Aux îles Samoa, au début de l’autre siècle, Walker, un aventurier d’origine irlandaise, règne en maître despotique mais bienveillant sur une poignée de Canaques nonchalants. Sans police ni justice, il gère son île d’une main ferme et paternelle. Il a un grand projet pour elle : la doter d’un réseau routier digne de ce nom pour faciliter le transport du coprah et doper l’économie. Tout va bien jusqu’au jour où une tribu se montre rétive à participer à ses grands travaux… A Tahiti, Bateman Hunter, un américain de Chicago retrouve Edouard Barnard, un ami installé là-bas depuis deux ans et qui semble ne pas du tout avoir envie de rentrer au pays où sa fiancée Isabelle l’attend… A Honolulu, Winter, fils d’un commerçant local, après avoir tenté sa chance comme comédien et avoir passé une vingtaine d’années sur les planches, décide de revenir pour reprendre le négoce familial. Il présente au narrateur un certain capitaine Butler qui est féru de magie et de paranormal…
Un anglais tombe amoureux d’une métisse tahitienne en la voyant se baigner dans un étang. Il l’épouse et l’emmène en Angleterre… Un pasteur ne supporte pas qu’une femme de mauvaise vie fasse du tapage et reçoive des marins dans sa chambre au rez de chaussée de la pension de famille où lui-même réside…
« Archipel aux sirènes » est un recueil composé de six nouvelles qui sont autant de courts romans et de deux textes de présentation et de conclusion. L’auteur lui-même les a définis ainsi : « Ce ne sont pas des nouvelles, mais une étude des effets produits par le climat des îles du Pacifique sur les Blancs. » Allant au-delà de la modestie du grand auteur, le lecteur y verra beaucoup plus, toute une comédie humaine dans laquelle pratiquement personne n’est heureux alors que tout le monde vit dans un cadre enchanteur, dans une sorte de paradis terrestre tellement agréable qu’il en devient émollient et même déprimant. Que de personnages pathétiques et inadaptés ! Aussi bien du côté des Blancs qui se laissent aller à la paresse et à leurs mauvais penchants que du côté des indigènes qui se retrouvent perdus dans les brumes de l’Ecosse et ne le supportent pas. Au fil d’histoires la plupart du temps dramatiques, le lecteur s’aperçoit qu’il ne rencontre que des suicidaires, des alcooliques et des femmes battues ou malheureuses en amour. Et quand on ne se suicide pas, on meurt trucidé. Même sans partager totalement la vision très pessimiste de Maugham sur la condition humaine, on n’en admirera pas moins son style élégant, plein de mélancolie désabusée et de détachement aristocratique. Tout est observé et noté avec intelligence et finesse. En effet, en dépit de la légèreté du ton et de l’indéniable qualité du style, partout règne une sorte de spleen et parfois même de désenchantement quand ce n’est pas carrément du désespoir. Somerset Maugham reste un des grands maîtres de la littérature anglaise, un spécialiste de la nouvelle. Son œuvre n’a pas vieilli si l’on ne tient pas compte du contexte décrit, ces années vingt et trente aussi désuètes qu’oubliées. Il est donc encore tout à fait possible de la lire aujourd’hui avec grand plaisir.
4,5/5
Archipel aux sirènes (Somerset Maugham)