Le lecteur aborde ce roman noir sous une averse diluvienne en arpentant des rues peu éclairées, en marchant dans de nombreuses flaques d’eau disséminées un peu partout devant ses pieds trempés. Nous sommes dans la région de Strasbourg, et il pleut continuellement. Un tableau chargé de grisaille, des tons qui varient entre le gris du ciel et le noir de la nuit. Un déluge qui ne s’arrêtera qu’après la dernière page tournée – et encore, nous ne sommes plus là pour le constater. Une atmosphère sombre et lugubre qui nous annonce dès le départ que nous n’allons pas découvrir que des faits réjouissants.
Eric Fouassier, auteur que je découvre, semble apprécier ce climat obscur, ce milieu ténébreux dans lequel il nous plonge sans trop de difficulté. Un théâtre cafardeux, chargé de mélancolie, d’amertume et de morosité, sur un fond de blues.
A l’image du personnage principal, un flic répondant au nom de Gaspard Cloux. Cet homme, qui a décidé de quitter le fameux Quai des Orfèvres, à Paris, pour venir combattre le crime dans la capitale du Gewürztraminer, n’a pas vraiment eu la vie facile ces dernières années. Sa femme Clara est morte dans un accident de voiture, voilà cinq ans, et il s’en sent toujours un peu responsable. Il a décidé de récupérer sa fille Estelle, 8 ans, qui vivait chez ses grands-parents suite au drame, et ainsi d’assumer pleinement son rôle de père.
L’auteur, par les paroles de Gaspard – notre narrateur – arrive à nous agripper rapidement, à nous sensibiliser, et nous nous sentons très vite proche de ce flic, père inconsolable qui doit finalement accepter la vie comme elle vient et endosser malgré le chagrin son rôle de père, sa tâche de protecteur, finalement de l’aimer, d’être présent et de la soutenir dans les moments difficile. Un pari ardu pour ce flic qui est bien pris par son travail!
Eric Fouassier nous dépeint un flic anéanti par la vie qui ne l’a pas vraiment préservé, un flic passablement solitaire, tel un fin limier privé qui nous rappelle franchement le détective américain des années 40-50 – ambiance noire, la pluie, la tournée des bars glauques et sinistres à la recherche d’éléments et de personnes, le sexe, les femmes, LA femme fatale dans toute sa splendeur – tout ceci refondus et remaniés à la sauce française et contemporaine. Un flic « boosté » ou même consolé par la musique, plus précisément par le blues, style bien mélancolique et nostalgique orchestré par le chanteur et guitariste Paul Personne.
« Un soir qu’elle montait sur les planches/L’beau sax l’a prise par les hanches/Alors la mort est entrée dans les bars/Et tous, on baissait les yeux pour pas la voir/Elle voulait juste qu’on lui serve un coup… pour voir/Puis elle s’est dit: R’partons pas les mains vides/Elle emporta Célia avant qu’elle fasse un bide » Paul Personne, Célia.
Gaspard Cloux, une jambe dans le plâtre et cloué sur une chaise derrière la fenêtre de son appartement, nous raconte sa dernière enquête qui l’a touchée jusqu’au plus profond de l’âme. Une enquête douloureuse, durant laquelle des choix difficiles se sont avérés erronés, déraisonnables, voir parfois imprudents. Gaspard Cloux semble être conscient que ses actes n’étaient pas des plus judicieux, mais il ne paraît pas maîtriser la situation. Telle une destinée écrite d’avance, comme si une puissance avait déjà réglé le cours des choses. Aurait-il pu éviter de passer à côté d’indices dissimulés à droite ou à gauche, aurait-il manqué d’assiduité en déambulant dans les décors qui défilent lors de ses investigations? Voilà les questions qu’il se pose une fois l’enquête désormais derrière lui.
Tout commence comme l’effet d’une boule de neige. Deux ados en scooter décèdent lors d’une course-poursuite avec la police. Les journalistes font dans le mélo, les parents témoignent, les flics sont tous des racistes, pour une partie de la population, c’est tout simplement inadmissible. S’ensuit des révoltes, de la casse, la ville est prise d’assaut par des petites frappes en manque de sensations fortes. Les véhicules, les bâtiments sont incendiés au quatre coins de la cité. Suite à ce carnage, un cadavre carbonisé est découvert dans le coffre d’une voiture, dans un parking désaffecté.
Mal à l’aise, Gaspard Cloux ne la sent pas du tout cette affaire. La découverte de ce cadavre sera la naissance d’une intrigue qui va le diriger vers un cruel réseau « mafieux » – profitant probablement au gratin de la société – dans lequel nous serons confrontés à la drogue et sa déchéance, à la prostitution, à des sévices abominables mais aussi à la mort. Notre homme va se retrouver face à son supérieur hiérarchique, le commissaire Bersateguy, qui va le mettre en garde et lui conseiller de ne pas trop toucher à la sphère politique. Mais bon, notre flic n’en a franchement rien à foutre, quitte à froisser les états d’âme de ses supérieurs. Ce flic malin, droit et intuitif va aller droit au but, soit mener son enquête quoique il arrive.
Les pièces du puzzle vont s’emboîter petit à petit et le commandant Gaspard Cloux, lors de cette enquête devenant de plus en plus inquiétante et préoccupante, va découvrir malgré lui l’image qui résulte de ce casse-tête macabre. Un constat désolant qui va lui éclater au visage et qui va le casser à petit feux, voir le toucher au plus profond de son coeur. Tenant une plume débordante de machiavélisme et de calculs impitoyables, Eric Fouassier, oeuvrant méchamment dans le très noir, va ouvrir une trappe sous les pieds de notre flic qui n’aura pas d’autre choix que de basculer dans un précipice jonché d’incertitudes, de désolations, de traîtrises et de peines… Trouvera-t-il les aspérités nécessaires pour remonter à la surface et ainsi affronter cette puissante machination diabolique?
Un roman à l’écriture fluide et efficace, une tension constante qui nous prends très rapidement sans plus nous lâcher, une course contre la montre qui finit immanquablement vers une autre, un dénouement aussi dur, sévère et féroce qu’on puisse imaginer. Bref, Eric Fouassier a réussi à me charmer par cette intrigue bien conçue, par le personnage principal qui m’a touché, et surtout par les tripes qu’il a réussi à me retourner! Bonne lecture.
« Rien qu’une belle perdue », Eric FouassierÉtiquettes : Eric Fouassier, noir