Cher Abdellah, J’ai beaucoup pensé au sujet de ce livre, à ces lettres. J’étais tellement perdue que j’ai voulu renoncer. Parler de mon pays et conseiller sa jeunesse était pour moi un pas difficile à franchir, un courage et une responsabilité. Je me disais que je suis très mal placée pour mener un discours d’adulte et griffer des mots mûrs…
Donc je préfère parler du Maroc à travers moi, à travers mes mots jeunes, tourmentés et étouffés par la solitude. Et une fois de plus j’ai eu le besoin de t’écrire : tu étais tout le temps là pour moi, même de loin, je recevais tes mots et Dieu sait à quel point ca me faisait plaisir, tes phrases étaient des citations qui résonnaient en moi, ils adoucissent ma colère et apaisent la douleur, et une fois de plus, j’ai senti le besoin de me confesser à toi, de partager avec toi ma journée, un autre épisode de ma vie.
Ce matin, j’ai ouvert mes yeux de bonne heure, le goût amer dans la bouche, celui de chaque réveil… Oui, Abdellah, il est amer le comprimé de la vie, j’en prends chaque matin pour survivre et tu sais que c’est le même calmant prescrit à tout le monde ici. J’ai regardé longtemps le plafond et j’ai eu du mal à me réveiller, j’avais du mal à sentir mon corps, j avais du mal à naître à nouveau, et je pensais déjà à cette journée, une autre de plus. J’ai respiré profondément, je voulais sentir l’air de cette journée pour que je puisse me familiariser avec elle.Sur le mur de ma chambre une horloge, elle indique 8h30.
De l’autre côté sur mon calendrier, qui ne sert non plus à rien, à part marquer les jours, je remarque le mot Dimanche. Ici au Maroc on a l’impression que tous les jours sont des dimanches, les cafés toujours pleins, les gens bavardent, comme s’ils n’avaient rien à faire, à part raconter des histoires et faire de leurs voisins et amis les héros de légendes scandaleuses. Dans les administrations, il n’ y a jamais personne et la même chose à la faculté et aux écoles. Personne n’est sérieux, tout semble vide et insignifiant.
Voilà mon premier contact avec le monde. Hélas! il n est pas humain. Je touche un objet, je vérifie mon portable, un geste habituel et insensé, encore une fois personne n’a laissé de traces, pas de messages, et s il y en avait un, ça serait un message de quelqu’un dégoûté comme moi et qui cherche à combler son vide en tapant sur le clavier de son mobile et choisissant un nom, un contact parmi d’autres pour qu’il reçoive son salut : « Ca va ? » Comme si on avait un jour le courage de répondre, de dire : « Non, ça ne va pas…Non, ça va très mal… Qu’est ce qu’on est en train de devenir ? »
Ce matin, il n’y avait aucun message, aucun appel. Le monde ne se soucie pas de moi, c’est normal, on est dimanche, dimanche matin en plus, la grasse matinée, ils ont tous fait la fête hier soir, ils ont du mal à se réveiller. J’ai quitté mon lit, je me suis changée et je suis restée un long moment devant mon placard, je regardais une djellaba, une en particulier au milieu de tous mes vêtements, et j’ai essayé de comprendre ce que ça peut représenter pour moi, cette djellaba… Pour arriver enfin à la réponse : RIEN.
Dans le salon, mon père et ma mère sont à la table du petit-déjeuner. On a mangé, on a parlé de choses dont je ne me souviens même pas. Je regardais mes parents longtemps, comme si je les dévisageais pour la première fois, et je constatais que je les connais pas. Vraiment, j’ignore tout d’eux, à part cette face qu’ils veulent montrer, à part ce regard qui cache un grand amour, je connais rien de plus…A part aussi qu’il faut que je sois la meilleure et encore là j’ignore ce qu’ils veulent dire par le mot « meilleure ».
