Huber Matos a rédigé ses Mémoires depuis peu. En effet, c’est seulement en 2002 qu’il décide de témoigner à propos de l’Histoire du sinistre régime Totalitaire Communiste Castriste, et de raconter sa vie depuis le coup d’État de Batista, en passant par la Révolution Cubaine, la dénonciation de la mise en place du régime Castriste, l’injustice que représentent ses 20 ans d’enfermement dans d’effroyables conditions de détention pour lui et ses compagnons, et sur les innombrables et ignobles exécutions sommaires autant qu’arbitraires.
Et ce n’est qu’en 2006, que cet essentiel témoignage a été publié en France.
Un autre grand intérêt de ce témoignage réside dans le fait que Huber Matos a très bien connu : les frères Castro, Raul et Fidel, et Ernesto Guevara (dit le Che) !
Le 10 mars 1952, Fulgencio Batista provoque un coup d’État à Cuba, destituant ainsi le Président de l’époque : Carlos Prio Socarras.
Le 26 juillet 1953, un groupe révolutionnaire tente de renverser le Dictateur Batista. A la tête de ce groupe révolutionnaire, on découvre un certain Fidel Castro issu du Parti orthodoxe.
Mais cette opération militaire échoue, faisant plusieurs morts.
Entre 1953 et 1959, les révolutionnaires Cubains tentent à plusieurs reprises de renverser Batista, mais sans y parvenir. Le 13 mars 1957, un contingent révolutionnaire essaye même d’assassiner Batista, en attaquant le palais présidentiel de La Havane. C’est encore un échec…
Le 1er juin 1957, Huber Matos s’exile au Costa Rica afin de préparer une guérilla destinée, une nouvelle fois, à renverser le Pouvoir dictatorial de Batista.
Après des semaines de préparation, l’équipe de Huber Matos est prête à regagner Cuba et les frères Castro, afin de coordonner cette guérilla dans la Sierra Maestra.
Pour Huber Matos, il s’agit avant tout de Libérer le Peuple Cubain, et de réinstaurer une Démocratie (page 88) :
« Je déteste la violence, mais je suis prêt à donner ma vie dans cette tentative de rendre la liberté aux Cubains. La dictature n’a pas laissé d’autre alternative à ceux qui croient avoir le droit de vivre dans une société libre et juste, fondée sur les règles de la civilité et la coexistence pacifique. »
Huber Matos ne défend aucune Idéologie, il est profondément humaniste et seule la Liberté du Peuple Cubain guide sa volonté et la détermination de son action, même durant les terribles combats (page 117) :
« Même si ce sont nos ennemis, je ressens de la pitié pour eux, mais aussi pour moi, forcé de tuer mes semblables. Comme il est stupide de se massacrer entre gens d’un même peuple ! ».
Déjà, durant la guérilla, Huber Matos perçoit chez Fidel Castro : un manque certain de compassion pour autrui, de l’opportunisme, son immoralité, ainsi qu’une certaine forme d’autoritarisme malsain (page 133) :
« J’ai vu chez Fidel des choses qui me déplaisent comme ses semonces, ses insultes aux officiers et sa tendance à l’autoritarisme, auxquelles il faut ajouter sa tolérance et sa complicité dans le commerce de la marijuana. Tout cela me vaut un problème de conscience et de sérieuses inquiétudes pour l’avenir. Néanmoins, j’en suis venu à la conclusion que, comme nous ne pouvons pas attendre la perfection de la nature humaine et que cet homme a gagné la confiance du peuple, je ne dois me laisser affecter ni par les aspects négatifs de son caractère ni par son manque de rigueur morale.
(…) Pour l’instant, je garde l’espoir de pouvoir contribuer au dépassement de ces défauts. Le peuple a foi dans les rebelles des montagnes et en son leader principal ; il a foi dans l’œuvre porteuse de démocratie et de justice de la révolution. Pendant que nous essayons d’arrêter l’offensive, il ne me reste qu’à refouler cette affaire de marijuana et les autres détails qui me déplaisent souverainement. Nous avons un ennemi suffisamment fort à mettre en déroute pour pouvoir rétablir la démocratie et la paix sociale ».
