Blog: passion-romans
Premier roman de Jérémie Guez, très prometteur, c’est certain. L’auteur nous plonge dans un Paris sombre et inhospitalier, loin de l’image que le touriste moyen – moi – fixe et emmène avec lui dans ses bagages. Le vrai Paris?
Cette oeuvre que nous refermons quelques heures après l’avoir ouverte – 108 pages – est narrée à la première personne, ce qui a comme conséquence de nous immerger totalement dans les rues de Paris, ses quartiers où la drogue fait force de loi et d’échange. Le narrateur que nous suivons avec une certaine consternation et très souvent avec pitié se prénomme Abraham.
Ce jeune arabe natif de la capitale aux narines blanchies par la cock passe ses journées et ses nuits à glander comme un mollusque en compagnie de ses potes pas plus motivés que lui à faire quelque chose de leur vie. Il y a Goran, son meilleur ami et surtout meilleur allié lorsqu’il s’agit de se dépatouiller et trouver une issue suite à leurs emmerdes à répétition. Nous faisons également connaissance avec Nathan, qui va peut-être suivre le parcours professionnel de son grand frère; il est en tôle… Mais aussi Trésor, le grand black balaise qui distribue des baffes comme personne. Manque encore peut-être Julia, la belle Julia, étudiante à la Sorbonne, qui fait palpiter le coeur de ce grand con d’Abraham.
Ce loubard, orphelin de mère depuis l’âge de ses cinq ans, cohabite avec son père dans un petit appartement de Paris-Nord. La télé paraît toujours enclenchée et son père semble continuellement scotché à l’écran. Aucun courant ne passe entre eux; peut-être juste le courant de l’indifférence qui parcourt leurs âmes éteints sans créer aucune étincelle. La rupture est totale, le lien père-fils semble s’être rompu il y a déjà bien longtemps.
Une entrée en matière assez explicite pour ces petite frappes; petite virée dans Pigalle, quelques verres dans un bar, provocations, bagarre, effusion de sang qui finit par une arrestation et un séjour en garde à vue. Des journées et des nuits qui semblent se ressembler visiblement; sorties, poudre dans le nez, petit business pour se permettre de s’en mettre encore un peu plus au fond des naseaux.
Jusqu’à ce jour où Nathan emmène Abraham dans un bar du quartier de Belleville, et découvrent ensemble un peu par hasard cet étrange manège qui se passe au fond du bistrot; des clients qui disparaissent derrière une porte « privée » bien gardée par un gorille. Apparemment des mecs qui jouent gros et claquent pas mal de fric dans cette salle de jeux illégale. Il suffit d’un regard entre les deux compères, une sorte de pacte tacite qui veut tout dire et qui va les conduire vers les vrais emmerdements. Un braquage… Un simple et facile braquage qui va rapporter de l’oseille.
Abraham prend les devants, réuni et convainc sa fine équipe inexpérimentée. Ils acceptent tous d’adhérer à ce projet; Karim en fera également partie en tant que chauffeur de véhicule préalablement emprunté le temps d’une nuit mouvementée.
Le jour J arrive à grands pas – où plutôt la nuit – et nous sentons que cette bande de blaireaux est tout sauf prêt à réussir un tel coup de poker? Hésitations, manque de confiance, reprise de confiance à coup d’amphet’s et de whisky; une sensation de pitié nous envahis presque face à ce constat peu réjouissant! Presque envie de rire et compatir. Des petites frappes qui s’attaquent à un trop gros morceau pour leurs mâchoires de sales gamins… Mais voilà, plus de place à la réflexion, la phase du point de non-retour à commencé.
