer au nom d’une foi suppose non seulement une foi – ce dont la plupart étaient dépourvus -, mais une foi qui encourage à aller à de telles extrémités. Or, la Révolution ne leur a donné pour mobiles que les droits de l’homme, l’égalité civile, la propriété, bref, les principes de cette société bourgeoise dont la plupart d’entre eux étaient issus. 1793 ajoute bien à ce viatique l’héroïque vertu des Anciens, toute une rhétorique de collège qui se prête assurément aux mouvements d’éloquence des politiques appelés à justifier les crimes, mais trop creuse pour nourrir le moindre fanatisme exterminateur. Ce sont de pauvres principes, si du moins il s’agit de commettre en leur nom de grands crimes. En même temps, cette situation n’est pas sans avantage : elle interdit aux terroristes de tuer longtemps. À peine un an encore, et la cognée leur tombera des mains.
Turreau est si prudent, si désireux de mettre sa responsabilité à couvert que, craignant l’imprévisibilité de l’avenir, il demande à plusieurs reprises au Comité de salut public d’approuver son plan. Fort logiquement, le Comité se garde bien de répondre, puisqu’il ne peut approuver Turreau sans concéder un point important aux hébertistes, ni lui refuser son approbation sans s’exposer à l’accusation de manquer aux exigences du salut public (note n°91 : Voir Alain Gérard, « Turreau, ou l’impossible procès de la Terreur », in A. Gérard (éd.), La Vendée. Après la Terreur, la reconstruction, op. cit., p. 111-143). Cela ne signifie pas qu’il approuve l’extermination, ni qu’il la désapprouve. Le Comité ne se détermine pas en fonction de ce qui se passe dans le Bocage, mais selon les répercussions que l’événement peut avoir sur sa propre existence. L’approbation du plan de Turreau finit sans doute par être donnée, le 6 février (note n°92 : « Tu te plains de n’avoir pas reçu du Comité l’approbation formelle de tes mesures. Elles lui paraissent bonnes et tes intentions pures ; mais éloigné du théâtre de tes opérations, il attend les grands résultats pour se prononcer » (cité par É. Fournier, Turreau et les colonnes infernales, op. cit., p. 69), alors que les colonnes sont entrées en action depuis près de trois semaines, mais elle n’acquiert toute sa signification qu’à la lumière de la décision prise le surlendemain, 8 février 1794, de mettre fin à la mission de Carrier. Le Comité lâche la bride aux colonnes infernales, mais frappe au cœur la politique dont elles sont l’instrument (note n°93 : Quatre jours après le rappel de Carrier, le Comité de salut public désavouera « la barbare et exagérée exécution des décrets » en Vendée (Moniteur, t. XIX, p. 455-456)). Le rappel de Carrier déclenche le processus qui, en moins de deux mois, va conduire à la destruction – partielle – des concurrents du Comité de salut public et à la restauration de l’autorité de l’État.
(…) La loi votée le 4 décembre 1793 marque surtout une rupture à peu près complète avec toutes les idées accréditées depuis 1789 sur les rapports entre législatif et exécutif, à savoir la nécessaire subordination au premier d’un pouvoir exécutif aux compétences strictement délimitées. L’établissement du gouvernement révolutionnaire renverse, au bénéfice de l’exécutif, la primauté jusqu’alors possédée par le législatif.
L’organisation du gouvernement révolutionnaire est connue. En théorie, la Convention garde la haute main sur l’ensemble des institutions, puisque les deux comités chargés de diriger l’action gouvernementale dans tous les domaines, le Comité de salut public et celui de sûreté générale, sont choisis parmi les députés et renouvelés chaque mois par l’Assemblée. En réalité, la loi transfère le « centre unique de l’impulsion gouvernementale » de la Convention au Comité de salut public, qui coiffe désormais l’ensemble des organes chargés de l’exécution des lois et de l’administration intérieure, en même temps qu’il supervise la conduite des opérations militaires, la diplomatie et la direction des affaires économiques (la mise en œuvre des directives du Comité étant assurée dans ce dernier domaine par une Commission des subsistances créée par lui). Il exerce sa juridiction dans tous les domaines, ou presque. Ainsi la répression politique lui échappe-t-elle, puisqu’elle reste du ressort du Comité de sûreté générale, mais la loi du 4 décembre a accordé au Comité de salut public le pouvoir de surveiller et, si nécessaire, de punir l’ensemble des agents publics. C’est afin d’exercer cette nouvelle attribution que le Comité de salut public créera un Bureau de police générale, d’abord dirigé par Saint-Just, puis par Robespierre, grâce auquel il élargira bientôt la sphère de ses compétences à la police des simples particuliers, envahissant ainsi ce qui jusqu’alors était la chasse gardée de la Sûreté générale. Ces attributions donnent la mesure de l’étendue sans précédent des pouvoirs exercés par le Comité. La loi du 4 décembre, en ajournant sine die les élections, entraîna de fait la « fonctionnarisation » de l’ensemble des titulaires des fonctions publiques ; de même, en créant auprès de chaque administration de district des « agents nationaux » nommés et révocables par le Comité, la loi donna au Comité le moyen matériel lui permettant de surveiller l’exécution de ses décisions.