Puis vient le moment, où, Raul Castro commence à s’en prendre également aux civils (page 270) :
« Les forces de Raul Castro attaquent depuis quatre ou cinq jours la caserne de La Maya, située dans la zone du second front contiguë à la nôtre. Le village de La Maya a été pratiquement détruit par le feu sur les instructions de Raul, au motif que toute la population soutenait Batista ; cette affirmation me semble aussi excessive que les représailles. Face à ce triste spectacle, je me demande ce que nous gagnons à semer la terreur. Un de ses hommes prend les devants pour justifier Raul en disant :
– Commandant, nous avons dû incendier presque tout le village parce qu’on nous tirait dessus de tous côtés. L’aviation nous pilonnait sans relâche ; ces gens sont contre nous, ils sont presque tous des vendus à Batista… On leur a donné la leçon qu’ils méritaient, vous voyez… »
Enfin, Batista est destitué par les guérilleros, le 1er janvier 1959.
Lors de son premier discours, Fidel Castro ose, dans un immense cynisme, préciser qu’il n’y aura plus jamais de Dictature à Cuba (page 306) :
« « Parce qu’il est hors de question de remplacer un dictateur par un autre ! » Fidel promet que les militaires seront aux ordres des lois et de la constitution de la République. Il encense le processus électoral et démocratique en faisant allusion au temps limité qu’un gouvernement doit rester au pouvoir. Ses paroles arrachent à la foule de fervents applaudissements. La joie se passe de mots. La cérémonie prend fin officiellement, mais la fête se poursuit dans les rues tout au long de la nuit ».
Pourtant, dès les premiers jours de janvier 1959, la valse horrible des exécutions sommaires, commence… (pages 325 et 326) :
« A Santiago, il y a déjà eu des exécutions. Des rapports me parviennent selon lesquels des injustices et des excès ont été commis là-bas. Ainsi, plus de soixante-dix personnes accusées de faits criminels ont été jugées et exécutées en un jour. Je n’ai pas assisté à ces procès ni à ces exécutions là-bas parce que Raul s’est arrogé cette responsabilité sur ordre de Fidel ou avec son approbation. Dès les premiers jours de janvier, alors que je commençais mon travail comme chef du premier district militaire, il m’a dit :
– Huber, je veux me charger personnellement des procès. Ta présence n’est pas nécessaire. On appliquera la justice.
Fidel m’ordonne juste après de me rendre dans la province de Camagüey pour en prendre le commandement, ce qui laisse à Raul le contrôle total de la province d’Oriente.
La nouvelle des exécutions à Santiago de Cuba – toutes postérieures à mon déplacement – circule dans tout le pays et même en dehors. D’après nos informations, en trois ou quatre jours, plus de deux cents militaires et civils impliqués dans des actes criminels ont été exécutés à Santiago en janvier. A la forteresse de La Cabana, le quartier général du Che, le peloton d’exécution intervient très fréquemment et le nombre d’exécutions est également déjà élevé. La réaction internationale ne se fait pas attendre et n’est pas du tout favorable à l’image que donne la révolution, ternie par ces faits. »
Comme souvent après un changement radical de régime, surtout lorsqu’il a été, comme celui de Batista, à caractère Dictatorial, se développent, au sein de la population, des sentiments immédiats relevant plus de la vengeance que de la Justice (page 330) :
« Matanzas et Camagüey sont les deux provinces où il y a eu le moins d’exécutions, même si les révolutionnaires et la majeure partie de la population réclament ici aussi une justice plus radicale, comme si la crédibilité de la révolution dépendait du nombre d’exécutions. »
Après la prise du Pouvoir, un jour, Raul Castro eut une discussion avec Huber Matos. Il lui livra alors le tréfonds de ses pensées les plus sinistres (pages 353 et 354) :
« « – Pour que la révolution triomphe, il faut une « nuit des longs couteaux » [purges et assassinats par les Nazis au sein de leur propre Parti entre le 29 juin et le 2 juillet 1934, et surtout durant la nuit du 29 au 30 juin 1934] qui fera tomber beaucoup de têtes de nos ennemis.
Je lui réponds :
– J’espère bien que tu ne parles pas sérieusement, parce que cela n’entre pas dans les plans de la révolution.
– Eh bien, si. Sans une nuit de la Saint-Barthélemy [c’est-à-dire le massacre des protestants en France sous le règne de Charles IX, le 24 août 1572], les difficultés que nous allons rencontrer à partir de maintenant vont être nombreuses.
