Dans ce très détaillé ouvrage, l’historien Allemand Peter Longerich soulève une question fondamentale, et présente une excellente synthèse sur un aspect essentiel du National-Socialisme (Nazisme) concernant le Peuple Allemand :
Quel comportement a eu le Peuple Allemand face aux persécutions des Nazis contre les Juifs, et que savait-il de la « Solution Finale » ?
Sous le régime Totalitaire Nazi du III Reich entre 1933 et 1945, les divergences et les mécontentements étaient considérables entre la population Allemande et le régime Hitlérien. Mais sous la chape de plomb Totalitaire Nazie, il était quasiment impossible pour le Peuple Allemand de s’exprimer dans le cadre de l’ »opinion publique », mais uniquement dans celui restreint de la sphère privée ou semi-publique (amis, collègues, voisinage). La population ne pouvait donc exprimer : ni opinion, ni contradiction, etc., bref, tout débat était proscrit.
Cette population était atomisée, il ne lui était donc pas possible de construire une opposition représentative face au tyrannique Régime du III Reich.
Le service de sécurité de la SS (SD) était constitué d’un effectif de 3 000 fonctionnaires officiels et d’un réseau de 30 000 informateurs, délateurs, agents…, ayant pour mission de scruter l’ »opinion publique ».
Dès 1933, le but de la propagande Nazie fut d’orienter cette « opinion publique » dans l’unique objectif infâme de : l’antisémitisme.
Après l’accession d’Hitler au Pouvoir le 30 janvier 1933, la propagande commença dès avril 1933 par organiser le boycott des commerces Juifs. En effet, des membres des SA et des Jeunesses Hitlériennes étaient chargés de bloquer l’accès aux commerces Juifs.
Face à ces boycotts, globalement, la population rejetait cet antisémitisme primaire, mais malgré tout, elle eut un comportement passif : une minorité de la population allait faire ses achats dans ces commerces, en signe de protestation.
Voici ce qui est présenté dans des rapports du Sopade, page 116 :
« De même, les rapports du Sopade, organisation de la social-démocratie allemande en exil, penchent tout à fait en faveur d’un rejet par l’ensemble de la population de « l’agitation antijuive » et des exactions antisémites. Ils décrivent la honte, la colère et les troubles. Quatre cinquièmes de la population auraient rejeté « l’agitation antijuive ».
En 1935, malgré la résistance à l’endoctrinement d’une grande partie de la population, le sentiment général oscillait entre : passivité, distance voire parfois rejet vis-à-vis des Juifs.
Cette propagande était constamment martelée par la presse Nazie sous la férule du Parti Nazi le NSDAP.
Déjà en 1932 (avant l’élection d’Hitler), les journaux gérés par le NSDAP publiaient régulièrement des articles antisémites.
Le 15 septembre 1935 furent mises en place les lois antisémites de Nuremberg, telles que : la « loi sur les citoyens du Reich » et celle de la « loi sur la protection du sang ».
A partir de cette période les exactions du NSDAP s’intensifièrent contre les Juifs.
Puis, il fut interdit aux Juifs de postuler pour des professions comme : médecin, dentiste et pharmacien.
Ensuite, tout s’accéléra à partir du discours d’Hitler du 13 septembre 1937, à connotation clairement antisémite contre le « Bolchevisme Juif ».
En 1938, Goebbels décida de chasser les Juifs de la Capitale, Berlin. Commencèrent alors les arrestations arbitraires massives, la destruction de nombreuses synagogues, etc..
A partir du 9 novembre 1938, la radicalisation par la Terreur du régime Nazi s’opéra concrètement. En effet, eut lieu le pogrom surnommé la « Nuit de cristal », perpétré par le Parti Nazi, composé des activistes antisémites, les SA et les SS, des membres des Jeunesses Hitlériennes qui : pillèrent, incendièrent, arrêtèrent 30 000 Juifs, puis déportèrent et assassinèrent de nombreux Juifs. La propagande Nazie présenta ce Crime sanglant de masse, comme soi-disant commis au nom du Peuple Allemand, car non dissimulé ; rendant ainsi la population qui restait passive devant cette tragédie, témoin voire « spectatrice » de ces actes de violence et de ces crimes.
