Quelle histoire de fous…
Le titre de ma chronique est un peu particulier mais l’auteur – par le fil imaginaire de son intrigue – nous dirige, par petits fragments, vers la Divine Comédie, plus précisément l’Enfer de Dante. Cela nous permet de s’y intéresser un peu – mais très rapidement – car la lecture du roman continue!
Cette histoire s’ouvre sur un prologue qui nous introduit, pardon, qui nous propulse rapidement dans le vif du sujet, et oui… L’univers de Thilliez s’ouvre à nous sur un patient, Lucas Chardon, atteint de psychose, paranoïaque, interné depuis plus de quatre mois dans un établissement psychiatrique.
Sa psychiatre est à ses côtés, prête à entendre et déchiffrer les révélations surprenantes qu’il a décidé de lui transmettre. Des révélations sur un évènement qui s’est produit il y a quatre mois, un 22 décembre. Un jeu, des morts violentes, un assassin; ce n’est pas très clair. Bref, installés aux côtés de Sandy Cléor, la psy, nous tendons l’oreille pour écouter ce qu’il va lui dire, respectivement ce qu’il va nous dévoiler. Un petit conseil, suivez très attentivement…
Soit dit en passant, je n’en reviens toujours pas de m’être fait à ce point manipuler, encore une fois, sans avoir rien vu venir. On connait Thilliez, nous savons pertinemment qu’il faut nous méfier, tout en sachant déjà à l’avance – comme si le destin s’en était mêlé – que nous allons en ramasser plein la gueule au niveau de la subtilité du bluff, une magistrale claque. Mais comme un certain gars assez connu dans un autre « livre sacré à suspense » (désolé..), nous tendons l’autre joue car finalement nous aimons ça et nous voulons encore en ramasser quelques unes! (Un peu maso le gars de l’époque quand même…)
Bref. Alors, tel un grand naïf, je me prépare tout de même, j’analyse tout, je reviens parfois en arrière pour ne rien manquer, pour deviner à l’avance, anticiper, pour voir venir le coup de grâce qui plane au dessus de ma tête – prêt à s’abattre – et ainsi éviter de suivre bêtement le chemin que veut bien me faire prendre l’auteur – en guide sadique – et, surtout, POUR UNE FOIS, ne pas me faire prendre à revers!
Mission échouée en ce qui me concerne; encore une fois, il s’est vu remporter la bataille, le plus subtile des deux a gagné, l’auteur a terrassé le lecteur que je suis et je m’avoue évidemment vaincu, battu à plate couture. Vers le dénouement je me suis dit, assez fier, que j’avais enfin deviné; cela me paraissait même évident, tordu, mais évident – trop? – et enfin je me suis senti à la hauteur, face à l’une de ses intrigues! Bien évidemment – et je m’y attendais tout de même un petit peu – je me suis bien planté, et bien comme il faut!
Et quelle maîtrise du « scénario » qui me paraît relativement complexe (pour l’auteur). Je sais que Franck Thilliez, connaissant son humilité, ne va pas apprécier ce terme, mais cette intrigue, cette trame, relève du génie. Lorsque je repasse l’intrigue en revue, avec le recule, en relisant quelques passages clés du livre, je me dis qu’une certaine constance, une grande persévérance, une assiduité soutenue et surtout suivre un plan extrêmement rigoureux me semblent essentiels pour en arriver à un tel résultat. Peut-être encore un paramètre important qui me vient à l’esprit; la maîtrise du détail est impressionnante.
Allez je reviens quand même un peu à l’histoire.
22 décembre. L’adjudant-chef Pierre Boniface et son subordonné découvrent en pleine montagne, eu coeur des Alpes, dans un refuge de randonneurs, huit corps – hommes et femmes – tous massacrés à coups de tournevis. Un homme, Lucas Chardon, est retrouvé assis aux abords du refuge, hébété; il ne sait même pas ce qu’il fait en montagne.
Parallèlement, dans la région de Paris, nous découvrons Ilan Dedisset, la trentaine, « scénariste » pour jeux vidéos à ses heures perdues et employé dans une station service d’autoroute, qui reçoit un appel de son ex-copine, Chloé Sanders. Elle désire le rencontrer à tout prix; elle aurait découvert l’entrée d’un jeu de piste, genre chasse au trésor, nommé « Paranoïa ». Ilan, encore abattu par la disparition en mer de ses parents, tout deux scientifiques, ne désire absolument plus jouer, lui, qui tente de décrocher totalement, quitter ce milieu « addictif », cet univers virtuel.
