Le criminologue Stéphane Bourgoin, pour qui le comportement des serial-killers n’a désormais plus aucun secret, vous dirait que ce scénario n’est théoriquement pas possible. D’une part, cela ne s’est encore jamais vu – et heureusement! – et d’autres parts, un tueur en série, par son attitude, qu’il soit psychopathe, psychotique ou encoresociopathe, n’arrivera jamais à un tel résultat. Mais ceci reste une théorie; et si c’était finalement possible?
Toute la finesse de ce roman de Maxime Chattamse trouve justement là. Un criminologue vous expliquera que ce scénario – dont je ne peux évidemment pas tout vous révéler – n’est pas concevable, mais ceci c’est sans compter que la société, en continuelle évolution, se modifie et tend à transformer les attitudes de chacun, jusqu’à l’essence-même de la personne. Une société à forte consommation au sein de laquelle des normes, notamment entre le bien et le mal, sont bien définies et ancrées. Et si on tentait de les changer?
Pour savoir tout de même un peu de quoi je parle, voici à quoi son confrontés les enquêteurs de la section de recherche de la gendarmerie de Paris.
Le topo est assez préoccupant et dépasse complètement les enquêteurs qui sont scotchés sur place depuis plusieurs mois. Trois individus, ayant trois modes opératoires totalement différents et se focalisant sur des victimes n’ayant absolument rien à voir les unes avec les autres, oeuvrent aux quatre coins de la France. Fait totalement inédit, ils signent leurs crimes tous de la même manière, soit un signe « gravé » sur les victimes; « *e« .
Le 1er, surnommé « Le Fantôme », ne laissant pas de trace d’effraction, viole et étouffe ses victimes avant de les réanimer et de les violer à nouveau, jusqu’à ce que la mort soit inévitable. Le second, agissant dans l’est de la France, surnommé « La Bête » pour sa barbarie extrême, psychotique, laisse ses victimes dans un état abominable. Il se permet même d’en manger quelques morceaux. Comme si cela ne suffisait pas, des photos ont été découvertes sur un site pédophile, dévoilant des enfants violés, toujours avec cette inscription « *e« . Le troisième prédateur.
Pour Alexis Timée, responsable de l’enquête, et ses coéquipiers, l’incompréhension est totale lorsqu’ils découvrent un nouvel événement tragique; un adolescent pousse sur les rails trois personnes plus un nourrisson dans une poussette – tous tués sur le coup – avant de se jeter lui-même sous le train; sur un mur à proximité du crime, un tag représentant ce fameux signe « *e« . Ce sigle devient plus qu’une signature, il devient le symbole même du Mal, un signe de rassemblement? Les enquêteurs demeurent cependant assez septiques, les tueurs en série sont des solitaires – au pire en couple -, avec leur propre fantasme, souvent repliés sur eux-mêmes.
Le célèbre criminologue Richard Mikelis, une sommité, va venir en aide aux enquêteurs en leur faisant profiter de sa capacité à « comprendre » les tueurs. Cet homme, qui voulait pourtant raccrocher, n’ayant plus la force d’emmagasiner toute cette violence dans son âme, va pourtant être très actif et ainsi endosser son propre rôle de prédateur. Ce personnage, construit par Maxime Chattam, est tout simplement fascinant. En outrepassant ses limites, il va jouer le rôle de consultant, voir bien plus. Dommage que ce personnage ne soit pas plus « présent » dans l’enquête, car il a un potentiel énorme.
A présent, le mot « épidémie » commence à être murmuré puis cité de plus en plus fort par les enquêteurs.
Néamoins, cet événement va enfin ouvrir une petite brèche qui va permettre à la gendarmerie de suivre une piste, la première depuis le début de ces faits étranges. Une brèche qui va permettre d’en ouvrir d’autres et ainsi former le début d’une image d’un puzzle dont les pièces, au début, tendaient à en former plusieurs à la fois. Une ouverture vers le début d’une explication, vers des suspects potentiels.
Les frontières françaises vont rapidement être dépassées; de la Pologne, en passant par l’Ecosse, ou encore l’Espagne et le Canada, les crimes vont prendre une ampleur géographique inquiétante, qui vont obliger les enquêteurs à bien se coordonner entre pays.
