C’est vrai que lire ne sert à rien. On m’a suffisamment traité de feignant quand on me voyait lire des auteurs hors programme. Mais quel plaisir de lire des livres prohibés en fumant une cigarette elle aussi interdite à l’époque. Le plaisir, il n’y a que ça de bon pour l’homme. En lisant Dantzig, j’ai pris conscience que l’on peut aller encore au-delà du plaisir. Une discussion avec Laura m’a démontré que la nouvelle génération sait se dépasser pour atteindre l’indicible dans les bouquins.
« On peut lire pour découvrir ce que l’écrivain n’a pas dit. C’est en général pendant les rêveries consécutives à la lecture qu’on y pense, quand on relève la tête, index pliéContre la bouche, regardant au loin sans rien voir. Tiens ?… » (p.123)
Quand j’ai fait lire ce passage à Laura, dix huit ans, elle a fait la moue et m’a dit : « Je n’aurais pas écrit un truc comme ça » Je ne lui ai pas répondu. C’est elle qui a insisté. « Euh, je serais inquiète à la place des écrivains de savoir qu’une fille comme moi peut penser à leur place.
– Que penses-tu Laura de la Case de l’Oncle Tom ? quels sont les mots qui te viennent à propos de ce livre ?
– Indignation sur la condition des noirs.
– Pourtant Laura, ça n’entrait pas dans les intentions de l’auteur.
– Je m’en tape.
– Et tu as raison. L’essentiel, c’est ce que tu penses. L’essentiel, c’est ton indignation. Pas ce que pouvait penser l’auteur. »
Laura m’a embarqué le livre et ne me l’a rendu que quelques jours après, avec des passages stabilotés et des annotations partout.
Voici quelques unes d’entre elles :
– Moi je lis souvent pour comprendre l’auteur.
– Quand je lis en marchant c’est que le bouquin est super.
– Les écrivains me permettent de devenir adulte.
– Comme je lis trop, je n’arrive pas à écrire. C’est l’un ou l’autre, il faut choisir.
– Quand ça m’emmerde, je saute des pages. Tout le monde fait ça mais le dit pas.
– Lire est une œuvre en soi ; Je suis donc une artiste.
– Certaines lectures sont dangereuses pour le moral, par exemple la Fêlure de Scott Fitzgerald
– On ne comprend jamais tout d’un auteur.
– Un livre, c’est presque toujours pour moi un paradis.
– Je n’aime pas les livres qui se dépouillent de leur mystère.
– Cette dernière annotation est en face d’un passage surligné :
« On peut dévoiler les secrets, on n’explique jamais les mystères. Tout au plus peut-on essayer de montrer comment ça s’est passé, par quelle étrange combinaison la part inexplicable d’un être, cette part spirituelle, folle, lui crée un destin » (p.149)
Charles Dantzig Pourquoi lire ?
Alors qu’il prône le raisonnement contre les arguments d’autorité, Dantzig est le maître de la généralisation abusive et de l’argument d’autorité : il n’y a quasiment pas un seul raisonnement dans tout cet essai. C’est d’ailleurs ce qui en rend la lecture plaisante, distrayante. Mais, au fond, pas de fond.