Fidel garde le silence. Les autres personnes présentes se taisent et la réunion est clôturée peu après. Je prends congé de notre chef non sans avoir insisté une fois de plus sur la nécessité de définir les fondements idéologiques de la révolution pour clarifier son orientation et son programme. »
Sept mois après la prise du Pouvoir, compte tenu de la tournure Dictatoriale des événements, Huber Matos estime, avec courage et lucidité, qu’il est grand temps de démissionner de ses fonctions, afin de se désolidariser définitivement des frères Castro (pages 358, 363 et 365) :
« Il y a sept mois, nous arrivions au pouvoir et, quelques jours avant le 26 juillet [date de commémoration de la tentative de Révolution du 26 juillet 1953], je décide d’écrire à Fidel. C’est une lettre de démission dans laquelle j’explique que le moment est venu pour moi de quitter l’armée et de renoncer à ma charge au sein de la direction du processus révolutionnaire. Je suis en désaccord avec la manière dont les choses sont menées. Je crois qu’on se dirige à grands pas vers un gouvernement dictatorial, sans doute de tendance marxiste, auquel je ne peux pas participer car cela serait aller à l’encontre de mes principes.
(…) Septembre touche à sa fin et l’influence communiste est en pleine croissance. Je dois quitter le pouvoir au plus vite. En restant au gouvernement, je cautionne des actions avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Je veux être pleinement responsable de mes erreurs et non avaliser la terrible faute que l’histoire retiendra à charge de ceux qui par ambition, parce que cela les arrange ou par inertie, trahissent la révolution cubaine, en l’occurrence le peuple et ses espérances. Même si je suis le seul à dénoncer ce qui se passe, il est de mon devoir de donner l’alerte aux Cubains. Je ne sais pas s’ils m’écouteront ou s’ils le comprendront.
(…) Octobre 1959. Moins de dix mois se sont écoulés depuis que nous, les révolutionnaires, sommes arrivés au pouvoir. La sombre perspective que le leader de la révolution se transforme en un tyran tel que notre pays n’en a jamais connu se profile dans le paysage cubain.
La grande majorité de la population ne perçoit pas la trahison. La popularité de Fidel est immense : les gens du peuple croient en lui avec une ferveur aveugle. Ceux qui manifestent leur inquiétude pour le destin de la nation ou qui remettent en question le dernier caprice du Lider Maximo deviennent du jour au lendemain des « ennemis de peuple ». La rhétorique populiste séduisante de Castro recouvre adroitement l’incroyable réalité, à savoir que les véritables ennemis sont au sein même du pouvoir ».
Le 20 octobre 1959, Huber Matos envoie sa lettre de démission à Fidel Castro, qui lui répond… (page 367) :
« Fidel m’écrit, en termes généraux, que c’est bien, que je n’ai qu’à m’en aller, qu’il ne se passera rien, qu’il enverra quelqu’un me relever de mon commandement. Mais le ton et certains termes sont insultants, caractéristiques de son style toujours teinté de menaces voilées et de faux-fuyants.
J’ai confié à mon épouse une copie de ma lettre de démission.
– Maria Luisa, lui dis-je, j’ignore ce qui viendra à l’esprit de Fidel ; mais, après ce qui est arrivé à Urrutia [Président du 1er janvier au 17 juillet 1959 a démissionné et s’est exilé au Venezuela sous la pression de son Premier Ministre…, Fidel Castro], nous pouvons nous attendre à tout.
Garde cette copie, tu sauras quel usage en faire le moment venu.
