La Griffe du chien, Don Winslow, Point Seuil, 9 €
Don Winslow s’était déjà fait remarquer avec une série parue en Gallimard Série Noire (quatre titres dont l’excellent « Le Miroir de Bouddha ») dans laquelle Neal Carey, le narrateur, arpente le monde à son corps défendant pour le compte d’une improbable organisation américaine dirigé par… son père. Le personnage fantasque, l’ironie du ton et les trouvailles sarcastiques pour chacune de ses pages à cent à l’heure évoquent le travail d’un Lawrence Block, avec son fabuleux Tanner « l’homme qui ne dort jamais », dans les années 70 et que quelques amateurs vénèrent, dont votre serviteur. Déjà, c’était formidable…
Mais là…
Don Winslow affronte de face l’extraordinaire mystification de la « lutte » des États-Unis contre la drogue en Amérique du sud entre 1975 et 2000… sans laisser supposer que cela ait pu changer depuis. Art Keller, fil rouge de ce roman foisonnant, est au milieu des années 70 un jeune idéaliste qui croit à la lutte que son bilinguisme et ses origines (il est né dans un ghetto hispano-américain) conduit au Mexique pour enquêter sur les cartels du pavot. Il va s’apercevoir très vite que, pour être efficace, les petits arrangements sont indispensables, même à son niveau. D’année en année, au fur et à mesure que — contre ses supérieurs — il devient l’un des responsables de ce combat, non plus vraiment parce qu’il y croit encore, mais parce qu’il poursuit une vengeance au nom de laquelle il perdra tout de ce qui faisait de lui un homme. Devenu une machine aveugle, il parviendra peut-être à ne pas s’égarer complètement.
Mais autour de lui, c’est une forêt de personnages d’une grande force qui s’agite. Arrière-plan jamais caricatural, toujours fabuleusement documenté et magnifiquement humain, on comprend page après page que jamais cette lutte hypocrite ne pourra aboutir tant les enjeux dépassent le problème d’une jeunesse éperdue de came dans les rues sales d’une Amérique cynique. L’industrie très organisée de la drogue sait s’adapter, passer de l’opium à l’ecstasy, conquérir de nouveaux marchés, décentraliser pour satisfaire ses conseils d’administration, acheter ses soutiens, motiver ses lobbys et combattre ses concurrents.
Évidemment, elle utilise autant de poudre que de papier, mais le principe est le même…
Incontestablement, le plus grand roman qu’il m’ait été donné de lire sur cette question. À côté, les autres ressemblent aux épisodes d’une soap sur la télé câblée… Implacable, crédible d’un bout à l’autre, formidablement écrit (et traduit par Freddy Michalsky), et marqué au fer rouge dans la mémoire… Depuis, à chaque sujet médiatique sur cette question, le sourire jaune s’accroche sans même qu’on s’en rende compte.
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J’ai lu ce livre grâce à ta critique… et je t’en suis reconnaissant. C’est effectivement fort et dérangeant.