Riad Sattouf est l’auteur de bandes dessinées en vogue du moment, ou plus précisément depuis le premier tome de L’Arabe du futur, qui a reçu le Fauve d’or d’Angoulême (meilleur album 2015). Sa bibliographie est conséquente et les succès s’enchaînent. D’après ce que j’ai pu lire çà et là, les critiques sont toujours positives : c’est un auteur populaire, qu’il convient d’apprécier (intouchable?) quand on est un « vrai » bédéphile.
Riad Sattouf est donc, sans surprise, un des chouchous des médias : c’est dans une interview de l’auteur sur France Info que j’ai entendu parler de son dernier bébé : « Les Cahiers d’Esther, histoires de mes 10 ans ». L’idée de cet album m’a séduite : chaque semaine, l’auteur s’entretient avec la fille d’un couple d’amis, puis il met ses anecdotes sur papier, de façon strictement fidèle, mis à part les prénoms des personnages qui sont modifiés pour préserver leur anonymat. Mieux encore, il a pour projet de poursuivre Les Cahiers d’Esther quelques années, afin de rendre compte de l’évolution de la petite Esther jusqu’à sa majorité. J’affectionne particulièrement cette approche sociologique voire anthropologique de l’enfance et de l’adolescence. Dans le même ordre d’idée, j’ai été complètement touchée par le film Boyhood de Richard Linklater, entièrement filmé par intermittence sur une période de 12 ans afin de raconter l’enfance et l’adolescence d’un enfant américain.
Comme vous l’imaginez maintenant, c’est avec impatience que je me suis procuré ce premier tome des Cahiers d’Esther, que j’espérais avant même de l’avoir lu, être le premier d’une longue série.
Mon enthousiasme s’est rapidement envolé. Dès les premières pages on découvre qu’Esther est une pré-ado superficielle, dont le seul but dans la vie est d’être populaire, et qui ne rechigne pas sur les moyens pour y arriver. De plus, elle évolue dans un univers où la violence, le sexisme, l’intolérance, le harcèlement moral sont omniprésents et acceptés voire entretenus par la fillette qui va jusqu’à idolâtrer les personnes qui agissent ainsi.
Sans doute influencée par Boyhood, j’avais imaginé qu’Esther serait une petite fille attachante, regardant le monde avec au moins une petite once de naïveté. Il ne me semblait pas possible qu’il en fût autrement : l’enjeu pour Riad Sattouf est de fidéliser le lecteur qui devrait avoir envie d’acheter les 8 albums suivants. Par ailleurs, l’auteur lui-même présente son livre comme une BD fraîche sur le thème de l’enfance. Il va jusqu’à la comparer au Petit Nicolas de Goscinny: « Ça fait du bien de raconter des choses qui ne soient pas trop sombres » « J’aime beaucoup le point de vue sur le monde pris à partir de l’enfance » confiait-il sur RFI et France Inter.
Comment expliquer ce décalage entre la perception de l’auteur sur son œuvre, et la mienne? Comment se fait-il que, loin de trouver quelconque fraîcheur à cette bande-dessinée, je l’ai trouvée au contraire sombre et désespérante au sens premier du terme : elle m’inspire du désespoir… renforcé ici par le fait que le monde, avec tout ce qu’il a de plus détestable, est raconté à travers le regard connivent et quasi-insensible de cette petite fille d’à peine 10 ans.
La réponse est sûrement dans nos passés respectifs : une œuvre littéraire se construit dans le va-et-vient entre ce que livre l’auteur et ce que reçoit le lecteur à travers le filtre de ses propres expériences. Riad Sattouf, qui a vécu une enfance difficile en Lybie et en Syrie (je vous renvoie à sa BD autobiographique « L’Arabe du futur ») n’a pas la même définition que moi d’une enfance « pas trop sombre », pour reprendre ses mots.
Et puis, une fois dépassé ce malentendu et la déception qui en découle, j’ai commencé à m’attacher à la petite Esther qui a mis du temps à m’atteindre; petit à petit je me suis laissée aller à sourire ou à rire de certaines anecdotes; et, après m’être jurée de ne pas acheter la suite des aventures de cette écervelée, je me suis surprise à penser que j’aimerais quand même bien savoir ce que va devenir la petite Esther, l’année prochaine et l’année d’après.
Néanmoins, je pense qu’il aurait été plus intéressant de suivre la fillette à partir de 7 ou 8 ans afin de la voir passer d’un âge à l’autre. A 10 ans, elle a déjà toutes les préoccupations et les centres d’intérêt d’une adolescente : je crains que les futurs albums soient redondants par rapport à celui-ci.
La critique est facile…certe,Esther nous est différente mais elle colle à son temps comme nous appartenons au passé, et la fidélité de transcription ne laisse pas de place au romantisme mais cette bd sonne juste et on s’amuse car l’humour est omniprésente.
Vivement la suite.
Effectivement, Esther colle à son temps et il ne me semble pas avoir dit le contraire, quoi que tous les élèves n’évoluent pas dans cet « univers-là » à dix ans. C’est visiblement pourtant le cas d’Esther, et je ne remets nullement en question la véracité du récit de Riad Sattouf. J’exprimais simplement le décalage que j’ai ressenti entre ce que à quoi je m’attendais en ouvrant la BD (selon les propos de l’auteur interviewé) et ce que j’y ai trouvé. Comme je le disais en conclusion de l’article, je compte aussi lire la suite des aventures d’Esther.