« Sur le trajet, tout le monde reste silencieux, seuls quelques toussotements se font entendre. Je suis assis à l’arrière de la voiture et regarde devant moi, je ne veux pas croiser leurs yeux. Nous débouchons sur le boulevard. Nous attendons le dernier moment pour enfiler les cagoules, nos bonnets de gosses, tricotés par nos mères, dans lesquels nous avons découpé des trous aux ciseaux. Je saisis une arme tendue par Goran et la presse contre ma cuisse. J’ai l’impression que nous roulons lentement, je veux que tout aille plus vite. La voiture tourne au ralenti à l’angle d’une rue que je ne reconnais pas. Le bar apparaît subitement. Mes mains se raidissent sur la crosse du flingue. »
Le braquage en soi se passe plus ou moins comme ils le voulaient; de la violence pour pas grand chose finalement, 8000 Euro à se partager équitablement. De quoi acheter encore de la dope et éventuellement revenir au point de départ?
A partir de là, la vie d’Abraham part en couille comme on dit, à commencer par la rupture avec sa Julia qui semble avoir été quelque peu volage.
« – Tu me prends pour un con ou quoi, ton corps entier sent le sexe. Depuis combien de temps tu te fais baiser par un autre, sale petite conne, hein? Le ton est monté, j’ai perdu d’avance. Elle tourne la tête vers moi, les yeux pleins de larmes. Elle est là, allongée, à demi-nue. Je n’ai même pas envie de la frapper, ça lui ferait trop plaisir. Je pars, laissant derrière moi une porte ouverte sur une petite fille en pleurs. »
Abraham va se perdre, autant dans sa tête que dans Paris, et fréquentera assidûment ce bar d’étudiant qu’il utilisera pour jauger la situation, soit pour estimer si le business est possible dans ce milieu de branleurs qui ne connaît rien à la dope et donc si facile à baiser. Il rencontrera un groupe d’étudiants à tendance hippie, fils à papa et plein de fric, dont Pierre, à qui il propose une première rencontre avec la dure. Son périple en solitaire sur des eaux rentables va continuer jusqu’à élargir le business au sein des quartiers estudiantins, en visant des jeunes en mal d’aventures et de sensations fortes. A l’image d’Alexandra, jeune fille bien mais malheureusement un peu naïve qu’il va plonger à son tour dans le monde des morts-vivants en lui offrant sa première expérience du grand frisson synthétique.
« Mais au fond de moi, je me sais intrigué par cette fille, parce que personne ne m’a jamais parlé de drogue avec une voix d’enfant. »
Abraham va immanquablement se faire rattraper par ses conneries, nous devenons témoins d’une vraie descente aux Enfers. Une fois qu’on a goûté on s’en sort en principe plus et ce garçon va atteindre, paliers par paliers, le fond du gouffre. C’est vertigineux; la pente n’est pas si abrupte mais constante et surtout glissante sans aucune aspérité pour s’accrocher et remonter. Excès, contraintes, agressivité; l’escalade de la violence ne s’arrête plus. Entre Goran et lui, ça va être un peu compliqué… L’un ou l’autre va aller tout de même un peu trop loin.
L’auteur nous emmène dans des quartiers où les jeunes sont voués à l’échec dès le départ. Dommage, car le cas d’Abraham, au premier abord, ne semble pas perdu d’avance. Ce jeune délinquant semble avoir une certaine conscience – ses pensées tout au long du roman le prouve – mais une sorte de fatalité prends le dessus comme si ces paumés n’avaient aucun autre issu possible. L’engrenage est solide, lorsque la machine est lancée elle ne s’arrête apparemment plus.
Bien que le thème choisi par Jérémie Guez soit relativement classique; petite frappes à la dérive, délinquance, drogue, gros coup, partage de butin, règlement de compte, pression, il n’en reste pas moins qu’il arrive à poser le lecteur sur un terrain intéressant, principalement par cette façon de narrer son oeuvre. Nous pouvons dès lors suivre son histoire vue de l’intérieur, en direct live connectés avec les pensées, les jugements, les préoccupations mais aussi avec les tourments du personnage central. Une descente aux Enfers que nous vivons de la même manière; nous coulons avec lui.
Très prometteur, je vous encourage à découvrir ce premier roman de Jérémie Guez sans hésiter. Bonne lecture.
« Paris la nuit », de Jérémie Guez