Avec ce Crime de masse majeur, la fuite en avant de l’antisémitisme Nazi n’allait plus avoir de frein, jusqu’à conduire le IIIème Reich à la « Solution finale de la question Juive » !
S’ensuivit le 30 janvier 1939 au Reichstag, pour l’anniversaire de la prise de Pouvoir, une déclaration clairement antisémite et tonitruante d’Hitler, devant l’opinion publique internationale, page 194 :
« L’anéantissement de la race juive en Europe » si une nouvelle guerre mondiale venait à éclater. »
Après six années de persécution par les Nazis, les Juifs étaient totalement exclus de la vie sociale et économique. Après cette « mort sociale et économique », la dernière étape qui restait à franchir était celle de l’innommable : extermination physique et totale des Juifs.
La Seconde Guerre Mondiale se produisit en septembre 1939 et Hitler allait donc mettre à exécution sa terrifiante promesse du 30 janvier 1939.
Rapidement, ce fut l’ouverture des ghettos pour les Juifs, notamment en Pologne, suite à l’invasion de celle-ci après la signature du Pacte Germano-Soviétique de 1939.
Puis à la fin de l’été 1941, les Einsatzkommando, Einsatzgruppen et d’autres unités allemandes commencèrent à fusiller EN MASSES plusieurs CENTAINES DE MILLIERS de Juifs civils : enfants, femmes, hommes.
Officiellement, le 24 août 1941, c’était l’arrêt des opérations d’ »euthanasie » sur ordre d’Hitler, des Allemands considérés par le régime Nazi comme non « purement aryens ». Mais en réalité, l’assassinat d’aliénés se poursuivit en secret, faisant au total entre 1939 et 1942, de : 70 000 à 100 000 victimes.
Septembre 1941, l’Allemagne Nazie imposa le port de « l’étoile jaune » aux Juifs.
Les déportations furent l’avant-dernière monstrueuse étape du régime Nazie.
Elles débutèrent mi-octobre 1941. Elles étaient souvent connues de la Population Allemande, mais étaient impopulaires.
Voici ce que déclarait ouvertement Goebbels à propos de l’objectif final des déportations, page 263 :
« Dans l’article, qui parut enfin dans « Das Reich » le 16 novembre 1941, Goebbels, sous le titre « Les Juifs sont coupables », rappelait la prophétie d’Hitler du 30 janvier 1939 : « Nous vivons en ce moment même la réalisation de cette prophétie, et ainsi s’accomplit le destin de la juiverie qui est certes terrible, mais plus que mérité. Compassion et remords sont absolument inappropriés ». Par sa formulation, selon laquelle la « juiverie internationale » subissait « maintenant un processus d’annihilation progressive », Goebbels déclarait sans ambages quel sort attendait les Juifs déportés depuis quelques semaines des grandes villes allemandes. »
Par conséquent, Goebbels prévenait la population Allemande du risque encouru, si celle-ci tentait tout rapprochement avec les Juifs, page 265 :
« En novembre 1941, Goebbels parvint ainsi à entremêler les questions de la conduite de la guerre et des persécutions contre les Juifs d’une façon qui signalait sans ambiguïté qu’à l’avenir, toute critique serait traitée comme du sabotage contraire à l’effort de guerre. Dans le même temps, la sombre menace d’une peine en camp de concentration pour toute relation avec les Juifs fut rendue publique : désormais, serait traité comme Juif quiconque adopterait un comportement amical envers les Juifs. »
Au cours de l’année 1942, Hitler, lors de ses discours remplaça le terme d’ »anéantissement » du Peuple Juif, par celui toujours plus démonique : d’ »éradication » !
