Voilà un roman qui va déstabiliser plus d’un lecteur… Au terme de ce livre éprouvant, nous ne pouvons que nous retrouver ébranlés et heurtés, tout en restant un peu perplexes. Non pas pour la qualité de l’oeuvre – bien au contraire! – mais pour sa morale. Et là je peux vous dire, c’est du lourd! L’auteur met un accent « grave » sur plusieurs valeurs fondamentales qui sont essentielles pour vivre d’une manière équilibrée. Je ne peux malheureusement pas m’avancer d’avantage sans trop vous en dévoiler. Quoiqu’il en soit, le lecteur va en ramasser plein la figure. L’auteur, par cette histoire que j’estime puissante sur le plan humain, nous démontre comment le système peut démonter une ou des personnes…
L’auteur nous accueille dans son roman avec un prologue qui se déroule le jeudi 24 mars 2011, à 20h28.
Le commissaire Hervé Langelier est arrivé au bout de sa carrière et s’apprête à fêter cet évènement lors d’un apéro organisé par une collègue. Cela l’emmerde un peu, c’est vrai, il aurait préféré partir sans trop de fioritures. Une cinquantaine de collègues sont présents, la plupart par politesse, par obligation, quelques-uns par amitié tout de même. Son supérieur hiérarchique et ami de longue date, le commissaire-divisionnaire Jean-Louis Ferracci, est également présent.
Langelier repense un peu à sa carrière qui est à présent derrière lui, il s’autorise un dernier bilan personnel, estimant qu’il était un bon flic, pas le meilleur, mais correct. Mais les dix dernières années de sa carrière de flic lui laissent un redoutable sentiment d’amertume, vis-à-vis d’une enquête qui a totalement désordonné et bouleversé sa vie.
On lui demande un discours, chose à laquelle il s’attendait, évidemment, mais c’est un discours un peu particulier qu’il réserve à son auditoire. Il s’apprête à tout révéler sur une enquête qui a détruit les dix dernières années de sa vie et qu’il estime comme étant bâclée, sabrée et arrangée, lors de laquelle il s’est battu seul contre tous. Il tient là le moment opportun pour clouer le bec à ses « adversaires », surtout à Ferracci. Alors tout le monde tend l’oreille, curieux, intrigué, et franchement nous aussi…
Dix ans plus tôt
Une mère de famille est retrouvée égorgée à son domicile, ses deux petits enfants étouffés dans leur chambre. Quant au mari, il demeure introuvable. Un peu déçu, Hervé Langelier est chargé de l’enquête. Pour lui cela reste une affaire banale qui ne va pas faire de grandes vagues, un fait divers. L’affaire traîne, la hiérarchie met la pression, prête à lâcher Langelier, voir le remplacer. Son supérieur et ami, le com div Jean-Louis Ferracci, ne semble pas vouloir le soutenir non plus. Mais Langelier s’accroche, cherche, il veut trouver.
Cette folie meurtrière va se renouveler chaque mois, jour pour jour, décimant trois familles de plus. Toujours le même mode opératoire, femmes égorgées et petits enfants étouffés durant leur sommeil. Les pères de famille ne sont jamais retrouvés. Le commissaire Langelier est persuadé de connaître le coupable, il en a la conviction mais n’arrive pas le prouver. Une piste, une hypothèse, que lui seul semble suivre. Pour la sphère politique et pour sa hiérarchie, sa direction d’enquête est invraisemblable, voir saugrenue et il se voit retirer l’affaire pour manque de résultat et de compétence. Dépité, contrarié et relativement vexé, il va tout de même prendre sur lui toutes ces morts violentes qui auraient pu être évitées. Mais en est-il vraiment responsable?
Même si ces massacres familiaux vont soudain cesser et même si l’enquête menée désormais par le com div Ferracci va donner de solides résultats, Langelier va, quant à lui, camper sur sa position et ne croira pas du tout à ce dénouement qui arrange tous le monde. Il est persuadé de connaître le vrai coupable et va le prouver. Sa psychose va vite se métamorphoser en folie pour cet homme qui ne va jamais en démordre.
Jacques Expert, par sa plume précise et fataliste, exprime avec une désolante finesse, la rage et la frénésie qui ressortent violemment de cet homme qui se bat contre tous. Et je dois reconnaître que cela fait mal de voir ce flic s’éloigner, surfant d’une manière de plus en plus aléatoire et en équilibre sur une vague d’obsession, toujours un peu plus à la dérive.
Nous nous retrouvons de temps en temps à nouveau dans cette salle communale, lors de ce pot départ. Il est tard, Langelier voit dans le regard de ses auditeurs de plus en plus de curiosité, de peine parfois, mais peut-être aussi un sentiment de malaise. Il continue donc son monologue, un peu euphorique, épiant de temps en temps les réactions de Jean-Louis Ferracci qui reste de marbre. Il poursuit…
N’étant plus sur l’enquête, Langelier craque, le sentiment d’être incompris devient puissant et ces homicides le hantent, le rendent fou. Il ne va cependant pas en rester là et va utiliser la totalité de son énergie pour enquêter de son côté, au dépend de tout ce qui devrait peut-être compter pour un homme. Sa femme, ses enfants, vont s’éloigner de lui toujours un peu plus, malgré leur soutien qui va s’estomper et finalement disparaître.