Est-ce faire comme l’autre cousine qui est mariée (avec deux enfants) à un homme que la société lui a proposé ou être une vraie intellectuelle, une célibataire que l’homme marocain refusera car son éducation ne lui permet pas d’accepter la force de caractère d’une femme ? A vrai dire, je n’en sais rien. Je ne pouvais plus supporter ce gouffre entre nous, eux, moi. Les rayons du soleil, la beauté du climat interpellaient mon être. Et, en pensant à ta lettre, je suis sortie, je voulais marcher, découvrir de prés ce monde qui m’habite, ces gens qui ont le même numéro de série, tous Made in Morocco.
C’est là que tout a basculé, Abdellah. J’ai vu la misère, les misères. J’ai vu des jeunes qui s’en foutent , insoucieux, seuls malgré la masse. J’ai vu des vérités qui blessent. En croisant leur regard, j’ai tout compris, ils vivent la même chose que moi, une perte d’identification, un malheur social, ils sont tous là, loin de ce que leur impose le Maroc, comme religion, comme modèle, ils sont tous là dans la rue, moi aussi, schizophrènes, menant une vie plate, sourde malgré l’effervescence qui bouillonne au fond d’eux. Hajar Issami J’écris à moi-même, à toi et à tous ces jeunes perdus dans un quotidien complexe et chargé de maux. Je tends la main, froide, elle tremble. En t’écrivant je ressens ce contact humain. Les jeunes de ce pays, je caresse leur être qui me ressemble tant, dans la fatigue des jours, dans le contraste de notre culture.
Abdellah, nous sommes une génération née sous un ciel gris, un ciel qui nous pleure, il pleure notre incapacité. On témoigne des guerres, intérieures, extérieures, en silence. On n’a pas la force de réagir, handicapés que nous sommes, incomplets et malades. On a le vice de la modernité …Robotisés sous le règne d’ une horloge qui s’accélère. Nous songeons à un passé qu’on n’a jamais réellement connu. Nous pleurons ses failles en restant froids et immobiles devant un présent plus douloureux. Nous portons le poids des années de toute l’humanité sur notre dos courbé d’une lourde attente. Nous avons appris à parler, à grandir, à courir. Nous avons appris l’héritage d’une éducation déchirée entre l’ouverture et l’habitude. Nous vivons dans une époque où le métal est la seule décoration d’une pièce de théâtre moderne et morne qu’on appelle la vie. Ni la pluie, ni les larmes, ni le sang ne nous purifient. Que nous reste-t-il donc ? Des mots peut-être, des mots qui dérangent, des fois ils soulagent, ils nous tuent puis nous font revenir à la vie. Comment pourrais-je apaiser ma peur? Cette peur qui augmente quand je la rencontre, identique les regards de mes compatriotes que je croise partout? Comment pourrai-je les guider, si moi-même je perds les repères de temps à autre ? Comment pourrions-nous résister à la médiocrité que nous entoure et comment pourrions-nous faire semblant ? C’est difficile! Mais je crois à chaque solitude qui peut se confesser et former un ensemble avec les autres solitudes.
Unissons-nous pour crier « je ». Des « je » différents mais qui ont le même écho, la même intonation. Crier pour atteindre l’âme déchirée entre la prison de la tradition et la liberté artistique. Apprenons à hurler même sans voix afin de vivre dans la clarté et éviter l’hypocrisie d’un Maroc qui préfère se cacher au lieu de s’assumer. Aimons l’autre comme on abhorre sa différence. Cultivons notre être, et armons-nous du savoir, il n’y a que cela qui peut illuminer nos chemins. Et croyons en nous, à notre cri jeune qui prend la relève d’un pays qui a assez souffert de l’ignorance et des clichés. Détachons-nous d’une vie qui n’est pas la nôtre et améliorons ce que nous avons appris de la réalité héritée de nos parents, et combinons-la à notre propre réalité. Cher jeune Marocain, cher Abdellah, nous sommes le produit d’une société qui semble se métamorphoser, mais est-ce vraiment le cas, est-ce seulement le cas ? Défendons ce que nous sommes et ce que nous pourrons être un jour, corrigeons les ratures de l’Histoire. C’est l’aube