La centralisation opérée par l’établissement du gouvernement révolutionnaire, en rupture évidente avec l’esprit de 1789, incline souvent les historiens à endosser la thèse d’Edgar Quinet selon laquelle l’esprit et les moyens de l’absolutisme monarchique auraient reparu à travers le gouvernement de l’an II. Il est vrai que le Comité de salut public possédait à cette époque un pouvoir au moins égal à celui du monarque sous l’Ancien Régime ; il en avait même plus. Il exerçait une autorité que rien ne limitait : ni la loi divine, ni les lois fondamentales, ni la Constitution, ni, encore, les corps intermédiaires, les privilèges ou le suffrage populaire. Le Comité n’était même soumis à aucune sorte de règles encadrant son action. Les seules règles qu’il observa furent celles qu’il se donna et modifia au gré des besoins. Il réunit enfin tous les pouvoirs entre ses mains : il légiférait en faisant voter par la Convention les projets de loi qu’il avait préparés, il avait le pouvoir d’interpréter les lois en vue de leur exécution, il les faisait exécuter au moyen d’une bureaucratie révocable, enfin il jugeait les infractions par l’intermédiaire des tribunaux révolutionnaires.
Le Comité, en d’autres termes, était investi d’un pouvoir littéralement absolu, c’est-à-dire illimité et délié de toute norme contraignante comme de toute autorité supérieure. Dans cette mesure, le Comité de salut public fut en effet, non pas un monarque collectif, mais un tyran à douze têtes, et la Convention, moins qu’un parlement d’Ancien Régime : elle « enregistrait » les lois faites par le Comité, sans même disposer dans la pratique du moindre droit de présenter des « remontrances ». Le caractère exceptionnel des circonstances, invoqué pour justifier la création du gouvernement révolutionnaire, aura ainsi permis – mais à un coût exorbitant – à l’idée d’un exécutif fort d’émerger et de s’affirmer contre les principes, et bien souvent les illusions, de 1789.
(…) En somme, ce n’est pas l’idéologie qui, dans la Révolution française, a conduit à la Terreur, mais l’exercice de la Terreur qui a conduit pour finir au règne de l’idéologie, au moment où la Terreur devenait le moyen du rétablissement de l’autorité de l’État.
(…) La « Grande Terreur » n’est pas imputable à une dérive bureaucratique ; elle est la suite voulue de la loi du 10 juin, intentionnellement conçue comme un instrument pour l’élimination systématique des « ennemis du peuple ». Couthon ne l’avait d’ailleurs pas dissimulé : « Il n’est pas question de donner quelques exemples, avait-il prévenu, mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie, ou de périr avec la République ». (Note n°53 : Moniteur, t. XX, p. 695.) ».
La prudence de Patrice Gueniffey quant à la responsabilité de la Convention dans ce que certains historiens nomment : le Génocide, l’Extermination de masse, ou le Crime contre l’Humanité de la Vendée, est tout à son honneur dans un souci d’objectivité. Mais depuis 1985, l’historien spécialiste de la Vendée, Reynald Secher, a largement démontré à travers ses différents et récents ouvrages, les responsabilités de : la Convention, du Comité de Salut Public, des Jacobins et bien évidemment de…, Robespierre. Reynald Secher nomme l’Extermination de la Vendée : le « Génocide Vendéen Franco-Français » et même développe la thèse du « Mémoricide ». Ces études sont complétées, entre autres, par les travaux sur la Vendée de l’historien Alain Gérard qui vient de faire paraître, en 2013, une colossale étude dans son ouvrage intitulé « Vendée les Archives de l’Extermination ».