Sa femme, qui tient énormément à lui, se retrouve avec un homme négligent qui sombre toujours un peu plus dans la folie, qui ne pense plus qu’à lui, à son enquête, d’une manière totalement démesurée et elle prend peur. L’auteur nous désigne malgré nous comme étant les témoins d’un déchirement familial qui nous bouleversera et ne nous laissera pas indifférents. La folie et l’obsession ont pris un homme jusqu’aux tripes et ne le rendront probablement plus à sa famille.
« Il ne voit pas que, après tout ce qu’elle vient d’apprendre, Steph est simplement effrayée, tant ce qu’il a dit lui a paru incohérent. Effrayée de voir que, ce soir, Hervé a tutoyé la folie et que pour lui il est peut-être déjà trop tard. »
Langelier se retrouve seul mais, au fond de lui-même, il est soulagé. Il va enfin pouvoir se consacrer pleinement à son enquête. Le lecteur, dépité, voit là un homme attaché à sa famille mais qui ne semble plus s’en rendre compte. Ferracci va tenter de le résonner et lui expliquer qu’il est en train de s’entêter pour rien et de foutre en l’air sa vie, sa carrière.
« Un dernier conseil, Langelier: arrête tes conneries et fais-toi oublier. La prochaine fois, c’est la porte, et tu finiras comme un clodo. J’allais dire « comme une merde », mais tu en es déjà une. Regarde-toi: tu pues la merde. Tu nous fais honte, tu déshonores ton métier. Allez, dégage, maintenant! »
Une dure rivalité va s’établir entre les deux hommes, une croisade à la recherche de la vérité pour Langelier, un combat de raison pour Ferracci. Le lecteur sait désormais pertinemment que ces deux personnes vont obligatoirement y laisser des plumes, que se soit sur le plan professionnel mais surtout sur le plan humain.
Nous nous demandons tout au long du récit si notre homme a finalement raison, malgré son comportement qui devient de plus en plus déraisonnable et effrayant. Sa théorie, ses propos et ses actions deviennent confus et relativement inquiétants. Sa piste se tient et les pièces du puzzle s’assemblent petit à petit. Mais l’image qui en résultera sera-t-elle celle de la vérité? Nous avons envie d’y croire, malgré le fait que nous sommes tout de même les témoins de la vie d’un homme foutu, qui a semble-t-il atteint le palier qu’il ne fallait pas franchir pour éviter de côtoyer la folie de près et de s’y isoler.
Jacques Expert nous malmène et nous tarabuste au fil de la lecture, nous transmet un sentiment de gêne, d’oppression qui manque de nous achever. Il a su trouver les mots, les phrases, soit un contexte qui dérange par les doutes qui nous dévorent de l’intérieur et qui ne nous lâchent plus.
L’auteur nous donne une dernière claque avec un dénouement qui fait mal, qui déstabilise et nous anéanti. Une issue fatale, triste et bouleversante qui laissera le lecteur dans la douleur. Mais franchement, on s’y attend même si on refuse cette vérité. Bonne lecture.
« Adieu », de Jacques ExpertÉtiquettes : Adieu, jacques expert
Bonjour.Je n’ai pas lu les parties de la critique de « Passion-romans » qui dévoilent trop de l’histoire de ce livre policier. Je trouve dommage de recopier ou dévoiler ce que va nous raconter le livre. Ca perd de son intéret. Ceci dit, j’ai lu attentivement le reste des commentaires de « Passion-romans » et j’ai décidé de lire cet « Adieu » de Jacques Expert. Je trouve que ce roman policier est « correct » et « assez bien fait », mais pour reprendre une des phrases de la critique de « Passion-romans » : « Mais franchement, on s’y attend… ». On passe un bon moment avec ce livre. On ne regrette pas de tourner les pages pour connaitre la suite. On peut remercier « Passion-romans » de nous l’avoir conseillé. Cependant, même si c’est un bon roman policier, j’aurais aimé être plus surpris. C’est bien construit. Il manque peut-être une vraie pointe d’inattendu, voire d’impensable, de rebondissements imprévisibles, une suprise qui vient vraiment tout boulverser pour en faire « un super bon roman policier ».
J’ai lu attentivement votre commentaire et je vous remercie. J’essaye dans mes chroniques de ne jamais dévoiler l’intrigue, c’est important pour moi.
Cela dit, ce roman était difficile à chroniquer sans trop en dire. C’est un roman agréable à lire et son intérêt est vraiment dans le style qui est remarquable.
Je vous conseille de lire « Alex », de Pierre Lemaitre. Vous allez tomber à la renverse!
Cordialement. Pascal
J’ai déjà lu « Alex » de Pierre Lemaitre. Un formidable livre. Après avoir lu « Alex »…j’ai lu tous les livres de Pierre Lemaitre…et tous ses livres se sont avérés palpitants, ingénieux, bien écrits…formidables! Je les conseille sans hésitation. Je partage votre opinion Pascal.