L’écrivain, ex-ambassadeur et membre de l’Académie Française, Jean-Claude Rufin décide un jour de partir pour une randonnée au long cours. Il hésite entre la haute route qui longe les sommets des Pyrénées entre Biarritz et Collioure et le Camino del Norte qui relie Biarritz à Saint Jacques de Compostelle en passant par le Pays basque espagnol, la Cantabrie, les Asturies et la Galicie. Sans aucune motivation religieuse ni aucune idée préconçue, il s’engage sur le second chemin ne sachant absolument pas ce qui l’attend sur cet itinéraire aussi mythique que millénaire. Il emporte une tente et du matériel de camping car il craint la promiscuité dans des dortoirs remplis de ronfleurs qui pourraient l’empêcher de dormir. De temps à autre, il va dans un petit hôtel, histoire de se décrasser et de profiter d’un peu de confort. Il lui arrive même de prendre le bus et même le métro. Autant dire que ce randonneur est un pèlerin des plus atypiques.
Tout est dit dans le sous-titre « Compostelle malgré moi ». Rufin part au hasard, ne sait pas dans quoi il s’est embarqué ni ce qu’il cherche, passe du rêve, aux réflexions puis aux envolées mystico-religieuses avant d’en arriver, vers la fin de son périple, à une sorte de béatitude proche de l’hébétude du ravi de la crèche ou du fumeur de joint. Il réalise que ce n’est pas l’homme qui prend le chemin mais plutôt le chemin qui prend l’homme. Devant ce nième livre sur la question, le lecteur hésitait à se joindre à l’intérêt collectif. Le bilan de sa lecture reste assez mitigé. En ce qui concerne le témoignage ou le récit de voyage proprement dit, il est plutôt resté sur sa faim. Les anecdotes sont peu nombreuses, les rencontres rares, éphémères et peu enrichissantes. Ruffin a refusé de prendre des notes. Au fur et à mesure de sa progression, il arrachait une à une les pages de son guide. De plus, il reconnaît avoir écrit son livre à la demande d’une éditrice. On pourrait avoir l’impression qu’en choisissant le chemin du nord, nettement moins fréquenté que le Camino Frances surpeuplé et en optant pour une immersion assez relative, il est passé à côté de pas mal de choses. En fait, il n’en est rien. Rufin livre avec honnêteté et précision toutes ses impressions. Agaçantes au début par l’ironie et la distanciation qu’il met entre lui, le marcheur néophyte qui se plaint de ses pieds souffrants et tous les autres, obscurs crétins marchant pour des raisons qui lui semblent étrangères. Puis au fil de la marche, sa vision s’élargit jusqu’à devenir enfin humaine, empathique et bienveillante. Comme la mer le fait en roulant les galets de la plage, les centaines de kilomètres, les conditions climatiques, la beauté ou la laideur des paysages (la description de certaines portions ne donne pas trop envie de s’y lancer) tout cela façonne tout doucement et presque à son insu son esprit cartésien et son âme gnostique. L’homme qui arrive au but ultime si décevant n’est plus le même que celui qui était parti de Biarritz tout guilleret. Et c’est là, dans cette analyse psychologique et dans cette réflexion philosophique, que se situe l’intérêt majeur de cet ouvrage. Avec énormément de finesse et d’intelligence, Rufin nous fait partager joies et souffrances du marcheur qui progresse pas à pas, humblement sur un chemin qui, en apparence chrétien, est surtout d’esprit bouddhique. Rien que pour cet aspect, il mérite d’être lu.
4/5
Immortelle randonnée (Jean-Christophe Rufin)