Ensuite Patrice Gueniffey décortique pour nous, la loi du 22 prairial concernant la loi des suspects : les « ennemis du peuple » (page 294) :
« Pour comprendre cet épisode encore si mystérieux, et si controversé, on peut partir de l’article 4 définissant l’objet de la loi : « Le Tribunal révolutionnaire est institué pour punir les ennemis du peuple ». L’ »ennemi du peuple » n’est pas une invention de l’an II. Avec l’ »aristocrate », le « contre-révolutionnaire » et le « suspect », il appartient dès 1789 au registre des passions politiques de la Révolution. L’ »ennemi du peuple » apparaît en même temps que le peuple souverain, comme le négatif par lequel le peuple se constitue en nation. Aussi, l’ennemi du peuple n’entre pas sur la scène révolutionnaire en 1792 ou 1793. La montée des oppositions en élargit le cercle, mais il est d’emblée, dès 1789, une figure centrale de l’imaginaire politique de l’époque, liée d’un côté à la passion égalitaire, de l’autre à la mentalité révolutionnaire : affirmation du pouvoir indéfini de la volonté sur les choses, la révolution engendre dans l’univers de ses représentations une volonté négative qui constitue l’envers symétrique de la volonté positive du peuple, et qui est censée expliquer les difficultés, les obstacles, tout ce qui retarde l’accomplissement de la promesse (note n°54 : Fr. Furet, « Terreur », art. cité, p. 157).
La loi des suspects du 17 septembre 1793, tout comme la loi du 10 juin 1794, plonge ainsi des racines profondes dans la mentalité révolutionnaire. La seconde ne diffère guère de la première pour ce qui est de la définition des individus visés. La loi du 17 septembre définit comme suspects ceux qui se montrent « ennemis de la liberté […] par leur conduite, leurs relations, leurs propos ou leurs écrits » (art. 2) ; la loi du 10 juin considère comme ennemis du peuple « ceux qui cherchent à anéantir la liberté publique, soit par la force, soit par la ruse, […] par quelque moyen que ce soit et de quelque dehors qu’ils se couvrent » (art. 5 et 6). définition vague et extensible à l’infini dans l’un et l’autre cas. Mais par-delà la similitude des définitions, il existe entre les deux textes d’importantes différences. La loi de 1793 identifie des suspects dont elle autorise l’emprisonnement « jusqu’à la paix » en vertu d’une décision administrative et non judiciaire. Autrement dit, la qualité de suspect diffère de celle de prévenu et a fortiori de celle de coupable. Le suspect n’est pas automatiquement appelé à comparaître devant la justice révolutionnaire. Sans doute peut-il se transformer en prévenu si le gouvernement, habilité à examiner les dossiers, le décide ; mais il peut tout aussi bien croupir en prison ou rester en résidence surveillée jusqu’au jour hypothétique où la loi sera abrogée. Le texte du 10 juin 1794 efface cette distinction. Il reprend la définition qui servait en 1793 à identifier des suspects, mais pour l’appliquer à des coupables qu’il convient non plus d’emprisonner mais d’éliminer au terme d’une procédure simplifiée : « Le délai pour punir les ennemis de la patrie, déclare Couthon, ne doit être que le temps de les reconnaître ; il s’agit moins de les punir que de les anéantir ». (Note n°56 : Moniteur, t. XX, p. 695). »
Puis, Patrice Gueniffey fait, à nouveau, le rapprochement entre Idéologie et Terreur (page 334) :
« Une autre explication partielle concerne les rapports entre violence et idéologie : s’il est impossible de déduire la Terreur de l’idéologie, il est en revanche possible de déduire l’idéologie de la Terreur et de la violence. En effet, l’intensification constante de la violence en 1793 et 1794 augmente le besoin de croyance et d’idéal. L’idéologie de la cité vertueuse remplirait ainsi une fonction compensatrice. »
Finalement, l’auto-endoctrinement Idéologique de Robespierre conduisit au 9 Thermidor et à sa propre déchéance (pages 342 et 343) :
« Le culte de l’Être suprême visait à donner une idéologie à la Terreur, en répondant à ses principaux besoins : on l’a vu, il justifiait au nom de la morale les actes contraires à toute morale commis par les terroristes ; il conférait au gouvernement révolutionnaire une légitimité affranchie de toute référence à des circonstances réelles ou fictives ; il autorisait enfin sa prolongation indéfinie, son renforcement et surtout sa concentration au profit de Robespierre en investissant celui-ci de la mission d’interpréter les décrets de la Providence. L’échec fut pourtant complet. Une idéologie doit être simple pour faire des adeptes en grand nombre. Plus son message est simple, plus il a de chances d’être cru, et d’être cru par tous ; résultat à son tour nécessaire pour donner à l’ensemble de l’appareil la cohésion et la discipline dont il a besoin pour conduire son action.