Fidel sait pertinemment que je ne réagirai pas comme Urrutia. L’ancien président, malgré son poste élevé, était plus vulnérable parce qu’il devait sa position à Fidel lui-même. »
A cette période, Huber Matos aurait encore pu sauver sa existence, en fuyant Cuba. Mais il préféra, dignement, rester dans son pays, en faisant le choix courageux, d’assumer ouvertement sa volonté de démocratiser et de libérer la société Cubaine (pages 370 et 371) :
« En retournant chez moi au campement, je rencontre le médecin-capitaine Miguelino Socarras, qui a démissionné cinq jours auparavant, après avoir renoncé à la direction de notre clinique, écœuré par l’orientation que prennent les événements. D’une façon pressante, il me dit :
– Commandant, j’ai à ma disposition un avion et un pilote qui attendent sur une piste à un quart d’heure d’ici. Allons-nous-en ! Quittons ce pays ! Je vous accompagne. Un homme dans votre situation doit émigrer en vitesse. Tirez-vous d’ici ! Vous avez entendu les flots d’insultes et de provocations qu’on déverse à votre sujet sur les ondes depuis tôt ce matin. Je suis sûr qu’ils font cela pour justifier ce qu’ils vous préparent. Ils haranguent la foule dans le seul but de vous éliminer physiquement, de la façon la plus dégradante. Ne perdez pas une minute, l’avion nous attend.
– Socarras, je te remercie et j’apprécie ton geste à sa juste valeur. Mais je ne peux pas faire ce que tu me demandes parce que cela ferait de moi un déserteur. J’ai démissionné : j’ai demandé à être détaché des forces armées parce que je ne suis pas d’accord avec la tournure que prend cette révolution. C’est une position de principe et je dois la défendre, fût-ce au prix de ma vie.
– Mais Commandant ! Écoutez, d’ici quelques heures, les foules fanatisées viendront et vous traîneront dans les rues. Ils excitent les gens à la radio. Je crains pour votre vie.
– Non. Socarras. Je te répète que non, ma décision est prise. Je n’en changerai pas.
Il insiste :
– Vous risquez au moins d’être exécuté. En fait, j’en suis sûr, mais en plus vous courez le risque de tomber aux mains de cette meute déchaînée et vous pouvez encore évitez un pareil désastre.
– Ils viendront me chercher aujourd’hui, mais peut-être cela sauvera-t-il notre pays.
Comme il ne parvient pas à me convaincre, Socarras me dit finalement :
– D’accord, Commandant. Je m’en vais, mais vous commettez une terrible erreur en restant ici.
Je le remercie à nouveau de son geste et nous échangeons une chaleureuse poignée de main ».
Arrive alors, le moment de l’arrestation.
Étant parfaitement conscient qu’il risque l’emprisonnement pour de longues années, voire pire, d’être fusillé, Huber Matos attendant de connaître son sort, enrage de ne pas pouvoir prévenir le Peuple Cubain de ce qui l’attend (page 397) :
« Ici, dans la solitude de mon cachot, je voudrais abattre à grands coups les murs et les barreaux afin de sortir dans la rue et de mettre en garde le peuple cubain contre la terrible nuit qui le guette. Je voudrais lui dire la vérité sur ce qui se trame et réfuter les calomnies que le leader de la révolution profère contre moi. Je paierais volontiers de ma vie pour en avoir l’opportunité. Mais le peuple est fanatisé. Les foules enthousiastes vont être plongées dans l’obscurité et je n ‘ai pas assez de force pour arracher mes barreaux.
Que puis-je faire dans ces conditions pour manifester la vérité aux yeux de tous ? Comment démasquer un tel cynisme ? Comment réveiller une conscience endormie par le harcèlement de la propagande et par la passion ? Avec quelles armes combattre l’hypnose politique qui aliène les Cubains ? »
Compte tenu de la popularité de Huber Matos, Fidel Castro ne peut pas se permettre de le faire assassiné discrètement. Il est obligé d’organiser une parodie de procès, façon « Procès de Moscou » Soviétiques des années 1936-1938 ; procès qui ne sera donc qu’une supercherie jouée d’avance (page 398) :
« Je vais au procès avec plusieurs handicaps, et non des moindres. Le premier, c’est d’avoir été pratiquement condamné à mort, cinq jours après mon arrestation, par une foule de centaines de milliers de personnes, encouragées et manipulées par le Lider Maximo.
Fidel, après avoir tenté en vain de me faire fléchir, doit être rongé par son orgueil, mais aussi par ses craintes. Je le connais, c’est un comédien qui parle pour la galerie. Quant à Raul, poussé par son radicalisme jacobin et sa nature rancunière, il essaiera carrément de m’éliminer physiquement par tous les moyens.