d’une nouvelle époque. N’oublions pas que chacun de nous a le même tampon de citoyen marocain et bientôt aura la même épitaphe. Entre temps, réagissons et changeons le parcours des choses ! Amicalement, A travers toi, Abdellah, ce soir je cherche à les atteindre. Je n’ai pas pu le faire tout à l’heure avec ma présence de spectatrice. J’espère y arriver avec mes mots, avec cette lettre. Et cette fois-ci, Abdellah, mes verbes se conjugueront à la troisième personne du pluriel, j’écrirai pour une jeunesse dont je fais partie et qui se perd, une jeunesse de nom arabe, marocain. J’écrirai à un temps plus clair que le temps du passé et plus crédible que le rêve du futur. J’écrirai au présent…
J’écris à moi-même, à toi et à tous ces jeunes perdus dans un quotidien complexe et chargé de maux. Je tends la main, froide, elle tremble. En t’écrivant je ressens ce contact humain. Les jeunes de ce pays, je caresse leur être qui me ressemble tant, dans la fatigue des jours, dans le contraste de notre culture. Abdellah, nous sommes une génération née sous un ciel gris, un ciel qui nous pleure, il pleure notre incapacité. On témoigne des guerres, intérieures, extérieures, en silence. On n’a pas la force de réagir, handicapés que nous sommes, incomplets et malades. On a le vice de la modernité …Robotisés sous le règne d’ une horloge qui s’accélère. Nous songeons à un passé qu’on n’a jamais réellement connu. Nous pleurons ses failles en restant froids et immobiles devant un présent plus douloureux. Nous portons le poids des années de toute l’humanité sur notre dos courbé d’une lourde attente. Nous avons appris à parler, à grandir, à courir. Nous avons appris l’héritage d’une éducation déchirée entre l’ouverture et l’habitude. Nous vivons dans une époque où le métal est la seule décoration d’une pièce de théâtre moderne et morne qu’on appelle la vie. Ni la pluie, ni les larmes, ni le sang ne nous purifient. Que nous reste-t-il donc ? Des mots peut-être, des mots qui dérangent, des fois ils soulagent, ils nous tuent puis nous font revenir à la vie. Comment pourrais-je apaiser ma peur? Cette peur qui augmente quand je la rencontre, identique les regards de mes compatriotes que je croise partout? Comment pourrai-je les guider, si moi-même je perds les repères de temps à autre ? Comment pourrions-nous résister à la médiocrité que nous entoure et comment pourrions-nous faire semblant ? C’est difficile! Mais je crois à chaque solitude qui peut se confesser et former un ensemble avec les autres solitudes.
Unissons-nous pour crier « je ». Des « je » différents mais qui ont le même écho, la même intonation. Crier pour atteindre l’âme déchirée entre la prison de la tradition et la liberté artistique. Apprenons à hurler même sans voix afin de vivre dans la clarté et éviter l’hypocrisie d’un Maroc qui préfère se cacher au lieu de s’assumer. Aimons l’autre comme on abhorre sa différence. Cultivons notre être, et armons-nous du savoir, il n’y a que cela qui peut illuminer nos chemins. Et croyons en nous, à notre cri jeune qui prend la relève d’un pays qui a assez souffert de l’ignorance et des clichés. Détachons-nous d’une vie qui n’est pas la nôtre et améliorons ce que nous avons appris de la réalité héritée de nos parents, et combinons-la à notre propre réalité.
Cher jeune Marocain, cher Abdellah, nous sommes le produit d’une société qui semble se métamorphoser, mais est-ce vraiment le cas, est-ce seulement le cas ? Défendons ce que nous sommes et ce que nous pourrons être un jour, corrigeons les ratures de l’Histoire. C’est l’aube d’une nouvelle époque. N’oublions pas que chacun de nous a le même tampon de citoyen marocain et bientôt aura la même épitaphe. Entre temps, réagissons et changeons le parcours des choses ! Amicalement, Hajar Issami
Lettre Hajar ISSAMI
Beau style ! Mais tu dois le savoir…
Pour commenter ton article j’aimerais donner un nom à cette léthargie et surtout à cette solitude dont souffrent tout ces jeunes (nous tous en fait) ce nom c’est la myopie…