(…) Il s’effondra d’abord à la base : le sommet ne devait être détruit qu’après le 9 thermidor, sous la pression de l’opinion. On le sait, Robespierre ne fut pas renversé par le mouvement hostile à la Terreur qui s’était levé à la fin du mois de juin, mais par ses rivaux pour le monopole de la Terreur qu’il menaçait en préparant l’épuration et la réorganisation du gouvernement révolutionnaire. Mais, lui vaincu, la Terreur était condamnée. Il l’avait faite vertu. Il avait en cela incarné ce que les révolutions comportent de plus absolu : la quête d’un monde pur et innocent, délivré du mal et de l’histoire.
(…) Il est vrai que le 9 thermidor ne met pas un terme brutal à la Terreur, que la « sortie de la Terreur » est un processus qui s’étire sur plusieurs mois (note n°36 : Sur le démantèlement progressif de la Terreur après le 9 thermidor, voir B. Baczko, Comment sortir de la Terreur, op. cit.) : dans ce sens, l’événement commencé en 1789 continue. Mais en même temps, la mort de Robespierre marque la fin de la Révolution dans sa période d’incandescence. Elle clôt sa phase la plus utopique et la plus violente, elle met fin au grand rêve de 1789 d’une refondation totale, d’une régénération absolue, d’un nouvel âge d’or.
Si le 9 thermidor ne donne pas à la Révolution une nouvelle jeunesse – c’est le moins que l’on puisse dire -, il constitue à la fois un aboutissement et un commencement : il referme le règne de l’utopie et de la quête de l’absolu commencé en 1789 (de ce point de vue, il n’existe qu’une seule révolution en 1789-1794), et il inaugure le temps de la politique. Thermidor est en cela une crise salutaire, qui laisse les révolutionnaires cyniques et fatigués ; l’épreuve de thermidor les dégrise après cinq années d’ivresse révolutionnaire et les conduit à se déprendre de bon nombre de croyances ou d’illusions de 1789. »
Les lecteurs qui s’intéressent également au Bolchevisme (Communisme) auront noté les impressionnantes et innombrables similitudes entre les deux Terreurs. Normal ! Les Bolcheviques (Communistes) Russes : Lénine, Trotski et Staline en 1917, se sont revendiqués du Jacobinisme de Robespierre et de sa Terreur de masse, avec les mêmes concepts fanatiques et tyranniques, tels que :
– Les lois et décrets sur : la Terreur, les suspects, etc.. ;
– L’implacable concept stipulant que la fin justifie les moyens ;
– Le dogme intransigeant de l’Homme nouveau ;
– La création d’un Tribunal Révolutionnaire ;
– Les « ennemis du peuple » adaptés pour l’idéologie Marxiste-Léniniste en « ennemis de classes » à exterminer par la « dictature du prolétariat » et la « lutte des classes » ;
– Etc..
Sous Lénine puis sous Staline, en Russie, cette monstrueuse Idéologie Communiste donna lieu à l’infâme politique du « Communisme de Guerre » et donc à son corollaire : la Guerre Civile.
Puis, au 20ème siècle, à travers tous les pays Totalitaires Communistes de la planète, cette effroyable Idéologie engendra une foultitude de gigantesques : Crimes contre l’Humanité et Génocides, à l’encontre : des « otages », des « suspects », des « contre-révolutionnaires », des « ennemis du peuple », des « ennemis de classe », des « bourgeois », des intellectuels, des ouvriers grévistes, des prêtres, des médecins, etc..
Tragiquement et contrairement au 9 Thermidor de la Révolution Française, personne n’a pu, ni su, et surtout, ni voulu, arrêter la prolifération de l’ignoble régime Totalitaire Communiste à travers le monde.
En conclusion :
Alors, peut-il exister réellement UN « modèle Universel » de : Révolution « à la Française », pourtant si dispendieuse en vies humaines ?
Je laisse la réponse et la phrase de fin à Patrice Gueniffey, citant Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne, page 19 :
« Les révolutions humaines, remarquait Rabaut Saint-Etienne dans le « Précis de l’histoire de la Révolution française » qu’il publia en 1792, arrivent pour des hommes, pour des choses, ou pour des opinions : toutes sont cimentées par du sang. »
Détails sur La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794
Auteur : Patrice Gueniffey
Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 378
Isbn : 978-2070767274