L’introduction est lancée à pleine vitesse, comme le TGV dans lequel nous nous trouvons. Impuissants, nous sommes face à un carnage, un foutu carnage perpétré par deux ados qui ont clairement pété un câble. Reste à savoir pourquoi.
Maxime Chattam nous introduit dans son roman avec fracas, violence et terreur. Le ton est donné, l’auteur, tel un chef d’orchestre, achève sa partition je suppose avec délectation; la musique va être violente et brutale!
Il faut dire que l’auteur n’a plus grand chose à prouver avec son style d’écriture; c’est fluide, ça avance à grands pas, le lecteur est rapidement happé par un texte qui progresse tel un bulldozer, un rouleau compresseur qui n’a plus vraiment l’intention de se stopper. Nous ne sortirons plus de son sillage, nous nous écarterons plus de son chemin.
Les personnages ont un grand rôle – si j’ose dire – dans ce constat; la psychologie des protagonistes est lourde dès le départ, on s’attache, on s’accroche, comme certains d’entre eux, d’ailleurs, qui ont de plus en plus de mal à trouver un support pour se hisser hors de l’eau. Pour le scénario c’est pareil, on croche sans effort, on sait d’avance que ça va déménager!
Nous retrouvons Ludivine Vancker, lieutenant à la section de recherche de Paris, que vous avez pu rencontrer dans le précédent roman « La conjuration primitive ». Personnage fascinant; une femme qui se cherche encore dans sa vie relativement tourmentée, mais paradoxalement une femme qui sait ce qu’elle veut quand il s’agit de bosser. Une femme qui navigue à vue, qui sombre parfois dans certains excès – une fuite? -, assumés ou non, mais qui retombe en général sur ses pieds.
Passionnée par son job – obsédée? -, c’est peut-être à ce niveau-là qu’il faut aller chercher la cause qui la maintient dans une noirceur totale. Intriguée et fascinée par les « monstres » qui gravitent dans notre société et qui nous côtoient probablement, alors les étudier, comprendre leur motivation, leur pulsion, leur façon de fonctionner sera pour elle un moyen de se préserver et peut-être de se rassurer. Oui c’est devenu un réel besoin pour elle de se retrouver dans des enquêtes impliquant le mal absolu. Est-ce grave docteur? Peut-être une sorte de thérapie… Mais pour soigner quoi?
Parfois la barrière qui sépare le bien du mal – encore faut-il savoir ce que veut dire « bien » et « mal » – n’est pas très haute et pas si difficile à franchir. Peut-être n’y a-t-il finalement pas de barrière qui sépare ces deux termes. Bref…
Un go-fast fraîchement annoncé va éloigner notre héroïne des vapeurs d’alcool qui lui tournent encore autour et dans la tête depuis la veille! Sale soirée…
Là encore, l’auteur nous fait voyager à grande vitesse, mais cette fois-ci sur la route; Porsche Cayenne vs VW Touareg! C’est à vive allure que nous continuons à glisser entre les pages de ce roman noyées dans la nitroglycérine. Le Lieutenant Ludivine Vancker et ses collègues vont faire un constat surprenant lors de cette intervention; pas de drogue saisie, mais bien pire. Un dépeceur semble être à l’ouvrage quelque part en France.
Un trafic peu réjouissant mais très fructifiant semble avoir ouvert ses portes, les guichets sont ouverts, les clients se battent au portillon. Pour les membres de la section de recherche de Paris (SR), c’est un beau combat contre le mal qui démarre, Ludivine Vancker aux commandes, et son collègue Segnon en tant que copilote.
Ce grand black costaud sera là pour veiller sur sa collègue qui aura tendance à courir tête baissée tel un taureau en pleine course. Une tête brûlée, dans tous les sens du terme, ou presque… Tenir ou retenir cette femme acharnée à découvrir la vérité par tous les moyens sera pour lui une mission à part entière; une mission impossible!
Les sous-sols d’une tour d’une cité parisienne sera le point de départ pour cette enquête, avec la découverte d’un premier corps, voir des centaines si on se fie à un point de vue un peu plus général. Un premier profile sera établi concernant l’auteur; il s’agirait bien d’une personne ayant décidé de se consacrer corps et âme au diable. Vendre son âme au diable prendra ici tout son sens.
Au fil de cette enquête, d’autres corps vont être découverts, mais dans des circonstances étonnantes; aucune trace de violence physique. Ces personnes pourraient bien être mortes de peur, de terreur. Mais est-ce possible?