Un peu parano, ou peut-être pas, Ilan ne croit pas vraiment à la thèse de l’accident qui aurait causé la mort de ses parents deux ans auparavant. Un complot? Voici une question qui le hante profondément, comme ces ombres et ces bruits qu’il perçoit constamment dans cette demeure familiale vide et mal entretenue. Visions.
Le personnage d’Ilan est troublant et nous sommes rapidement confrontés à un certain dilemme; comment fonctionne-il? Est-il profondément perturbé ou alors voit-il totalement juste, réellement harcelé et persécuté. Franck Thilliez a utilisé un excellent dosage pour construire ce personnage et ainsi nous faire douter, constamment, sur cet individu déconcertant, et ceci jusqu’à la dernière page. L’auteur – grand alchimiste! – transforme la réalité, la folie et l’illusion en une matière bien malléable; les malaxe, les mélange et nous déstabilise en permanence.
Mais voila, ce couple amateurs de chasse au trésor, d’énigmes, va s’embarquer dans ce jeu étrange qu’est « Paranoïa« , aux règles passablement angoissantes, mais surtout quasi inexistantes. Le jeu lui-même, qui prend sa source sur le net, n’est qu’une rumeur, peut-être même que c’est finalement que du vent. Mais un vent qui souffle constamment contre nos deux personnages, une légère brise qui les tient en alerte maximale. De plus, il y aurait 300’000 Euro à la clé, une clé cependant quasi inexistante, pas vraiment concrète, et surtout qui n’ouvre rien de vraiment visible. Un jeu qui apparaît et disparaît subitement, comme si l’on soufflait sur de la poussière.
Mais la poussière, une fois dissipée, laisse enfin apparaître une image. Une image cependant floue, brumeuse et très incertaine.
Le jeu de piste semble débuter tout de même, alors que tout porte à croire – quoi que… – qu’Ilan délire complètement et qu’il imagine ce qui n’existe pas vraiment. Le doute. Fait extrêmement troublant, le jeune homme se rend compte que sa mémoire lui joue des tours; il a belle et bien un sérieux souci, il ne se rappelle absolument pas de certains évènements de sa vie, pourtant évidents. Illusion.
La manipulation made in Franck Thilliez semble approcher à grands pas. En se mettant à la place du personnage, nous la sentons également venir à plein nez; mais ce qui reste terriblement accrocheur, c’est le fait de se demander qui fait quoi et surtout pourquoi!
Un danger inconnu, absolument non identifié, semble avancer lentement, mais sans jamais s’arrêter, tel un bulldozer incontrôlable.
Les frontières entre le jeu et la réalité vont s’avérer être très maigres, voir inexistantes. Où commence-t-il réellement et depuis quand? Voici des questions que se posent Ilan et Chloé qui décident de vivre cette aventure pas trop rassurante jusqu’au bout; quand on est accros au jeu…
Départ au coeur des Alpes, terrain hostile et inaccueillant de ce jeu « Paranoïa »; neige, froid, et surtout ce vieux bâtiment enfouis dans les ténèbres hivernaux, cet ancien établissement psychiatrique pas vraiment rassurant; le vieux complexe psychiatriqueSwanessong. Le maître du jeu qui les emmène vers cet endroit retiré du monde, Virgile Hadès, restera assez mystérieux sur ce qui leur est réservé. Virgile… Ce nom est assez familier pour celles et ceux qui connaissent l’Enfer de Dante. (Je frime mais j’avais une encyclopédie en main pour vérifier!).
A partir de là, enfermés dans leur chambre respective, Ilan, Chloé et six autres « candidats » sont prêts à débuter cette fameuse « chasse au trésor » dans les dédales de cet ancien hôpital et reçoivent, par message, le prochain principe du jeu; « l’un d’entre vous va mourir ». Pas le temps de paniquer, ces hommes et ces femmes vont devoir prendre possession des lieux, sans savoir que c’est plutôt l’atmosphère des lieux qui va prendre possession des joueurs.
Après une première visite des lieux, un élément assez pertinent reste relativement étrange; tout semble abandonné, poussiéreux, sauf quelques instruments: camisole de force, électrochocs, ou encore l’équipement de la salle dédiée à la lobotomie préfrontale, avec son légendaire leucotome… Je vous invite d’ailleurs à aller sur le net pour découvrir cet instrument de l’époque.