L’enquête révélera également des faits troublants et extrêmement inquiétants, à l’image des signes laissés par ces troublants prédateurs sur des lieux symboliques, tel un ancien Lebensborn, endroit dans lequel des expérimentations abominables étaient pratiquées durant le règne nazi et où l’on essayait de créer la race arienne durant la guerre, respectivement « des enfants parfaits ». Comment comprendre cela? Quel lien?
Maxime Chattam nous donne l’occasion de nous poser bien des questions sur le sujet de la violence. Est-il possible qu’une ou des personnes, estimant que leurs conditions méritent d’être reconnues, puissent tenter de modifier les codes de la société? Des défenseurs de la déviance, d’une minorité.
L’enquête va mettre à jour des événements du passé, de l’époque du nazisme justement; des victimes qui, au fil du temps, sont peut-être devenus des prédateurs, motivés par la souffrance, une énorme souffrance morale, un mal d’identité, une exclusion. Une sorte de revendication envers la société? Des prédateurs qui vont enlever ce qu’il y a de plus profond à l’être humain; son innocence.
L’auteur ressort des événements extrêmement durs, une honte du passé, pour nourrir son intrigue. Une perversité à l’état pur qui sera l’origine d’une dégringolade macabre, le coeur même du Mal. Se regrouper pour mieux régner et tenter de changer les normes universelles pour ainsi devenir normal. Encore faut-il que ce terme ait réellement un sens.
Maxime Chattam met en avant un constat peu réjouissant de notre société qui serait composée de plus en plus de personnes déviantes et dangereuses. L’homme « craque » de plus en plus? L’auteur aurait-il raison, il n’y a qu’à voir les tueurs de masse qui prolifèrent et dont leurs actes nourris de plus en plus souvent les pages consacrées aux faits divers. L’auteur, par cette intrigue, nous fait bien comprendre que l’homme, à la base, reste un prédateur qui essaye de rester par tous les moyens au sommet de la chaîne alimentaire. C’est uniquement par la suite que des normes et des codes – la société? – sont apparues pour préserver notre espèce.
Ne dit-on pas qu’un côté sombre plane sur chacun de nous…?
Les scènes de crimes détaillées par l’auteur sont spectaculaires, criantes de réalisme, d’abomination. C’est cru – mais pas gratuit -, les actes commis sont poussés à l’extrême dans le vice et la violence.
Les personnages – notamment les flics – ne sont pas des super-héros, juste de fins limiers voulant réussir, aller jusqu’au bout des possibilités pour mettre un terme à cette boucherie. Alexis Timée et Ludivine Vancker, sa collègue, sa complice, même peut-être un peu plus que ça, vont s’acharner au dépend de leur vie privée pour aller de l’avant. Alexis et Ludivine, personnages clés du roman, vont se succéder pour avancer. Vous comprendrez en lisant.
Deux personnages qui voguent à vue, au gré du vent, en ce qui concerne leur vie privée qu’ils semblent ne pas trop gérer, mais deux personnes qui naviguent avec beaucoup de détermination dans le cadre de leur travail.
Maxime Chattam nous réserve des surprises assez marquantes concernant ses personnages principaux, quelques coups de théâtre magistraux!
Un roman surprenant, très bien documenté, une enquête structurée, méthodique, une intrigue qui se tient dans l’élaboration des méthodes scientifiques ou techniques, un voyage instructif aux quatre coins de l’Europe. Pour ce dernier point, Maxime Chattam nous permet de visiter plusieurs endroits fascinants dont je ne soupçonnais même pas l’existence, comme les mines de sel de Wieliczka, en Pologne, un véritable temple souterrain dédié à la religion dans lequel il place une de ses scènes relativement morbide, ou encore le village de Val-Segond, dans le nord canadien – nom fictif mais lieu réel -, endroit choisi par l’auteur pour créer ses dernières scènes, son dénouement; un véritable coup de poing dans la face du lecteur.
Bonne lecture.
« La conjuration primitive », de Maxime Chattam