Parallèlement, des faits divers tragiques se répandent un peu partout, d’abord à intervalles réguliers, puis en s’accélérant. Des massacres à grandes échelles, perpétrés par des individus ayant visiblement des antécédents psychiatriques relativement lourds. Un effet de mode? De la manipulation? Ou alors peut-être une raison encore un peu plus inquiétante que ça?
L’avancée de cette enquête ne va pas aller dans une direction très réjouissante, mise à part le fait que les enquêteurs avanceront tout de même un peu, mais à petits pas. Des enjambées qui vont les conduire vers des pratiques abjectes, à dégoûter le lecteur face à sa consommation! Maxime Chattam ne fait pas vraiment dans la dentelle sur ce coup-là encore, mais plutôt dans la viande fraîche! Ecoeurant, bon appétit.
Une course contre la montre, contre une accélération générale de la violence engendrée par des citoyens apparemment sans histoire, démarre pour ne plus s’arrêter. La SR de la police parisienne ne va pas pouvoir compter sur certains temps morts pour faire le point et ainsi respirer un peu – nous non plus…. Les aiguilles de cette montre folle tourneront désormais devant leurs yeux, témoins permanent d’une urgence, prenant même de la vitesse tel un dérèglement temporel.
Maxime Chattam, par les événements qui se déroulent dans son récit, nous fait repenser à quelques tragédies qui se sont déroulées, elles, dans notre société bien réelle, à savoir l’affaire Anders Behring Breivik en Norvège, ou encore les tueries dans les écoles effectuées par des ados. Pourquoi ces actes?
Nous pénétrons également dans les cités de la région parisienne, peu rassurantes, peu rassurés, en compagnie de flics pas trop chiards. L’auteur nous dépeint cette ambiance glauque à l’image des graffitis qui sont les seuls témoins, sans doute, de la totalité des activités qui y règnent. Paradoxalement, Maxime Chattam laisse une porte ouverte sur un optimisme qu’il ne faudrait tout de même pas négliger; car il y a aussi une vie dans ces cités, une vie qui tente de garder une place parmi les déchets et les voitures calcinées.
Combats de molosses, public avide de sang et d’argent, tueries gratuites dans des lieux publics, l’auteur nous démontre dans ce récit que le diable, même s’il n’existe peut-être pas concrètement, est toujours là quelque part, en nous, depuis notre naissance ou alors à un moment de notre vie. Le mal qui est en nous, d’où vient-il? Est-ce inné? Appris? C’est notre société en continuelle évolution qui veut ça? Ou alors est-ce encore autre chose.
Le diable n’existe pas. C’est peut-être bien cela le problème, le danger. Le diable ne se montre pas, il agit sur nous, et patiente en contemplant nos actes qui enlisent toujours un peu plus notre société dans la boue. Ou, inversement, est-ce la société qui nous pousse à bout…?
Vers le dénouement, Maxime Chattam nous pousse justement à bout en utilisant un scénario qui nous touche, qui nous heurte. Il ne prend pas vraiment le temps de nous ménager, il ne faut même pas y compter; c’est brut, violent et sans aucune retenu. On souhaiterait presque que certaines scènes ne se déroulent pas jusqu’au bout mais, sadiques comme nous sommes, on est bien contents que les choses se déroulent de la sorte! Et oui, tout le piment est là et on aime sentir ce côté fort et corrosif s’introduire en nous. C’est grave?
Maxime Chattam nous donne un bout de réponse concernant la violence qui dérange notre société. Ses arguments sont assez pertinents, font réfléchir. La violence amène la violence, oui, mais n’est-ce pas un peu réducteur de l’expliquer ainsi? L’auteur pousse la réflexion un peu plus loin, par le biais de personnages assez inquiétants, que ce soit du côté des « bons » comme des nettement moins « bons ». La violence, le passage à l’acte est-il transmissible, telle une maladie contagieuse?
Maxime Chattam ne ménage pas ses personnages qui vont devoir se débrouiller seuls pour tenter de s’extraire de cette trame bien construite, terriblement sadique et, dans un premier temps, sans issue visible. Le personnage de Ludivine Vancker nous troublera jusqu’au bout, un trouble qu’elle cultivera d’ailleurs elle-même, pour le meilleur et pour le pire.
Jusqu’à la dernière ligne vous allez avoir votre lot de surprises, jusqu’à vous poser une question bien précise; mais laquelle?
Bonne lecture.
« La patience du diable », de Maxime Chattam
Critique de Passion-romans le 8 juillet 2014
Roman