Le concept d’identité à été dévoyé et le vent de la panique identitaire souffle sur le monde. Cette tyrannie de l’authenticité, « cette religion politique totalitaire qui revêt un caractère exclusif » débouche sur une assignation sociale intransigeante qui ordonne à chacun de se ranger derrière l’étiquette « majoritaire » faisant fi des subtilités de la réalité des identités humaines. Le délire identitaire nie cette richesse.
L’identité fut pourtant une idée émancipatrice au cours de l’histoire humaine.
Ceux qui manipulent et profitent de ce glissement dans l’histoire des idées politiques sont nombreux. Au delà des scores électoraux dangereusement prometteurs de notre FN national, ce nouveau fléau traverse l’ensemble des sociétés européennes et s’insinue dans toutes les strates des relations humaines, du quotidien aux relations internationales.
Et il ne faut pas croire que seuls sont touchés les pays connaissant une situation économique difficile, l’argument ne résiste pas à l’examen de la réalité. La Hongrie, la Grande Bretagne, l’Autriche, par exemple, sont économiquement relativement solides et pourtant voient la consolidation de l’implantation des organisations d’extrême droite, de nationalistes et d’identitaires de tout poil. La tentation indépendantiste écossaise, catalane rejoint la bouffée régionaliste bretonne.
Le conflit ukrainien a, de son côté, révélé l’intrusion de la « territorialité », assignant chacun à choisir un camp,selon sa localisation prétendument ancestrale, son rapport à la mémoire de 1945. Des relations autrefois apaisées s’hystérisent.
Les autres grands gagnants de ce dévoiement sont bien entendu tous les fondamentalismes religieux, les intégrismes qui pullulent chez nous, en Europe, mais aussi dans le reste du monde. L’immixtion du religieux dans la politique est tout à fait significatif. Il sème les graines des malentendus futurs, présage de catastrophes démocratiques et éloigne l’humanité de la réalité de sa propre condition car « opter pour la panique identitaire, c’est jeter par dessus bord le libre arbitre, la liberté de conscience et le libre examen critique, c’est choisir de vivre sans rien qui vive en nous. »
Et les stigmates de ce délire identitaire se font déjà sentir, ici ou là, par l’avènement d’un nouveau régime politique : la démocratie autoritaire.
Cette révolution conservatrice qui vient, sera-t-elle le nouvel horizon indépassable du XXIe siècle? Ou arrivera-t-on a échapper au marqueur identitaire que l’on nous impose, que l’on s’impose?
Dans une « conclusion (très) provisoire », Joseph Macé-Scaron, comme une évidence, revient sur son identité et ce qu’il en vit et nous livre ce dernier avertissement :
« Qui suis-je? L’homme est voué à poser cette perpétuelle question. Le monde est un théâtre et sur sa scène, s’en amuse Shakespeare, nous nous agitons et nous nous ébrouons. Et s’il nous arrive parfois d’éprouver de l’empathie pour un des rôles que l’on nous a confiés, ce dernier ne résume pas notre être. A l’image du comédien, nous n’avons pas d’essence. L’homme n’est pas sans qualité, mais il est sans définition : si on le dé-limite, on l’enferme et on finit par le faire disparaître. »