Peter Longerich fait un bilan du niveau de connaissance de la population Allemande concernant les exactions Nazies durant la guerre, page 307 :
« Comparé aux exécutions massives en Europe de l’Est, qui ne purent être cachées à la population locale et dont des soldats allemands furent très souvent témoins, le niveau de secret concernant les chambres à gaz, les camions à gaz et les camps d’extermination fut nettement supérieur. »
Puis, l’auteur précise page 316 :
« Si ces prises de position partaient généralement du principe que les Juifs déportés étaient assassinés, un certain nombre d’indices tendent à prouver que le recours à des techniques meurtrières spécifiques faisait l’objet de spéculations dans la population. Les rumeurs sur l’exécution de Juifs par les gaz étaient relativement répandues. »
Ces rumeurs étaient donc diffuses, partielles, parfois erronées mais persistantes, comme le décrit Peter Longerich, pages 328 et 329 :
« Certes, dans les détails, ces rapports étaient erronés : aucun camp d’extermination n’existait à Lviv, les gaz ne furent jamais utilisés à bord de wagons, pas plus qu’il n’y eut de tunnel où les Juifs furent gazés. Ils illustrent néanmoins les spéculations de la population quant au fait que les Juifs étaient tués à l’aide de gaz.
Il est possible que ces rumeurs aient été accrues par l’impossibilité de dissimuler totalement l’existence des camps d’extermination, en dépit de tous les efforts. En effet, un grand nombre de personnes étaient impliquées directement ou indirectement dans le processus d’anéantissement, et, de plus, un nombre plus important encore avaient eu l’occasion de procéder à des observations révélant la vocation des camps d’extermination.
Cela vaut particulièrement pour le camp d’Auschwitz-Birkeneau qui, à la suite de l’annexion d’une partie du territoire polonais, se trouvait dans le Reich : l’arrivée incessante de trains transportant des milliers de personnes, les flammes hautes de plusieurs mètres des crématoires, visibles de loin, l’odeur caractéristique des cadavres brûlés qui se répandait dans les environs, étaient autant de signes infaillibles qu’il n’y régnait pas seulement un fort taux de mortalité, mais qu’il s’y déroulait un massacre de proportions monstrueuses. »
Après la Seconde Guerre Mondiale, plusieurs sondages eurent lieux afin d’évaluer les informations détenues par le Peuple Allemand pendant cette tragique période, en voici les grandes tendances, page 331 :
« Plusieurs sondages menés de 1961 à 1998 montrent qu’entre 32 et 40 % des Allemands reconnaissaient avoir eu de telles informations avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. »
Même si ces sondages ne rentrent pas le détail des différents types d’extermination, cela permet d’avoir une idée générale du niveau de connaissance de la population Allemande sur l’Holocauste : soit une part significative de la population était informée du massacre des Juifs.
Après la défaite de la Bataille de Stalingrad en 1943 et la découverte par les Allemands du Crime contre l’Humanité de Katyn, perpétré par les Soviétiques sous Staline en 1941, Goebbels relança la propagande d’ »éradication » contre l’ennemi : « Judéo-Bolchevique ».
En résumé :
Entre 1933 et 1938, malgré les appels aux boycotts des commerces Juifs, on peut considérer que la politique globale de propagande Nazie a échoué.
Ensuite à partir de l’automne 1938 lors du pogrom de la « Nuit de Cristal », le National-Socialisme est passé à l’action Criminel de masse, tout en essayant de rendre complice la population Allemande, pas en tant que participante à ces exactions mais comme « spectatrice ».
A partir de l’automne 1941, l’obligation du port de « l’étoile jaune » pour les Juifs, annonça dans le même temps l’interdiction pour la population Allemande de rentrer en contact avec eux, sous menaces de déportation en camps, voire d’exécutions.