Fidel a le monopole complet du procès. Je serai jugé par un tribunal militaire dont il a sélectionné lui-même tous les membres qui lui assurent un soutien inconditionnel. Il a également choisi le procureur et les fonctionnaires chargés des tâches auxiliaires. Tribunal, témoins, lieu et public. Mais il sera le véritable procureur et se réserve aussi le rôle de témoin à charge. C’est lui qui dictera la sentence au tribunal, qui la rendra publique.
Mais je ne suis pas complètement dénué d’atouts : je suis préparé au pire des scénarios ; je ne me fais aucune illusion, je pense que je vais être exécuté. Je vais dire la vérité et l’on va devoir m’écouter. Vivant, je suis un problème pour eux ; mort, il en va de même. Ainsi, que l’on me mène en prison ou devant le peloton d’exécution, ils y perdront. »
Le 15 décembre 1959, la sentence tombe : Huber Matos est condamné à 20 ans de prison !
Il est incarcéré dans la prison de l’île des Pins. Ses bourreaux font tout pour essayer de le déstabiliser moralement en lui annonçant, par exemple, des visites de ses proches qui ne se produisent pas, de l’intimider, ils l’insultent et le menacent de le fusiller.
Pour résister à cette terrible pression psychologique, pour pouvoir survivre et ne pas perdre l’esprit, Huber Matos fait comme de nombreux prisonniers de régimes Totalitaires : il lit beaucoup, il se crée une vie intérieure intense et fait fonctionner son imagination et sa réflexion.
Suite à l’échec du débarquement de la baie des Cochons, le 17 avril 1961, Fidel Castro tombe le masque et déclare alors que : « la révolution est communiste ». Le 2 décembre de la même année, il réitère ses propos en proclamant : « la nature marxiste-léniniste » de son gouvernement.
A ce moment, les fondements du régime Totalitaire Communiste Castriste sont en place (page 441) :
« Le pays est déjà soumis à un contrôle totalitaire. Sous prétexte de défendre la révolution, Castro a aboli les libertés publiques et tout vestige des garanties citoyennes. Le bâillon, la délation, la prison politique et le peloton d’exécution s’imposent comme des instruments de la terreur révolutionnaire. »
En 1965, les geôliers de Huber Matos planifient un horrible scénario de simulacre d’exécution avec le pistolet collé sur la nuque, toujours dans le but de l’effrayer et de l’anéantir psychologiquement. Ensuite, ils l’enferment dans un caisson de béton de 3 mètres sur 3, et juste de la hauteur d’une personne.
Il est habillé avec la tenue jaune des prisonniers politiques irréductibles, les plantados, la lettre P dessinée au goudron sur la poitrine.
A cette époque, la tenue bleue était destinée aux prisonniers de droit commun. Mais les choses devaient changer plus tard…
Avec d’autres prisonniers, Huber Matos est resté un an dans ce cachot sordide, sans aucune hygiène et sans lumière du jour.
Après six années passées dans la prison de l’île des Pins, Huber Matos est transféré à la prison principale de La Havane, la tristement célèbre forteresse de : La Cabana.
Un jour, Huber Matos parle avec ses co-détenus de la répression terrible qui s’abat sur l’île (pages 468 et 470) :
« Nous reprenons la conversation et ils me racontent les atrocités et les crimes qui sont commis à l’île des Pins dans le plan des travaux forcés. Les surveillants assassinent impunément les prisonniers politiques pendant leurs journées de travail. La résistance à l’île des Pins s’intensifie face à cette chape de terreur. Il y a là des milliers de Cubains qui ont été jugés par les tribunaux révolutionnaires chargés de punir sévèrement la résistance au communisme. La majorité des prisonniers, loin d’avoir une origine batistienne, étaient plutôt des sympathisants de la révolution.
Ils m’expliquent que les soulèvements de paysans contre le communisme dans les premières années de la décennie, en particulier dans les massifs montagneux d’El Escambray, se sont multipliés. Le régime les a étouffés de façon implacable, à coups d’opérations auxquelles participaient des milliers de soldats, ratissant les montagnes et les bois, mètre par mètre. Ils ont procédé à des exécutions massives. Ils ont appliqué de lourdes peines de prison aux suspects et délogé des villages entiers.
(…) Depuis les premières années de cette décennie, m’expliquent-ils, toute l’activité économique du pays est drastiquement contrôlée par l’État ; l’industrie, le commerce et la plupart des terres rentables du pays qui ont été expropriées. Castro dispose de tous ces biens comme si c’était les siens.