Désormais, « huit rats de laboratoire » vont se retrouver à la merci d’une machination organisée par des personnes dont on ne connait pas trop la motivation. Huit adversaires qui devront faire un choix difficile; tenter de gagner ou s’entraider. Au fil du temps, le choix n’en sera plus vraiment un. Le plus déstabilisant pour ces candidats sera le fait qu’ils n’arriveront plus distinguer le vrai du faux de ce jeu qui, au bout d’un certain moment, n’est plus vraiment drôle.
Mais peut-être que tout ce que je viens d’écrire n’est pas vraiment ce qui se passe vraiment…
Ilan, plus il avance dans ce jeu étrange et pervers, plus il se rend compte que des similitudes se crées entre ce qu’il vit là et un étrange cauchemar troublant; des flashs. Les frontières de la coïncidence commencent à largement être franchies. La mémoire joue-t-elle des tours? Le jeu serait-il juste un prétexte pour atteindre un but? Folie.
Un jeu, une chasse au trésor, une suite d’énigmes pour avancer, pour se déplacer, pour continuer, pour arriver à un certain but. Voilà un thème qui colle à la peau de Franck Thilliez qui semble être bien à l’aise pour développer son intrigue. En effet, il ne manque pas d’idées pour nous confronter à des casse-têtes complexes et subtiles. Tout ceci, bien évidemment, dans un univers glauque, dérangeant et un peu lugubre.
C’est fin, l’atmosphère générale est gênante et oppressante, une sorte de tension régulière nous gagne, se propageant et se présentant à nous comme le bourdonnement d’une ligne à haute tension qui nous dérange constamment et qui augmente sensiblement à chaque pages tournées, comme si l’auteur tournait un commutateur afin d’amplifier cette tension.
Tout d’abord, naïfs, on s’imagine que l’auteur nous emmène dans un « simple » scénario où nous suivons des personnages enfermés dans un lieu hostile, livrés à eux-mêmes, devant se dépatouiller pour survivre à un jeu dément. Mais ceci est franchement mal connaître Franck Thilliez, voir le sous-estimer sérieusement, lui qui nous emmène en fait vers une toute autre direction. Démence.
Comme pour « Vertige », l’auteur insère une multitude de signes dans son roman, de subtiles jalons, pour certains quasi imperceptibles, car visiblement anodins, mais qui ont leur importance, ou peut-être pas… Du coup, nous avons presque tendance à tout analyser pour ne pas passer à côté de quelque chose; c’est du moins mon cas. Je dois avouer que j’ai échoué car j’ai presque envie de le lire une nouvelle fois, avec les éléments que je connais désormais!
Peut-être encore un lien avec « Vertige »; nous sommes à nouveau face à un huis-clos se déroulant dans un univers glaçant. Nous avons tous, j’imagine, cette phobie des vieux établissements psychiatriques, avec leur chambres closes, leur secteurs et degrés de sécurité, leur salle de bain équipées de baignoires munies de sangle, les salles d’électrochocs ou de lobotomie, ou encore le fameux carrelage à damier! Franck Thilliez nous enferme dans ce décor, avec ses personnages, sans vraiment nous demander notre avis.
Vous remarquerez aussi que dans cette histoire il est question de mémoires. Franck Thilliez insère dans cette intrigue un élément scientifique, évidemment, qui est le fonctionnement de notre cerveau, ses lacunes, ses défaillances et peut-être même les manipulations envisageables, comme durant la Guerre Froide. Manipulation par l’usage d’amphétamines, pour supprimer certaines tranches de la mémoire, ou peut-être même en rajouter, tout ceci pour obtenir des informations. Ici, dans le roman, cela semble également être le cas mais… peut-être pas.
Je ne peux pas être plus clair, au risque de vous dévoiler trop de chose. Je peux juste vous donner des mots clés en vrac qui ne vont pas vous expliquer grand chose, mais qui vous parlerons après la lecture; illusion, maladie, folie, guérison, acceptation, trouble, psychiatrie, traitement, cerveau, sensation.
Etrange? Bonne lecture.
« Puzzle », de Franck Thilliez – coup de coeur!
excellente critique! c’est exactement ca!!! Le coup de coeur assuré! J’ai devoré ce livre dans cet atmosphere lourde et angoissante mais tres passionnante!!! On vit avec les personnage (et particulierement Ilan) dans cet hopital, on est sur de tout mais en meme temps le doute est partout! Bref une grande oeuvre du fabuleux Franck Thilliez