Dernière et l’ultime étape cataclysmique mise en oeuvre par le régime Totalitaire Nazi, fut la « Solution finale de la question juive » : l’Holocauste ou Shoah.
Finalement, entre : antisémitisme, dénonciation, hostilité, passivité, distance voire indifférence, souci d’adaptation, compassion, solidarité, lâcheté…, et peur, il est très difficile de cerner où se situaient exactement la « vox populi ».
En tout état de cause, avant la découverte dès 1944 – 1945 des camps de concentration et d’exterminations, il semblait inconcevable à l’esprit humain, que ce soit en Allemagne ou ailleurs, qu’il pût exister sur terre des « usines » destinées exclusivement à l’extermination en masses d’êtres humains.
En conclusion :
1 / Je regrette juste que Peter Longerich ne consacre pas un long avant-propos, voire même un premier chapitre, à l’étude de la propagande avant l’élection DEMOCRATIQUE de Hitler en 1933 ; afin de pouvoir évaluer le degré d’imprégnation de l’antisémitisme au sein du Peuple Allemand. Et surtout, il n’explique pas comment ce monstre de Hitler a pu être élu démocratiquement, alors qu’il avait écrit et publié, dès 1925, ce terrifiant et « prophétique » livre qu’est « Mein Kampf » (d’ailleurs, l’auteur ne parle absolument pas de « Mein Kampf », de tout son ouvrage) !
Car en effet, dans les deux tomes de « Mein Kampf », Hitler démontre et détaille toute : la haine, le racisme, la xénophobie qu’il voue envers les peuples « inférieurs ». Et même si une très faible partie de la population avait connaissance de l’immonde contenu de ce livre, il est en revanche inconcevable d’imaginer que : ni la presse, ni les médias en générale, ni l’ »élite » intellectuelle Allemande et surtout les Autorités et la Police Allemandes, n’en n’aient eu connaissance. Donc au moment des élections de 1933, il relevait alors de l’impérieuse responsabilité de toute cette « élite », d’en informer par tous les moyens possibles de communication, l’ensemble de la population Allemande !
Par conséquent, à partir du moment où Hitler fut élu Chancelier de l’Allemagne, comment rétrospectivement, s’étonner qu’il ait mis en adéquation son ignoble Idéologie détaillée dans « Mein Kampf », avec ses odieux actes antisémites et ceci : dès son élection en 1933…, jusqu’à son monstrueux Génocide de « race » ?
2 / On constate à travers ce passionnant ouvrage de Peter Longerich que : la propagande du Parti NSDAP, les journaux Nazis du Parti, Goebbels, l’idéologue du Parti Alfred Rosenberg, la Gestapo, la S.A., les SS, etc., ont développé, dès 1933, l’ignoble politique Idéologique antisémite d’Hitler.
On ne peut alors que constater au minimum : la PASSIVITE voire l’INDIFFÉRENCE d’une partie du Peuple Allemand qui, dans l’ensemble, n’a rien dit, ni rien fait, pour tenter d’empêcher que le régime Totalitaire du IIIème Reich n’applique entre 1933 et 1945, jusqu’au bout de l’horreur, son programme exterminationniste !
Le sentiment qui ressort de cette très intéressante lecture, correspond parfaitement au sentiment de Primo Levi dans son formidable livre Les Naufragés et les Rescapés : Quarante ans après Auschwitz, page 178 :
« Je le répète : la faute véritable, collective, générale, de presque tous les Allemands, à cette époque, a été de n’avoir pas eu le courage de parler. »
Confer également un autre ouvrage aussi passionnant sur le même thème, de :
– Ian Kershaw Le mythe Hitler.
Détails sur Nous ne savions pas. Les Allemands et la Solution finale, 1933-1945
Auteur : Peter Longerich
Editeur : Le Livre de Poche
Nombre de pages : 672
Isbn : 978-2253126607