Ils me racontent aussi en détail la vague de persécutions déchaînée par les Castro contre l’Église catholique et les institutions religieuses en général. La répression va bien au-delà de l’intention d’imposer un modèle totalitaire ; il semble qu’elle vise aussi à éliminer l’idée même de Dieu dans la pensée du peuple cubain. Des atrocités ont été commises dans les camps de l’UMAP (Unités militaires d’aide à la production) contre les témoins de Jéhovah et des croyants d’autres confessions.
Je suis prisonnier depuis sept ans pendant lesquels Fidel s’est maintenu au pouvoir parce que son système répressif est implacable contre l’opposition démocratique. De plus, il a obtenu l’appui économique et militaire de l’Union soviétique. Sans le soutien massif de Moscou et sans la complicité des démocraties occidentales, le communisme à Cuba aurait été mis en déroute dès les premières années par les Cubains eux-mêmes. »
A La Cabana, Huber Matos est encore enfermé dans un cachot immonde, contenant des cafards et des souris. En plus d’être l’une des plus grandes prisons de Cuba, La Cabana est également le principal lieu d’exécution de l’île (page 474) :
« Le mur des exécutions, où se trouve le poteau auquel ils attachent ceux qu’ils vont exécuter, est situé à une centaine de mètres de notre cachot, dans la fosse. Presque chaque soir, entre neuf et dix heures, il nous faut vivre une expérience pénible ; c’est l’heure des exécutions.
Les condamnés à mort sont des gens qui ont été arrêtés parce qu’ils complotaient contre la dictature dans les villes ou des paysans capturés au combat dans les montagnes. Ce sont les meilleurs hommes de notre pays, des idéalistes qui ont cru en la démocratie et ont combattu vaillamment pour elle au péril de leur vie. Nous n’avions pas autant d’hommes de cette trempe dans la lutte contre Batista.
Le chef d’accusation est toujours le même : crime contre la sécurité de l’État. Les tribunaux n’ont pas besoin de beaucoup de preuves pour les condamner.
Nous ne pouvons pas voir les exécutions depuis nos cachots, mais nous en suivons, minute par minute, le macabre rituel en nous fiant aux bruits qui l’accompagnent. La promiscuité nous contraint à entendre les ordres, les tentatives que font les condamnés pour dire quelque chose, la salve des fusils, le bruit des corps jetés sur un grand plateau de fer-blanc. Ils les enveloppent dans un sac plastique « pour que le sang ne coule pas en chemin » et les chargent dans une voiture comme de vulgaires paquets.
Je n’avais jamais imaginé que je devrais vivre pareille épreuve. Un cauchemar récurrent. La nuit de la Saint-Barthélemy, par laquelle Raul voulait liquider les ennemis de la révolution ! »
Dans son témoignage « Mémoires de prison », Armando Valladares, qui a connu les mêmes lieux de détentions qu’Huber Matos, décrit avec la même précision, l’horreur des exécutions et le traumatisme psychologique causé chez les prisonniers.
Ne pouvant se laver, Huber Matos est recouvert d’une épaisse couche de saleté et a de nombreuses infections, notamment au cuir chevelu.
En 1967, pour soumettre toujours davantage les prisonniers à l’autorité carcérale et pour les humilier continuellement, on leur impose un changement d’uniforme. Désormais, il doivent quitter leur tenue jaune de prisonnier politique pour endosser la tenue bleue, celle des droits communs.
Certains prisonniers, comme Huber Matos, refusant d’être assimilés aux prisonniers de droit commun, résistent pour ne pas porter cet uniforme bleu, se retrouvant alors en caleçons ou totalement nus.
En ce qui concerne la politique économique à la Soviétique de l’État Castriste, c’est-à-dire totalement centralisée, Étatisée, Huber Matos nous décrit les délires agricoles dans lesquels se fourvoie Fidel Castro (pages 530 et 544) :
« A présent, Castro s’est mis en tête de semer des centaines de milliers de ces plants de café [Caturra] dans toute la province de La Havane – parcs, jardins et cours y compris – en abattant les arbres fruitiers et en détruisant les cultures variées dont vivaient les petits producteurs. A la fin de la grève de la faim, nous avons vu quelques plants rachitiques de ce fameux café Caturra dans la cour du G-2 [siège social de la Police Politique du régime Castriste : la Sécurité de l’État] où l’on nous sortait pour prendre l’air. Ils trouvent génial ce projet du Maximo Lider : cela fournira du café pour la consommation nationale et pour l’exportation. Déterminé à atteindre cet objectif colossal et absurde, le commandant en chef a mobilisé des milliers de travailleurs, sortis des usines, des écoles et autres centres d’activités.
– C’était la fièvre du café, commente un camarade, quelque chose de désorganisé et bien dans le style carnavalesque de Castro, qui l’a dirigée avec une euphorie pathétique.
A La Cabana, on sait déjà que le projet a abouti à un échec total.
(…) De telles aberrations sont fréquentes avec Fidel : assécher des centaines de milliers d’hectares dans les marécages de Ciénaga de Zapata pour ensuite les laisser à l’abandon ; croiser des races de bétail en faisant fi de l’opinion des spécialistes en génétique ; produire des fruits qui nécessitent un climat différent de celui de Cuba ; encourager un énorme élevage de crocodiles ; tous ces coûteux échecs que personne n’ose désapprouver à Cuba. Sans craindre d’exagérer le moins du monde, on pourrait lui appliquer la devise fasciste : « Le Duce a toujours raison ! »
(…) Le plan de Fidel pour augmenter la production de canne à sucre est à son apogée. Maintenant c’est la folie des « dix millions », comme auparavant celle du café Caturra. Le Maximo Lider a mobilisé tout le pays pour atteindre une production de dix millions de tonnes de sucre. La zafra, la récolte de canne à sucre à Cuba, oscille entre cinq et six millions de tonnes. L’avant-dernière année de la dictature de Batista, l’entreprise privée avait élevé la production à un record de sept millions deux cent mille tonnes, que Castro veut surpasser avec ses dix millions.
La récolte de canne à sucre a lieu habituellement pendant les mois froids, la saison sèche qui se termine fin mars. Maintenant il a décidé que les récoltes se poursuivront pendant la saison des pluies, jusqu’au mois de juillet, ce qui est une aberration parce que la canne à sucre perd un grand pourcentage de saccharose pendant cette période.
D’autres domaines industriels et d’agriculture qui méritaient aussi de l’attention ont été sacrifiés pour atteindre ce but. Fidel défigure avec acharnement la réalité nationale : « C’est un engagement d’honneur de la révolution », répète-t-on sans arrêt à la radio et à la télévision ; la consigne est rabâchée mille et une fois : « Les dix millions, on les aura. » Nous ne les voyons ni ne les entendons, mais nous sommes tenus au courant par les nouvelles qui arrivent au pénitencier. »
En prison, Huber Matos apprend que le régime Castriste a tenté de faire assassiner son fils Huber, au Costa Rica, dans la nuit du 26 décembre 1976.
Après avoir purgé l’intégralité de sa peine : 20 ans d’enfermement, Huber Matos sort de prison le 21 octobre 1979.
Dès sa Libération, il est aussitôt expulsé vers le Costa Rica avec son père et sa sœur Tina, par crainte de mouvements populaires qui risqueraient de se mobiliser pour la libération d’autres prisonniers politiques, et plus généralement, pour la Liberté du Peuple Cubain. Cela représenterait une menace importante pour le Pouvoir Totalitaire Communiste Castriste.
Il retrouve, après toutes ces années de séparation, l’ensemble de sa famille : sa femme Maria Luisa et ses quatre enfants, devenus adultes ; mais pas sa mère, qu’il ne put jamais revoir, car elle décéda durant son incarcération. Durant ces longues années de captivité, sa famille s’est agrandie, puisqu’il fait enfin la connaissance de ses petits enfants, ainsi que de ses belles-filles.
Si effrayé par Huber Matos, l’infâme régime Castriste ne l’a même pas laissé se rendre et déposer des fleurs sur la tombe de sa mère, avant son expulsion pour le Costa Rica.
Détails sur Et la nuit est tombée. De la révolution victorieuse aux bagnes cubains
Auteur : Huber Matos
Editeur : Les Belles Lettres
Nombre de pages : 636
Isbn : 978-2251443072